Les billets d’avion low cost à moins de 10 euros, c’est fini. C’est en tout cas ce que déclarait en août 2022 à la BBC Michael O’Leary, PDG de Ryanair, compagnie aérienne appliquant des tarifs très bas à ses vols. Celui-ci reste optimiste sur la compétitivité de sa compagnie, en déclarant que « les gens continueront à voler fréquemment ».
Cependant, le PDG concède que les voyageurs seront désormais beaucoup plus sensibles aux prix. Et pour cause, le prix moyen du billet Ryanair augmentera de plus de 25 % dans les prochaines années. En voltige, on appelle ça une chandelle. La confiance de la compagnie dans sa clientèle future n’est pas due au hasard. Celle-ci repose depuis des années sur une véritable innovation disruptive : l’ultra low cost.
Néanmoins, en augmentant ses prix, Ryanair n’acte-t-elle pas également la fin de son modèle ultra low cost ? En outre, ces deux modèles sont-ils souhaitables en économie ? Face aux défis sociaux et environnementaux, et dans un contexte de sobriété, le modèle low cost n’est-il pas désuet ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous te proposons aujourd’hui une analyse du fonctionnement de cette stratégie, ainsi qu’une prospective sur l’avenir du low cost face aux défis de demain. Bonne lecture !
Le low cost, ou l’ascension vertigineuse d’un modèle hors norme
Afin d’étudier les contours de cette notion aux apparences simples, encore faut-il pouvoir la définir. En effet, la définition du low cost réunit deux conditions. Une dimension temporelle et une dimension reliée aux coûts. Ainsi, il correspond à une baisse durable des prix résultant nécessairement d’une diminution des coûts. Cette définition est stricte, ce qui induit qu’il ne faut pas la confondre avec d’autres stratégies de baisse des prix. En ce sens, lorsque cette baisse n’est pas liée à la diminution des coûts, il s’agit généralement d’un déstockage. De même, lorsque la baisse du prix de vente est temporaire, il s’agit de soldes ou encore d’un prix d’appel.
Si ce modèle s’est fortement développé, c’est que naturellement, ces prix bas attirent de nombreux consommateurs
D’une part, les consommateurs disposant de faibles revenus y voient le moyen de consommer à un prix défiant toute concurrence. D’autre part, le low cost présente un effet d’opportunité : pourquoi les consommateurs iraient acheter plus cher un bien similaire ? À cet égard, Emmanuel Combe (Le low cost, 2019) constate une très forte croissance des parts de marché des modèles low cost dans de nombreux secteurs. Ainsi, le low cost représente 40 % des parts de marché dans l’aérien et 37 % dans le marché de la téléphonie mobile.
Cette importante part au sein de ce dernier marché est notamment due, en France, à l’arrivée de l’opérateur Free. Dans La Concurrence (2021), E. Combe explique que cette arrivée est à l’origine d’une baisse du prix des factures de près de 30 % sur la période 2012/2013. L’auteur nous apprend que cette baisse des prix connaît deux raisons principales. D’une part, elle est mécaniquement due aux prix plus bas proposés par Free. D’autre part, elle est due au fait que les autres opérateurs ont aussi réagi en proposant leur offre low cost.
Son fonctionnement économique
Le low cost semble reposer sur trois grands piliers : les coûts unitaires de production (permettant de développer des économies d’échelle), l’élasticité de la demande et l’intensité de la concurrence au sein du marché.
Les économies d’échelle, moteur du mécanisme low cost
En premier lieu, pour pouvoir développer des produits low cost, la firme doit réaliser des économies d’échelle. À cet égard, les coûts unitaires de production jouent un rôle primordial dans la stratégie de pricing des entreprises. Les économies d’échelle existent quand l’entreprise diminue le coût unitaire de production, tout en augmentant la quantité produite. Ainsi, plus elle produit, moins le coût de la dernière unité produite est important.
À ce titre, chaque firme doit faire face à des coûts fixes dans l’ensemble de la production. Lorsque le volume de production croît, l’entreprise peut alors répartir ces coûts sur de nouveaux produits. Cette répartition permet alors naturellement une baisse du coût unitaire de production. Cependant, à l’inverse des coûts fixes, les coûts variables totaux augmentent avec le volume de production.
Ainsi, on parle d’économies d’échelle lorsque le niveau de production est tel que la hausse des ventes est supérieure à la hausse des coûts totaux. Le graphique ci-dessous te permettra de représenter graphiquement les économies d’échelle réalisées par les producteurs low cost.
