Dans un article paru le 24 janvier 2019 (The steam has gone out of globalisation), The Economist s’emparait du terme de « slowbalisation ». Emprunté à l’analyste néerlandais Adjiedj Bakas, ce mot-valise désigne le processus de ralentissement de la mondialisation. Et si cette décélération des échanges internationaux était déjà au cœur des débats lors de la période pré-Covid, la crise sanitaire a renforcé cette contraction. Aujourd’hui, les prévisions concernant la croissance économique mondiale sont pessimistes. Dans son dernier rapport, la Banque mondiale estime qu’elle ne dépassera guère les 1,7 % en 2023.
Dans cette perspective, comment expliquer un tel ralentissement de la croissance mondiale et des échanges ? Doit-on s’inquiéter du faible taux de croissance prévu pour cette année ? S’agit-il d’un déclin durable ou d’une simple restructuration des équilibres internationaux ? Quelles seront les conséquences écologiques et sociales d’une telle croissance ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous te proposons une analyse des prévisions de croissance pour 2023. Tu pourras utiliser les idées, chiffres, citations et exemples afin d’illustrer tes copies d’économie. Bonne lecture !
Les prospectives de croissance mondiale pour 2023
« La nouvelle année sera plus difficile que celle que nous laissons derrière nous. » Kristalina Georgieva
Le ton est donné. Dans une déclaration du 2 janvier 2023, la directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, annonce les difficultés auxquelles nous devrons faire face cette année. La Banque mondiale, autre institution implantée à Washington, table sur un ralentissement de l’économie mondiale. L’institution financière prévoit un taux de croissance de seulement 1,7 %, après les 2,9 % connus en 2022.
Cette année, un ralentissement généralisé est donc attendu. Les prévisions de croissance sont revues à la baisse pour 95 % des économies avancées et 70 % des pays en voie de développement (PED). Là encore, les scénarios diffèrent selon la situation économique des pays. Le taux de croissance des économies avancées devrait chuter de 2,5 % en 2022 à 0,5 % en 2023. Un tel ralentissement pourrait être annonciateur d’une récession mondiale. Aux États-Unis, la croissance économique devrait s’établir à 0,5 % en 2023. Il s’agit du taux le plus faible depuis 1970, hors périodes de récession. En outre, le taux de croissance des PED devrait ralentir de 3,8 % en 2022 à 2,7 % en 2023.
D’après les Perspectives économiques mondiales de la Banque mondiale, un taux de croissance de 2,7 % est attendu pour 2024. L’équilibre demeure cependant fragile. Toute nouvelle évolution défavorable, telle qu’une hausse brutale des taux d’intérêt, pourrait faire entrer l’économie mondiale en récession. Il s’agirait d’une première, depuis plus de 80 ans, que deux récessions se produisent lors de la même décennie. On observe ainsi cette prospective sur ce graphique, directement tiré du rapport.

Crise énergétique et inflation à l’origine d’une contraction des économies
La première raison de cette contraction des économies mondiales en 2023 est la crise énergétique impactant une partie du monde. Et l’inflation des matières premières, la hausse du prix de l’énergie, l’arrêt de certaines chaînes de production ainsi que l’incertitude généralisée sont autant de facteurs qui conduisent à un déclin des échanges internationaux. En particulier, les perturbations des chaînes de production chinoises sont à l’origine d’un ralentissement des économies exportatrices de matières premières. C’est notamment le cas de nombreux pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est.
De surcroît, alors que l’énergie est pour plus d’un tiers la principale composante du taux d’inflation, l’augmentation des prix constitue également une raison de ce déclin. Et le meilleur n’est pas forcément à venir. La raréfaction des ressources énergétiques et la transition écologique conduiront probablement à une mise sous pression des prix de l’énergie. En réaction à l’inflation, les hausses successives des taux directeurs par les banques centrales conduisent à une contraction de l’activité.
