Démondialisation

Voici la deuxième partie de notre fiche consacrée à l’ouvrage de Serge d’Agostino, La Démondialisation, mythe ou réalité ? Si ce n’est pas déjà fait, n’hésite pas à consulter la première partie de cette fiche, qui est disponible juste ici. Bonne lecture !

Au XXIᵉ siècle, la démondialisation est-elle en cours ?

Au début de notre siècle, la mondialisation atteint un degré d’intensité inédit. Néanmoins, certains indicateurs peuvent suggérer une inflexion dans le sens de la démondialisation, sans encore pouvoir affirmer avec certitude qu’il s’agit d’une évolution structurelle.

Le commerce mondial

Le commerce international s’accroît fortement depuis les années 1950. Toutefois, depuis la crise des subprimes, le rythme de croissance des échanges internationaux ralentit et son poids dans le PIB stagne. Pire encore, d’après l’OMC, son poids dans la création de richesses mondiales devrait régresser dans les années à venir.

L’élasticité du commerce international à la croissance s’inscrit dans une tendance baissière depuis les années 1990, au cours desquelles elle était supérieure à 2. Depuis, cette élasticité diminue progressivement et tombe à environ 1,3 depuis 2010.

Et ces évolutions peuvent être interprétées comme le début d’une période de démondialisation. L’OMC elle-même constate l’apparition de mesures restrictives à l’importation depuis quelques années :

« L’environnement commercial international est caractérisé par des tensions commerciales croissantes. » OMC (Examen statistique du commerce mondial, 2019).

Selon les données du Global Trade Alert, les mesures protectionnistes prises par les États ont connu une accélération depuis 2018. Entre 70 % et 75 % des exportations mondiales de biens sont exposées à ces mesures en 2019. Pour les seuls pays du G20, environ 55 % de leurs exportations sont concernées. Ces mesures protectionnistes peuvent alors êtres tarifaires (c’est le cas du conflit commercial entre la Chine et les États-Unis depuis 2018) ou non tarifaires (via des subventions accordées aux entreprises pour affronter la concurrence importatrice).

On observe bien une tendance vers davantage de restrictions aux échanges pouvant annoncer une démondialisation. Il est cependant nécessaire de nuancer l’interprétation du ralentissement des échanges. D’une part, les prix des produits primaires s’inscrivent dans une période baissière depuis 2011 (hors période actuelle d’inflation). Cela pèse donc naturellement sur la valeur des flux de marchandises. D’autre part, le freinage du commerce mondial est aussi la conséquence du ralentissement de la croissance économique. Ce ralentissement semble dû aux crises des subprimes et de la Covid-19.

L’activité des firmes multinationales

Depuis quelques années, l’évolution des chaînes de valeur mondiales (CVM) structurées par les firmes multinationales semble traduire une tendance à la démondialisation. D’après la Banque mondiale, une chaîne de valeur mondiale est constituée par la série d’étapes de la production d’un produit ou d’un service destiné au consommateur. Au moins deux étapes doivent alors se trouver dans des pays différents.

Environ la moitié du commerce mondial est liée aux CVM, et cette proportion s’élevait à deux tiers en 1970. L’expansion des CVM est la traduction d’un poids croissant des firmes multinationales dans le monde. Celles-ci fragmentent en effet leurs productions en fonction des avantages comparatifs des pays. Néanmoins, le poids des échanges induits par les CVM diminue depuis la crise des subprimes.

En outre, la fragmentation de la production peut s’avérer d’autant plus vulnérable qu’elle est très poussée. Ainsi, toute défaillance de l’une de ses parties peut être très coûteuse. Par exemple, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a créé des chocs majeurs sur les chaînes de valeur mondiales. Les entreprises éprouvent ainsi de très nombreuses difficultés à se procurer certains produits.

En outre, l’incertitude qui caractérise le contexte économique et politique mondial conduit à une prudence des firmes. Elles tendent alors à raccourcir leurs CVM, et donc les flux d’échanges mondiaux afférents ralentissent ou diminuent. Plus globalement, ces évolutions s’inscrivent dans une tendance de moindre dynamisme des investissements internationaux des firmes multinationales. En plus des effets de l’évolution des CVM, des règles restrictives impactent les flux d’investissements entrants. Ces règles peuvent alors être des priorités données à l’embauche d’une main-d’œuvre locale, des incitations à recourir à des fournisseurs locaux, etc.

On observe ainsi cette tendance sur le graphique suivant, réalisé par la CNUCED.