Économies d’échelle réalisées par les producteurs low cost
L’importance du degré de concurrence et des caractéristiques de la demande
L’instauration d’un modèle low cost dépend du degré de concurrence présent au sein du marché. En effet, plus la concurrence est rude entre les firmes, plus elles seront tentées de se différencier. Et le mode de différenciation le plus communément utilisé par les entreprises est la baisse des prix de vente. En optant pour une différenciation par le bas, elles proposent un produit moins cher, et parfois de moins bonne qualité. Ainsi, pour que ce modèle puisse fonctionner, il est nécessaire que les clients sacrifient une partie de la qualité du produit pour des prix plus bas. C’est ici que réside toute l’importance de la notion d’élasticité.
En effet, l’instauration d’un modèle low cost est subordonnée au degré d’élasticité-prix de la demande. En ce sens, la stratégie de low cost adoptée par une entreprise sera d’autant plus efficace que l’élasticité-prix de la demande au sein de son marché est importante. Cela signifie que plus les consommateurs sont sensibles à l’évolution des prix, plus ils se dirigeront vers des offres moins chères. Cette élasticité de la demande, couplée à un degré élevé de concurrence, a alimenté de nombreux textes réglementant le low cost.
Ainsi, adoptée en 2008, la loi sur la modernisation de l’économie a ainsi eu pour objectif de faciliter le développement des modèles low cost. Cette loi fut alors proposée à la suite de la publication du rapport au ministère de l’Économie intitulé : Le lowcost, un levier pour le pouvoir d’achat. (Beigbeder, 2007).
Focus : l’envolée de l’ultra low cost dans le secteur aérien
Les compagnies ultra low cost, grandes gagnantes de la crise
S’il existe bien un secteur au sein duquel les compagnies low cost s’opposent frontalement aux compagnies haut de gamme, c’est le secteur aérien. D’autant plus qu’une nouvelle composante entre en jeu : le coût du carburant.
Les prix du kérosène s’envolent. Et à contre-courant des présupposés, les compagnies aériennes les moins impactées seront celles ayant adopté une stratégie ultra low cost. En effet, la hausse du prix des billets conduit à un double effet sur les clients des compagnies classiques. D’une part, une partie de leur clientèle arrêtera de voyager dans l’attente d’une nouvelle baisse des prix. D’autre part, certains clients choisiront de reporter leur choix vers des compagnies ultra low cost.
C’est précisément cette substitution qui semble être à l’origine de la confiance du PDG de Ryanair, évoquée plus tôt. Cette compagnie ultra low cost est donc sortie renforcée de la crise, contrairement aux compagnies classiques et middle-cost.
Voici une explication détaillée de cette résistance surprenante de l’ultra low cost
Emmanuel Combe – La Fin du modèle low cost : et si les compagnies aériennes ultra low cost étaient les grandes gagnantes du secteur aérien ? – BFM Business – 12/08/2022
Comme tu as pu l’entendre dans cet extrait, une compagnie ultra low cost comme Ryanair transporte ses passagers au coût de trois centimes du kilomètre, contre cinq centimes pour une compagnie middle-cost (EasyJet), ou encore neuf centimes pour une compagnie traditionnelle (Air France). Ces coûts particulièrement bas permettent en grande partie de proposer des billets d’avion à des prix compétitifs. Néanmoins, la stratégie ultra low cost ne s’arrête pas au coût du carburant : c’est toute l’expérience voyageur qui est altérée.
Herb Kelleher, ex-PDG de la compagnie aérienne ultra low cost Southwest, résumait ainsi sa stratégie comme suit :
« Pour qu’un client bénéficie d’un prix extrêmement attractif, Southwest prend en charge son transport, mais uniquement son transport. »
Une stratégie ultra low cost s’étendant à d’autres marchés
L’application d’une stratégie ultra low cost est donc conditionnée à une certaine forme de sobriété, justifiant de ne proposer que l’essentiel. Et cette même sobriété semble s’être également étendue au sein d’autres marchés, tels que le secteur automobile. En effet, le 11 janvier 2008, la Tata Nano, présentée comme la voiture la moins chère du monde, avait pour ambition de conquérir le marché automobile. Fabriquée et vendue en Inde au prix de 2 500 dollars, de forme cubique et d’inspiration ultraminimaliste, la voiture est dotée pour moitié de composants achetés après une mise en concurrence des fournisseurs.
La stratégie de pricing ultra-agressive proposée par la marque indienne stimulait ainsi la concurrence mondiale. Quelques années plus tard, Renault s’associe avec le constructeur indien Bajaj afin de lancer un modèle au nom plutôt explicite : ULC, pour ultra low cost.
