travail

Alors que le chômage est au plus bas depuis 2008 (7,4 % au deuxième trimestre 2022), de nombreuses interrogations subsistent. Est-il encore possible de réduire le chômage ? Quelle est l’efficacité des politiques de l’emploi en France ? L’avenir sera-t-il celui du plein-emploi ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous te proposons une prospective sur l’avenir du plein-emploi en France. Si ce n’est pas déjà fait, n’hésite pas à lire la première partie de cet article. Tu y trouveras une analyse des théories du chômage d’hier et d’aujourd’hui. Bonne lecture !

Dès demain, l’instauration de politiques innovantes pour renouer avec le plein-emploi

Mondialisation et robotisation, les acteurs d’un changement de paradigme

Si le chômage ne répond plus aux déterminants conjoncturels et structurels traditionnels, c’est que nos économies grandissent au sein de nouveaux paradigmes. Et le premier bouleversement sur le marché du travail porte un nom bien connu : mondialisation.

Grâce à l’interconnexion des pays, il est devenu aisé aux entreprises de bénéficier d’une main-d’œuvre moins chère à l’étranger. Cette possibilité a donc eu pour effet, en partie, la délocalisation. Cela a donc engendré des problématiques de désindustrialisation des économies occidentales, à l’origine d’une perte d’emplois nationaux. Ainsi, on observe qu’en France, entre 1980 et 2002, l’industrie a perdu 1 450 000 emplois. Sur cette même période, les importations en faveur des pays émergents ont augmenté.

En outre, on estime que l’ouverture aux échanges est responsable d’une perte sèche de 150 000 à 300 000 emplois (OFCE, 2005). De surcroît, au sein même de l’UE subsistent de grandes disparités de salaires. À ce titre, les coûts salariaux horaires en 2019 varient dans un rapport de 1 à 8 en Europe. Cette disparité en Europe est donc parfois à l’origine d’une délocalisation vers des pays ayant des coûts salariaux plus faibles.

Le nouveau paradigme dans lequel évolue le marché du travail consacre également l’essor de la robotisation

Or, la robotisation pose des problèmes en matière d’emploi. En ce sens, Frey et Osborne (The Future of Employment: How Susceptible are Jobs to Computerisation, 2013) démontrent que 47 % des emplois aux États-Unis sont menacés par la robotisation.

Cette conclusion est loin de celle de l’OCDE, qui démontre en 2016 que seules certaines tâches automatisables sont en réalité menacées. Cela correspond à 9 % des emplois en France et 6 % en Corée du Sud. Face à ces nouveaux défis, une protection des salariés semble s’imposer. Dès lors, une formation vers des métiers moins automatisables devient nécessaire afin de limiter cette substituabilité du capital au travail.

Ainsi, si la robotisation est à l’origine d’une perte d’emplois, elle en est aussi une grande source ! En effet, en vertu du processus de « destruction créatrice » développé par J. Schumpeter, les innovations se renouvellent sans cesse. L’extraction des matières premières, la conception des robots, leur vente et leur maintenance seront donc créatrices d’emplois. Philippe Aghion, économiste et professeur au Collège de France, nous enseigne l’importance des incitations à innover, véritables moteurs du processus de destruction créatrice.

Source : P. Aghion, L’Innovation et ses effets sur la croissance et l’emploi – Collège de France – 07/10/2016.

Polarisation et « ubérisation », les conséquences du changement de paradigme

L’instauration de ce nouveau paradigme est alors à l’origine d’une polarisation du marché du travail. En effet, pour D. Acemoglu et D. Autor (Skills, Tasks and Technologies: Implications for Employment and Earnings, 2010), il y a eu un maintien des professions très qualifiées du fait de leur protection envers les nouvelles technologies et un maintien des professions sans qualification du fait de leur impossible délocalisation.

Le marché du travail devient donc dual (P. Doeringer et M. Piore, Internal Labor Markets and Manpower Analysis). D’un côté, un marché primaire composé d’emplois qualifiés et bien rémunérés. De l’autre, un marché secondaire constitué d’emplois peu qualifiés, rémunérés au Smic et à durée déterminée.

En outre, A. Lindbeck et D. Snower (The Insider-Outsider Theory of Employment and Unemployment, 1981) vont plus loin, en démontrant l’existence d’un modèle « insiders-outsiders ». Selon eux, les insiders ont davantage de pouvoir de négociation, leur permettant de négocier une rémunération supérieure au salaire d’équilibre. En effet, l’embauche d’un outsider nécessitera des coûts de formation et d’aide des salariés déjà qualifiés qui perdront en compétitivité. Dès lors, le chômage pourrait s’expliquer par la « rente » des personnes déjà employées.

Ce nouveau paradigme a également fait émerger une certaine « ubérisation » de nos économies. Correspondant aux plateformes de mise en relation directe entre offreurs et demandeurs, ces outils semblent causer la disparition d’emplois intermédiaires. Néanmoins, la création d’emplois induite par ces plateformes nuance ce propos. À ce propos, dans son ouvrage Le Chômage, J. Freyssinet considère ceci :

« Le changement technique n’est pas par nature créateur ou destructeur d’emplois ; il modifie les conditions de détermination du niveau de l’emploi. La réponse ne réside pas dans le progrès technique, mais dans les modèles de régulation du système productif. »

Résoudre le problème de l’appariement sur le marché du travail

L’inadéquation entre les qualifications des salariés et celles requises par les emplois vacants peut aussi expliquer une partie du chômage. Ainsi, Mortensen et Pissarides (Job Creation and Job Destruction in the Theory of Unemployment, 1994) développent le modèle d’appariement.

