Depuis les années 1980, chaque Président de la République annonce vouloir considérer la dette publique comme un défi pour la France et, par conséquent, vouloir la réduire. Pourtant, cette dette n’a cessé d’augmenter au fil des années, passant de 74 milliards en 1978 à plus de 3 100 milliards fin 2023. Soit une augmentation d’environ + 3 194 %, et ce, malgré de nombreuses tentatives de la réduire. Il s’agit aujourd’hui d’un débat récurrent où chaque politicien rejette la faute sur ses prédécesseurs sans pour autant passer à l’action ou proposer des mesures concrètes et réalisables.
Nouveau record pour la dette publique de la France
Avant d’évoquer en profondeur la question de la dette publique, commençons par la définir. La dette publique est l’ensemble des obligations et des emprunts financiers détenus par un État.
L’État est en excédent lorsque les recettes sont supérieures aux dépenses et en déficit lorsque les dépenses sont supérieures aux recettes. Le déficit accumulé des différents organismes publics forme ainsi le déficit public. Dans le cas de la France, qui est découpée en plusieurs échelons administratifs, la dette publique comprend la dette des administrations centrales (ministères, fonctions régaliennes…), des collectivités territoriales (régions, départements, métropoles, communes) et de la sécurité sociale (maladie, famille, retraite).
Un déficit public qui ne cesse de s’alourdir depuis plusieurs années
Aujourd’hui, la France dépense au-dessus de ses moyens, malgré des efforts qui ont été faits sous la présidence de François Hollande, où le déficit public était passé de 104 milliards d’euros en 2012 à 54 milliards en 2018. Il est ensuite remonté dès le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, repassant à 73 milliards en 2019 (crise sociale des Gilets jaunes). Puis est venue la crise sanitaire qui a lourdement impacté les politiques et les économies mondiales.
Le fort ralentissement de l’activité économique entre 2020 et 2021, à cause des confinements et des couvre-feux, a réduit le chiffre d’affaires des entreprises ainsi que les bénéfices du fait du maintien de certaines charges à l’instar des loyers, remboursements des prêts, créances fournisseurs… En conséquence, les entreprises payaient moins d’impôts (moins de TVA, car chute de la consommation des ménages, baisse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés et des taxes imposées sur certains produits).
Les recettes de l’État ont ainsi baissé en 2020 alors que, parallèlement, les dépenses ont drastiquement augmenté par la nécessité de maintenir le service public, de financer le chômage technique, d’aider les entreprises en difficulté ou encore de financer les frais de santé, dont les frais d’hospitalisation, de vaccin, de test de dépistage… Résultat, en 2020, le déficit public s’établissait à 208 milliards d’euros avant de redescendre à 162 milliards en 2021 et à 124 milliards en 2022.
Néanmoins, sans qu’il n’y ait eu aucun événement particulier sur le plan international et national, à part une forte inflation et certes des émeutes durant l’été, le déficit public a lui aussi fortement augmenté, repassant à 154 milliards d’euros en 2023. Selon les prévisions de Bercy, qui a par ailleurs revu ses prévisions de croissance à la baisse pour l’année 2024, il est attendu un déficit public plus élevé que prévu, pouvant atteindre les 5,6 % du PIB. Pire encore, selon des parlementaires qui ont eu accès à des documents de Bercy en mars 2024, le déficit public pourrait s’aggraver davantage si le gouvernement ne prenait pas de réelles mesures. Il pourrait atteindre cette fois-ci les 5,7 % du PIB en 2024 et les 5,9 % en 2025.
Une dette qui est devenue chronique
Au 31 mars 2024, la dette de la France a atteint les 3 013 milliards d’euros, selon l’Insee, s’élevant ainsi à 112,5 % du PIB. Alors que, selon le cadre européen, elle ne devrait pas être supérieure à 60 % du PIB. Parallèlement à la hausse de la dette, ce sont les intérêts qui augmentent mécaniquement du fait de la hausse des taux d’intérêt. Ces derniers sont passés d’un taux quasiment nul, il y a quelques années, à 3 % aujourd’hui à cause de l’inflation, 10 % des emprunts effectués par l’État étant à taux variables et fluctuant selon le niveau d’inflation à l’échelle française et européenne, mais aussi à cause du poids de la dette devenu très lourd.
En 2024, la dette représente le quatrième poste du budget de l’État à un niveau qui se rapproche de celui de l’éducation ou des armées. Cette année, les intérêts de la dette frôleraient les 50 milliards d’euros et pourraient atteindre les 70 milliards d’euros en 2027 selon Bercy. Alors qu’en 2017, les charges de la dette « ne représentaient que » 34 milliards d’euros. Une dette devenue presque insoutenable au point que l’État doit réemprunter pour rembourser ses emprunts arrivés à échéance. On parle alors d’effet boule de neige.