Autre exemple : le marché de l’alimentation. Alors que le budget alimentaire des Français se chiffre à 470 €/mois et que l’inflation ne cesse d’accélérer au sein de la zone euro, les enseignes low cost battent leur plein. D’après un sondage OpinionWay, pour 96 % des Français, le prix est le critère le plus important lors de leurs courses. Par conséquent, c’est l’enseigne d’alimentation la moins chère, E. Leclerc, qui s’accapare les plus grandes parts de marché, séduisant plus de 24 % des Français.
On observe donc bien qu’en situation de concurrence accrue et de forte élasticité-prix de la demande, les conditions d’instauration d’un modèle low cost sont réunies.
Cependant, dans un contexte mondial de hausse du prix de l’énergie, d’accroissement des pauvretés et de crise environnementale, ne devrait-on pas plutôt privilégier la sobriété à l’abondance ?
Face aux défis de demain, le low cost doit se réinventer
Face au défi social : produire à bas coût, à quel prix ?
Si les avantages sont nombreux, les défis le sont tout autant. Le premier est social : comment produire à bas coût sans augmenter les inégalités ?
En effet, la production low cost nécessite souvent d’opérer un mouvement de délocalisation. En ce sens, avec l’interconnexion des pays, il devient aisé de bénéficier d’une main-d’œuvre moins chère à l’étranger. Son prix caché est peut-être donc celui de la désindustrialisation.
À ce titre, entre 1980 et 2002, on observe une perte sèche de 1 450 000 emplois en France. Cette perte a pour corollaire une augmentation des importations en faveur des pays émergents. De surcroît, il existe de très fortes disparités au sein même de l’Europe : les coûts salariaux horaires en 2019 varient dans une fourchette de 1 à 8. La production low cost passe donc parfois par une délocalisation vers ces pays où la main-d’œuvre est bon marché.
Néanmoins, la délocalisation semble également être à l’origine de certains effets positifs pour nos économies. Grossman et Rossi-Hansberg (Trading Tasks: A Simple Theory of Offshoring, 2006) énoncent trois effets de la délocalisation : un effet prix (gain de pouvoir d’achat), un effet emploi (diminution du salaire d’équilibre) et un effet productivité (secteurs plus compétitifs).
Le bilan de ce modèle paraît donc difficile à dresser : il existe à la fois des gains de pouvoir d’achat, mais aussi des inégalités en termes de salaires. Dès lors, il faut être conscient que le gain de pouvoir d’achat peut se déverser sur d’autres secteurs nationaux. En ce sens, les pouvoirs publics jouent un rôle important. L’État peut opérer une grande redistribution vers des secteurs en restructuration pour mieux appréhender la reconversion vers de nouvelles industries. C’était ainsi, par exemple, l’objectif du Plan Acier, lancé par P. Mauroy en 1984.
Réinventer le low cost pour faire face aux enjeux environnementaux
L’adoption de stratégies low cost est intimement liée au degré de concurrence sur le marché. Dès lors, pour faire face aux nouveaux défis environnementaux, c’est tout le droit de la concurrence qui doit verdir. À ce titre, une coopération entre les entreprises low cost devient inévitable afin d’atteindre les objectifs environnementaux fixés pour l’horizon 2050.
Aujourd’hui, cette même coopération semble freinée en raison d’une crainte d’une violation du droit de la concurrence. En ce sens, il faudrait permettre d’établir les conditions dans lesquelles ces entreprises low cost peuvent coopérer concernant leur impact environnemental, sans pour autant déroger au droit de la concurrence. Elles pourraient, par exemple, partager davantage leurs chaînes de production.
Concernant le secteur aérien, les pouvoirs publics commencent à s’emparer de la question. À ce titre, l’Union européenne a intégré au sein de son marché des « droits à polluer » pour compenser les émissions de l’aviation intraeuropéenne. Cette avancée constitue un premier pas vers un plafond d’émissions pour les vols de courte distance.
Enfin, dans une tribune au Monde du 21/09/2018, P. Moati considère que le low cost a toute sa place dans une réorientation des offres marchandes dans le sens d’une « bonne consommation ». Cette nouvelle offre, qui se concentre toujours sur l’essentiel et se détache des modèles classiques de l’hyperconsommation, pourrait donc bien être un chemin viable vers la sobriété.
C’est sur cette perspective ambitieuse que prend fin notre article. Nous espérons qu’il t’aura permis de mieux appréhender les grands enjeux du low cost et de découvrir quelques pistes de réflexion sur son renouveau.
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