Par ailleurs, l’impact de l’inflation sur la croissance économique ne fait plus de doute. En 1991, Stanley Fischer démontrait déjà qu’une hausse de 10 points d’inflation provoquerait une perte d’un demi-point du PIB. Dans un article plus récent intitulé « Quels effets de la hausse des taux d’intérêt sur la croissance économique française ? » , Elliot Aurissergues, économiste, prévoit qu’un choc de taux d’intérêt de 2 % pourrait provoquer, toutes choses égales par ailleurs, une baisse du PIB français de l’ordre de 0,6 % à 0,8 % d’ici 2024/2025. L’inflation elle-même ainsi que les politiques de lutte contre l’inflation seront donc deux vecteurs de décélération de la croissance économique. De quoi inquiéter, donc, quant aux conjonctures économiques à venir.
Une hausse de l’endettement conduisant à une diminution de l’investissement
« Le niveau peu élevé des investissements est très préoccupant. Sans une croissance forte et soutenue de l’investissement, il est tout simplement impossible de faire des progrès significatifs dans la réalisation des objectifs de développement et de lutte contre le changement climatique. » Ayhan Kose, directeur des Perspectives de la Banque mondiale.
Un endettement public et privé en forte hausse
300 000 milliards de dollars. C’est le montant astronomique de la dette mondiale, publique et privée. Elle représente près de 350 % du PIB mondial. En ce sens, avec la crise sanitaire, les niveaux d’endettement des États ont largement évolué. On constate une augmentation de 20 % dans les économies avancées et 10 % dans les économies émergentes. Les États semblent avoir bel et bien réussi à atténuer le choc économique de 2020 grâce à un apport important en liquidités. Néanmoins, ces politiques économiques ne sont pas sans effets. Elles ont largement contribué à un essor de la dette, et en particulier de la dette privée.
D’après le FMI, la dette privée mondiale a connu une hausse de 13 % du PIB mondial en 2020. Cela pourrait conduire à un effet de frein sur la reprise pour les trois années à venir. Celui-ci pèserait alors 0,9 % du PIB des pays avancés et 1,3 % du PIB des pays émergents. L’institution prévoit en outre que ce frein à la croissance sera particulièrement puissant dans certains pays. C’est le cas des pays où l’endettement est concentré sur les ménages en difficulté financière et sur les entreprises vulnérables. C’est également le cas des pays au sein desquels l’espace budgétaire est restreint et le régime d’insolvabilité insuffisant.
Les conséquences de l’endettement sur l’investissement
À ce titre, les ménages à faible revenu et les entreprises vulnérables sont peu capables de supporter un endettement élevé. Ils seront alors davantage susceptibles de réduire leurs dépenses de consommation et d’investissement, deux composantes majeures de la croissance économique.
La hausse des taux d’intérêt conduira également à une diminution de l’investissement. Le FMI estime ainsi qu’un resserrement de 100 points de base des taux conduit à une baisse de 6,5 % de l’investissement des entreprises vulnérables, en cumul sur deux ans. Quoi qu’il en soit, la diminution de l’investissement, causée partiellement par la hausse de l’endettement global, est néfaste pour la croissance.
Pour contrer l’impact de l’endettement sur l’investissement et la croissance, le FMI propose ainsi certaines mesures à mettre en œuvre :
- d’une part, il serait opportun de renforcer les mécanismes de restructuration et d’insolvabilité. Dès lors, des procédures de restructuration extrajudiciaires spécifiques permettraient une réallocation du capital vers les entreprises les plus productives ;
- d’autre part, les gouvernements pourraient organiser des programmes de restructuration de dettes à bas coût. Ceux-ci auraient ainsi pour effet de transférer les ressources aux personnes vulnérables. Ces mêmes personnes, davantage susceptibles de dépenser leurs revenus, seraient à l’origine d’une relance de la croissance.