La France n’est pas le seul pays dans une situation budgétaire déficitaire
Dans la zone euro, la France détient la seconde place du plus grand déficit public pour 2023 et les prévisions de 2024. Elle se situe après la Belgique, mais est suivie de près par la Slovaquie et l’Italie.
En revanche, ce qui peut être surprenant, c’est le cas de la Grèce. Ce pays figure parmi les bons élèves de l’Europe en matière de déficit public (1,6 % en 2023 et 0,75 % en 2024, selon les prévisions). Et ce, alors que sa dette publique est l’une des plus importantes de la zone euro (165 % du PIB fin 2023).
Parallèlement, deux pays ont connu en 2023 un excédent public : Chypre et l’Irlande. Excédent public qui devrait se renouveler en 2024.
Pourquoi s’obstiner à vouloir rembourser une dette publique aussi importante ?
Le traité de Maastricht fixe un cadre européen clair en matière d’équilibre budgétaire
Le traité de Maastricht, signé dans la même ville (Pays-Bas) en 1992, aussi nommé traité de l’Union européenne, institue les principaux principes de collaboration au sein de l’union tant sur le plan politique (intérieur et extérieur) qu’économique. Imposant ainsi plusieurs règles que les États membres doivent respecter.
Sur le plan budgétaire, il s’agit notamment des 3 % (du PIB) de déficit public, ou encore des 60 % de dette publique. Néanmoins, ces règles budgétaires ont été suspendues durant la Covid-19 dès mars 2020 jusqu’à très récemment, fin 2023. Et ce, en raison des dépenses publiques très élevées dans de nombreux États membres de l’Union européenne nécessaires à cause de la crise sanitaire, puis économique. Pourtant, ces 15 dernières années, le déficit public français n’a respecté les 3 % du PIB qu’en 2017, 2018 et 2019.
Faire de la France un bon élève des agences de notation
Régulièrement, les agences de notation notent la situation des finances publiques et la capacité des États à rembourser leur dette mais, depuis des années, la note de la France a tendance à baisser. Au 1er décembre 2023, par exemple, l’agence Standard & Poor’s avait annoncé maintenir la note de « AA » à la France. Les notes de ces agents peuvent aller de « AAA », quand la capacité de remboursement d’un organisme (entreprise, association, établissement de crédit, collectivité territoriale, État) est très bonne, à « D », quand ce dernier est considéré en défaut de paiement.
Cette note permet aux prêteurs, aux créanciers potentiels et aux investisseurs d’agir et de prendre des décisions, notamment sur le marché des obligations. Dans le calcul de la note attribuée aux États, plusieurs critères sont pris en compte : le PIB, le déficit public, la dette publique, le taux d’inflation, la stabilité politique, le niveau de croissance, mais aussi l’historique des défauts de paiement connus par l’État…
Il est important de noter que le calcul de la note pour des organismes privés n’est pas le même que pour un État. En outre, les agences de notation sont très réglementées au sein de l’Union européenne. Et bien qu’elles soient essentiellement anglo-saxonnes et notamment américaines, elles sont soumises à la réglementation européenne, très exigeante en la matière.
Sauvegarder notre souveraineté et notre indépendance
Il est intéressant de noter qu’en 2023, la dette publique française était détenue à 53 % par des non-résidents, selon l’Insee. C’est-à-dire par des personnes physiques ou morales étrangères. Ce qui peut être est « rassurant », c’est qu’environ 50 % de cette part de la dette est détenue par des acteurs européens qui ont des intérêts qui peuvent certes diverger des nôtres, mais proches. Mais 50% de cette même part est détenue par des agents économiques hors Europe, qui peuvent avoir une influence sur nos décisions politiques et économiques à long terme.
Tant que la France reste solvable, nous ne rencontrerons pas trop ce problème, et encore… Mais dans l’hypothèse où nous serions en incapacité à rembourser une partie de cette dette, nous dépendrons de pays étrangers qui ne nous réclameront plus le remboursement forcément de la dette, mais plutôt la cession d’une infrastructure publique (port, aéroport…) ou d’une part de notre souveraineté sur certaines décisions. La Chine est assez forte en la matière, notamment en Afrique, mais déjà un peu en Europe.
Quelles mesures concrètes pour relancer les finances publiques ?
Réduire les dépenses ou augmenter les impôts et taxes
Pour réduire le déficit public et « tenter » de réduire la dette publique, le gouvernement souhaiterait trouver des économies dans les ministères (10 milliards d’euros) ou encore dans la sécurité et la protection sociale. Notamment en révisant les règles sur les indemnités de chômage, en augmentant le coût des médicaments pour les ménages (doublement de la franchise médicale le 31 mars 2024) ou encore en appliquant une restriction d’accès à certaines prestations.