D’après ce modèle, il existe un manque d’appariement entre l’offre et la demande de travail. À ce titre, les auteurs observent que les pays connaissant une situation de chômage connaissent également des emplois vacants. Certains connaissent même une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, ce qui n’est pas intégré par le modèle WS-PS.

Il est dès lors nécessaire que la qualification soit la plus proche que possible de l’emploi en question. En ce sens, il est possible d’inciter à la recherche d’emplois et de développer la formation continue. Cette incitation s’est traduite par la création du compte personnel d’activité (2016), notamment dans les secteurs d’avenir (numérique, biotechnologie…).

En outre, l’appariement est limité par les freins à la mobilité : le chômage peut alors trouver une cause géographique. Ainsi, pour A. J. Oswald, plus une population est propriétaire de sa résidence principale (ce qui est le cas pour 58,8 % des Français), ou d’un logement social (23 % des Français), plus le chômage est élevé, car ces populations ont tendance à être moins mobiles. Le développement du parc locatif privé pourrait alors être une solution à ce problème de mobilité.

Focus : la formation continue, solution d’avenir face au problème d’appariement

D’après la Dares, 362 000 postes offerts n’ont pas trouvé preneur au second semestre de 2022. Cela correspond à près de 2,4 % des offres d’emploi. La courbe de Beveridge illustre ce phénomène, avec un rapport entre taux de vacance des emplois et taux de chômage.

Face à ces emplois qui ne trouvent pas preneur, il semble désormais nécessaire de développer l’accès à la formation professionnelle continue. En effet, aménagée de concert avec les employeurs, la formation continue permet d’adapter les besoins du marché aux capacités des travailleurs. Par exemple, la loi « Avenir Professionnel » du 5 septembre 2018 a permis de concevoir l’apprentissage comme un service public reposant sur un marché ouvert à la concurrence. Cette ouverture à la concurrence permet alors de faire converger l’offre de formation et les besoins des entreprises.

En outre, afin de mieux former face au défi climatique, il serait possible d’acter un grand développement des formations spécialisées en RSE. Celles-ci permettraient alors d’alimenter l’offre de travail avec des salariés sensibilisés aux enjeux environnementaux. À long terme, on pourrait alors s’attendre à une diminution du nombre d’emplois vacants et à un verdissement du marché du travail.

Réinventer le marché du travail européen

Il semble également plus nécessaire que jamais de réinventer le marché du travail européen. En effet, son instauration, couplée à la libre circulation des travailleurs (article 45 du TFUE), devait être bénéfique à tous les États. La mise en place d’un véritable marché du travail européen permettrait alors le transfert de travailleurs des pays avec un fort taux de chômage vers les pays en besoin de travailleurs.

Cependant, certaines barrières administratives subsistent, empêchant l’instauration d’un tel marché. Les travailleurs ne voudraient pas risquer de perdre leur emploi à l’étranger sans avoir la garantie d’être accompagnés dans leur recherche d’emploi.

Pour pallier ce problème, une première solution serait d’appliquer le modèle de « flexisécurité » danois au sein de l’UE. En effet, ce fonctionnement permet de concilier la liberté d’embauche et de licenciement des employeurs avec une véritable protection des travailleurs licenciés, touchant des aides généreuses et étant véritablement accompagnés dans leur recherche d’emploi tout au long de leur parcours.

Grâce à ce modèle, le Danemark est parvenu à réduire son chômage de 4 %, celui-ci étant passé de 7 % en 1990 à 2,8 % en 2007. Mis en place conjointement par les pays membres de l’UE, ce modèle pourrait bien être la voie vers une forte réduction du chômage et vers l’accroissement de la mobilité des travailleurs européens.

Enfin, il est tout à fait possible d’imaginer un grand développement d’une assurance-chômage européenne. En effet, le regroupement de situations très hétérogènes pourrait permettre d’atténuer les chocs asymétriques et d’accroître la solidarité entre les membres de l’UE. À cet effet, le 21 octobre 2020, la Commission européenne a émis pour la première fois des obligations sociales sur les marchés financiers.

Ce mécanisme d’assurance-chômage européen consiste en la création d’un fonds européen soutenant les régimes d’assurance-chômage nationaux, dans le cas où ceux-ci se trouvent en grande difficulté. Ce mécanisme se financerait alors par le moyen d’une contribution versée par les États membres en période de croissance économique. D. Gros, économiste et directeur du Think-Tank Centre for European Policy Studies, évalue cette contribution à hauteur de 0,1 % du PIB annuel des États membres.

L’avenir du plein-emploi en France pourrait donc bien être une question largement européenne. Une fois de plus, un tel projet nécessitera une grande coopération au sein de l’UE, couplée à un optimisme de chaque instant. Mieux encore, alors que les problématiques écologiques prennent de plus en plus d’importance, tant pour les employeurs que pour les salariés, et que des solutions innovantes émergent sans cesse, n’est-ce pas le meilleur moment d’entreprendre la construction d’un marché du travail européen et vert ?

C’est sur cette perspective ambitieuse et européenne que prend fin notre article. Nous espérons qu’il t’aura permis de comprendre les théories du chômage et de découvrir quelques pistes de réflexion sur l’avenir du plein-emploi.

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