Rapport sur l'investissement dans le monde, CNUCED, 2022
Source : Rapport sur l’investissement dans le monde, CNUCED, 2022

Démondialisation ou nouvelle phase de la mondialisation ?

L’infléchissement de la mondialisation

Ici, l’auteur explique que la mondialisation atteint un point de bascule, passant d’une intensité très forte à un changement de rythme incertain. Le monde devient multipolaire, avec des relations internationales plus tendues. Semble alors s’amorcer une phase de « slowbalisation », mot-valise introduit par Adjiedj Bakas, caractérisant un ralentissement de la mondialisation.

En ce sens, sur une douzaine d’indicateurs traduisant la mondialisation, huit révèlent le recul ou la stagnation de ce processus. C’est notamment le cas du tassement des flux d’investissements, commerciaux et financiers. En revanche, la mondialisation est toujours d’actualité en ce qui concerne les migrations vers les pays riches, l’envoi international de colis ou encore le volume de données franchissant les frontières.

Un indice établi par le Centre de recherches conjoncturelles de Zurich (le KOF) fait état d’un ralentissement de la mondialisation. Cet indice de mondialisation est établi autour de trois dimensions : la mondialisation économique, sociale et politique. Depuis 2010, l’indice du KOF, portant sur 197 pays, révèle un freinage de la mondialisation générale, même s’il opère des différences entre les catégories de mondialisation.

Ainsi, la mondialisation économique ne progresse plus depuis 2007 : le commerce international ralentit et la globalisation financière semble enregistrer un moindre freinage. La mondialisation sociale progresse peu depuis quelques années et la mondialisation politique se poursuit modérément.

En 2020 (dernière date à avoir fait l’objet d’un calcul), l’indice du pays le plus mondialisé, la Suisse, dépasse les 90,6 (sur 100). L’Érythrée, pays le moins mondialisé, enregistre un indice peu supérieur à 30. L’indice médian, lui, est proche de 60.

Indice de mondialisation du KOF
Indice de mondialisation du KOF, 2020. Vert = France. Bleu = Monde

Perspectives de croissance et démondialisation

Il ressort de l’ensemble des constats précédents que la mondialisation connaît un infléchissement de son rythme d’extension. Si cela peut être annonciateur d’une phase de démondialisation, il est également possible que cette inflexion ne soit que temporaire. Il pourrait en effet s’agir de la simple conséquence du ralentissement de la croissance mondiale et de la production industrielle. Le freinage de la demande est notamment causé par les ajustements opérés par les entreprises afin d’assainir leurs bilans. De même, l’inquiétude des ménages n’est pas de nature à stimuler les échanges internationaux.

Néanmoins, selon certains auteurs, la croissance pourrait rester limitée pour une longue période : c’est la stagnation séculaire. Celle-ci est caractérisée par des gains de productivité modestes en dépit des progrès technologiques et d’une demande peu dynamique.

En ce sens, pour l’économiste américain Robert J. Gordon, à l’inverse des innovations passées (électricité, automobile, aérien, etc.), les innovations actuelles n’ont que trop peu d’impact sur la productivité du travail. Ces constats induisent donc une limitation de l’offre. À l’inverse, pour Larry Summers, l’insuffisance de la demande est davantage concernée. En effet, selon lui, les inégalités de revenus croissantes dans un grand nombre de pays pèsent sur la consommation. Ainsi, la propension à consommer des catégories les plus favorisées est plus faible que celles des titulaires des plus bas revenus.

Si le ralentissement de la croissance mondiale devient structurel, une relation peut être établie entre l’infléchissement de la mondialisation et la décroissance. En ce sens, si les aspirations des promoteurs de la décroissance rencontrent à l’avenir un plus large écho, le freinage de la mondialisation enregistré ces dernières années pourrait se transformer en franc recul. Mais ce scénario n’est, bien évidemment, en rien assuré.

Conclusion

C’est déjà la fin de la deuxième partie de cette fiche de lecture de l’ouvrage très complet de Serge d’Agostino. Nous espérons qu’elle t’aura permis de cerner les grands enjeux de la démondialisation et les risques qu’elle pourrait porter. La troisième et dernière partie de l’article arrivera très prochainement.

En attendant, n’hésite pas à consulter les articles d’économie des prépas ECG ainsi que ceux du pôle littéraire ! Nous te proposons d’ailleurs toute cette année des articles en lien avec les prépas ENS D1 et D2, alors reste connecté·e !