Cette « coupe budgétaire » devrait se poursuivre en 2025, Bruno Le Maire a annoncé récemment vouloir trouver une économie de 20 milliards d’euros dans les dépenses de l’État, la jugeant « nécessaire ». Par ailleurs, dès l’été 2024, le gouvernement pourrait envisager un projet de loi de finances rectificatives si jamais les recettes de l’État baissaient significativement. En 2025, pourraient également être visées les politiques venant en aide aux entreprises, les politiques de l’emploi, de la Sécurité sociale, les dépenses immobilières des ministères…
Avec ces mesures proposées, le gouvernement aimerait que les collectivités territoriales prennent également leur part dans cette démarche d’économie. Mais les collectivités territoriales se disent démunies alors que certains impôts locaux ont baissé (disparition de la taxe d’habitation pour les résidences principales notamment), que les salaires pèsent de plus en plus lourd dans le budget des collectivités, que le prix de l’énergie a également augmenté et que le coût des travaux et d’aménagement flambe également…
Conséquence de tout cela, alors que le gouvernement refuse l’idée d’augmenter les impôts pour les ménages, de nombreuses collectivités territoriales ont déjà dû rehausser la taxe foncière pour 2024. Ceci pour compenser la hausse de leurs dépenses causées par la conjoncture économique et certaines politiques de l’État de ces dernières années.
Et si le problème était structurel ?
Les responsables politiques en fonction évoquent souvent la nécessité de réduire les dépenses publiques ou d’augmenter les impôts, mais peu osent réellement remettre en cause certains aspects structurels de l’État, bien que certains gouvernements aient essayé sans succès.
Revenons à 2015 quand le gouvernement de Manuel Valls a fait adopter une loi visant à réformer les collectivités territoriales en réduisant le nombre de régions de 22 à 13 en France métropolitaine et en octroyant plus de responsabilités aux régions, parfois au détriment des départements. Cette réforme devait permettre de se conformer à la taille moyenne des régions au sein de l’Union européenne, permettre une meilleure efficacité administrative et permettre de faire des économies.
Concernant ces deux derniers objectifs, c’est un peu raté… La France a plusieurs difficultés dans l’attribution des compétences des différents organismes publics et collectivités territoriales avec de nombreux échelons administratifs : communes, groupements de communes, métropoles, départements, régions. À côté des collectivités territoriales, la France dispose de 234 sous-préfectures et de 101 préfectures. Chaque collectivité territoriale ou organisme public veut pouvoir disposer d’une certaine forme d’autonomie, veut avoir des missions et, pour ce faire, demande des moyens financiers supplémentaires.
Mais le principal problème, c’est que certaines tâches administratives ou missions particulières sont attribuées à plusieurs organismes en même temps. Ce qui devient compliqué pour les usagers et qui surtout représente un coût considérable en matière de fonctionnaires, de besoin en locaux ou encore en outils informatiques. Cette réforme territoriale de 2015 a plutôt créé des doublons administratifs supplémentaires et n’a absolument pas réduit les coûts, comme cela avait été espéré par le gouvernement de l’époque.
Autre difficulté typiquement française : le nombre de hauts fonctionnaires, où beaucoup disposent d’un emploi à vie et d’un salaire moyen proche de 8 000 € net. Parmi ces hauts fonctionnaires, il y a les ambassadeurs (182), les préfets (200 pour 101 préfectures), les sous-préfets (600 pour 234 sous-préfectures), ou encore les directeurs des administrations centrales. Ces hauts fonctionnaires, tout comme de nombreux élus ou responsables politiques, peuvent bénéficier de plusieurs avantages même après avoir quitté leurs fonctions officielles. Le tout, financé par l’argent public…
Conclusion
La dette publique s’alourdit chaque année un peu plus, malgré les promesses des responsables politiques de prendre des mesures fortes pour la réduire. Mais ces derniers sont souvent confrontés à un dilemme : choisir entre l’impopularité et la critique.
Si les gouvernements baissent les dépenses publiques ou augmentent les impôts et taxes, ils connaîtront l’impopularité. Et s’ils maintiennent et augmentent les dépenses publiques ou baissent les impôts même sur le court terme, ils seront vivement critiqués par les oppositions et les électeurs pour leur gestion « inquiétante » des finances publiques. Alors, pour résoudre cette maladie chronique de l’endettement, peut-être vaut-il mieux aller guérir la source de tous les maux qui, finalement, est peut-être structurelle plutôt que de se contenter d’ajustements économiques et politiques.