Focus – La croissance en zone euro : dans l’œil du cyclone
La zone euro fait partie des zones les plus touchées par cette contraction de la croissance mondiale. Les dernières prévisions publiées par la Commission européenne prévoient un taux de croissance de 0,9 % en zone euro. Et le taux n’atteint que les 0,6 % en France pour 2023. D’après l’institution européenne, plusieurs raisons expliquent ces tendances pessimistes : l’inflation, le resserrement des taux et l’atonicité de l’environnement extérieur. L’environnement extérieur manque en effet de dynamisme pour la Commission européenne. Les pays avancés ne connaissant qu’une croissance faible, ceux-ci apporteront peu de débouchés aux économies de la zone euro.
Il est intéressant d’étudier les prospectives au sein même de la zone euro pour mettre en exergue une certaine hétérogénéité. Malte enregistrera ainsi un taux particulièrement élevé, avec plus de 3,1 % de croissance économique. Dans le même temps, des pays touchés de plein fouet par la guerre en Ukraine enregistreront des taux très faibles. C’est notamment le cas de l’Allemagne et de l’Estonie, qui enregistreront respectivement 0,2 % et 0,1 % de croissance. On observe ainsi, sur le graphique ci-dessous, les prospectives de croissance, en 2023, pour les pays de la zone euro.

Enfin, l’un des symptômes européens du ternissement de la croissance mondiale est la forte dépréciation subie par la monnaie unique. Celle-ci alimentera alors la hausse des prix des biens importés ainsi que la situation financière des PME. Cela conduit une nouvelle fois à un ralentissement de la consommation et de l’investissement, deux moteurs de la croissance économique.
L’impact social et climatique de cette faible croissance
Les prévisions de croissance pour 2023 inquiètent les institutions financières internationales. Pour la Banque mondiale, ce ralentissement impactera fortement les pays les plus vulnérables. L’impact social pourrait donc être important dans certaines zones du globe, notamment en Afrique subsaharienne. Cette région concentre en effet 60 % des personnes en état d’extrême pauvreté du monde.
La faible croissance attendue pourrait donc constituer un frein à la lutte contre la pauvreté dans le monde. Kose prévoit ainsi une croissance de seulement 1 % du PIB par habitant en 2023, ce qu’il juge bien trop faible pour réduire durablement les inégalités.
En outre, la faible croissance économique mondiale attendue pour 2023 pourrait également freiner les investissements mondiaux pour la transition écologique. La lutte contre le réchauffement climatique pourrait donc se compliquer.
« Les investissements ont été faibles sur la décennie écoulée, plus encore sur les trois dernières années et ils devraient être encore plus faibles sur les deux prochaines années. » Ayhan Kose
Pire encore, dans ces conditions, certains pays n’auraient pas la capacité de faire face aux conséquences économiques d’une catastrophe climatique.
Conclusion
Pour conclure, force est de constater que les prévisions de croissance économique mondiale en 2023 publiées par la Banque mondiale sont graves. Elles ont plusieurs causes, et la plupart d’entre elles sont conjoncturelles. Pour certains, les signes d’une éventuelle récession se manifestent. Pour tous, la prudence est de mise. La mise en place de politiques mondiales de relance de la croissance économique semble donc devenir une priorité.
Si la relance actuelle de la croissance demeure limitée, il nous incombe de réinventer le monde de demain. À l’heure de la restructuration des économies, une relance de la croissance par l’innovation verte semble être une voie prometteuse. Dans cette perspective, les travaux de Philippe Aghion (Repenser la croissance économique, 2016) s’imposent en référence.
C’est la fin de notre article sur l’analyse des prospectives de croissance mondiale pour 2023 ! Nous espérons qu’il t’aura permis de cerner les enjeux de ce sujet majeur d’actualité économique. N’hésite pas à consulter les articles d’économie des prépas ECG ainsi que ceux du pôle littéraire ! Nous te proposons d’ailleurs toute cette année des articles en lien avec les prépas ENS D1 et D2, alors reste connecté·e !