L’intersectionnalité se fait de plus en plus présente dans les médias et revient fréquemment dans les publications de sciences sociales. Malheureusement, elle est souvent mal, voire pas définie. Pourtant, le concept d’intersectionnalité est précieux et peut te permettre de développer des raisonnements originaux dans tes dissertations de SES ou de philosophie.
À partir de l’article « Démarginaliser l’intersection de la race et du sexe » (1989) de Kimberlé Crenshaw, nous te proposons d’en apprendre plus sur le sujet !
Quelques éléments de contexte sur l’autrice

Kimberlé Crenshaw est une professeure de droit à l’Université de Californie. Activiste des droits civiques et féministes, elle est engagée dans des associations et des think tanks antisexistes et antiracistes.
Dans son article « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex » paru en 1989 dans une revue de droit de l’Université de Chicago, elle développe le concept d’intersectionnalité. Il a depuis été repris dans des travaux de sciences humaines et sociales, notamment en sociologie et en philosophie. Certains acteurs politiques l’appliquent même à leur programme.
Définition de l’intersectionnalité
Dans son article, Crenshaw dénonce le « schéma de pensée à axe unique » (single-axis framework) des militants luttant contre les discriminations de genre, de race et de classe. Selon elle, ils considèrent ces trois composantes comme des catégories totalement séparées. Problème : certaines personnes correspondent à plusieurs catégories à la fois et se retrouvent dans des situations spécifiquement difficiles.
Une femme noire peut par exemple être victime et de sexisme, et de racisme. Si la discrimination de genre et la discrimination raciale étaient des routes, la femme noire se trouverait à l’intersection de ces routes.
Crenshaw reprend l’image de ces deux routes qui se croisent et définit l’intersectionnalité comme la situation où des personnes peuvent subir simultanément plusieurs situations de discrimination et de domination au sein de la société.
Un exemple d’intersectionnalité : les femmes noires
Dans la lignée de l’afroféminisme, Kimberlé Crenshaw prend l’exemple des femmes noires. Il s’agit de sujets intersectionnels puisque ces femmes noires sont exposées à la fois au racisme et au sexisme.
Un manque de considération de la justice
L’autrice donne l’exemple de femmes noires ayant porté plainte au nom du texte de loi du Civil Rights Act de 1964. Celui-ci interdit toute discrimination raciale, religieuse ou de genre. Dans plusieurs cas, la plaignante n’a pas pu obtenir de la Cour qu’elle reconnaisse une discrimination à la fois raciste et sexiste.
On peut reprendre l’image des deux routes qui se croisent. La Cour veut bien reconnaître que la femme noire est victime de racisme (accident sur une des routes). Elle accepte également de reconnaître qu’elle subit du sexisme (accident sur l’autre route). Mais la Cour refuse catégoriquement de reconnaître qu’une femme noire subisse une discrimination à la fois raciste et sexiste. Pour filer la comparaison avec les routes, la justice refuse d’admettre qu’un accident puisse avoir lieu à l’intersection des deux routes.
Un manque de considération des militantes féministes
Crenshaw accuse également les milieux féministes de ne pas prendre en compte les femmes noires, et donc l’intersectionnalité. Elle cite l’exemple de Sojourner Truth, une ancienne esclave connue pour s’être opposée à certaines féministes américaines au XIXᵉ siècle. Une partie d’entre elles, très majoritairement blanches, n’incluaient pas les femmes noires dans leur lutte ou ne faisaient pas de la lutte contre l’esclavagisme une de leurs priorités. Dans son discours Ne suis-je pas une femme ?, elle rappelle que les femmes noires doivent avoir une place dans le féminisme.
Selon Crenshaw, cette place des femmes noires dans les luttes féministes est ensuite remise en question au XXᵉ siècle. Les théoriciennes Betty Friedan ou Ann Oakley produisent des écrits fondateurs pour les droits des femmes, mais s’en tiennent à leur point de vue de femmes blanches de la classe moyenne. Les réalités et les solutions qu’elles décrivent ne prennent pas en compte la situation et les discriminations spécifiques subies par les femmes noires. Les sujets intersectionnels se trouvent donc effacés des luttes féministes.
Un écueil que l’on retrouve chez les militants antiracistes
L’autrice explique ensuite que les mouvements de lutte contre le racisme étaient souvent conduits et pensés par et pour les hommes noirs. Ces derniers ne raisonnaient qu’en termes de racisme et ne prenaient pas en compte la situation spécifique des femmes noires.
Crenshaw prend l’exemple de la réaction des mouvements antiracistes aux théories sociologiques développées par des scientifiques blancs au sujet de la communauté afro-américaine. Seul le racisme de ces textes est pointé du doigt par les mouvements des droits civiques. Ces derniers ne dénoncent pas leur caractère sexiste. Pourtant, les sociologues de l’époque donnent une vision la plupart du temps stéréotypée des femmes afro-américaines. Elles apparaissent soit soumises à leur conjoint, soit tyrans à la tête d’un pseudo-matriarcat.
Jusqu’à l’émergence du mouvement afroféministe, les mouvements antiracistes restent souvent déconnectés de toute perspective intersectionnelle. Des intellectuelles comme Angela Davis ou Bell Hooks vont ensuite permettre à la parole des femmes noires de prendre de l’ampleur au sein des luttes antiracistes.
Quelle utilité de l’intersectionnalité en khâgne ?
L’intersectionnalité permet de porter un autre regard sur les sujets traités en sciences humaines et sociales. Si tu es en khâgne A/L, comprendre ce concept peut être précieux pour disserter sur les « sciences humaines » au programme du concours cette année.
En B/L, tu peux appliquer une perspective intersectionnelle aux théories que tu étudies en SES. On peut par exemple se demander si les femmes noires font face à des difficultés spécifiques dans le monde du travail, où elles peuvent faire face tant au racisme qu’au sexisme.
Reste cependant vigilant·e quand tu veux adopter une perspective intersectionnelle. La théorie de Kimberlé Crenshaw ne fait pas l’unanimité et peut être débattue. La plupart des spécialistes des sciences sociales estiment aujourd’hui que l’intersectionnalité est précieuse pour réfléchir sur l’Homme et sur la société. Néanmoins, d’autres considèrent qu’elle n’a pas de légitimité intellectuelle. Ne sois pas péremptoire ou expéditif·ve dans tes propos.
Cet article t’a normalement permis d’en apprendre un peu plus sur l’intersectionnalité. Il t’apporte également des exemples précis que tu peux mobiliser pendant tes épreuves.