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Dans le but d’apporter des exemples développés dans tes copies d’économie, notamment en prépa ENS D2, D1 ou en B/L, nous te proposons aujourd’hui un point sur l’avenir de la concurrence. Bonne lecture !

Introduction

En 2020, le marché de la grande vitesse s’ouvrait pour la première fois à la concurrence en France. Le premier opérateur à défier la SNCF sur une ligne entièrement française (Paris-Lyon), Trenitalia, souhaite désormais se développer davantage au sein de l’Hexagone.

Cette ouverture à la concurrence entre en opposition directe avec le monopole détenu par la SNCF et devait alors avoir pour objectif de répandre les vertus de la concurrence au sein de ce marché – avec notamment une baisse des prix des billets et une hausse de la qualité de service. Et les effets ne se sont pas fait attendre. Les billets étant déjà 38 % moins chers que ceux proposés par la SNCF, cette dernière se trouve obligée de se dépasser. Ainsi, alors que les prix des billets ne cessent d’augmenter cette année (+4,8 % pour les trajets InOui), la ligne Paris-Lyon n’a subi qu’une augmentation de… 1 %.

Comment expliquer cet effet de la concurrence sur les prix ? Quels sont ses effets sur la croissance économique ? Quels sont les défis auxquels elle devra faire face ? Pour répondre à toutes ces questions, un petit saut dans le temps nous est nécessaire…

Une brève histoire de la concurrence

Aussi actuelle soit-elle, elle s’inscrit d’abord dans un cadre historique précis. En effet, si la concurrence demeurait une exception au Moyen Âge – où elle n’existait qu’au sein de certains marchés épars –, c’est sous l’impulsion des idées révolutionnaires de la fin du XVIIIᵉ siècle qu’est entrée en vigueur la loi Le Chapelier de 1791, alors à l’origine de l’interdiction du groupement des membres d’une même corporation pour mettre en commun leurs intérêts.

Néanmoins, c’est au XIXᵉ siècle que les plus grandes évolutions ont été marquées. Entré en vigueur aux États-Unis le 2 juillet 1890, le Sherman Anti-Trust Act constitue une première véritable limite aux comportements anticoncurrentiels, en prohibant les ententes illicites et en sanctionnant les abus de position dominante. Quelques années plus tard, le Clayton Anti-Trust Act du 15 octobre 1914 vient compléter les insuffisances du Sherman Act. Il interdit ainsi certaines pratiques désormais jugées anticoncurrentielles (certaines discriminations par les prix, concentrations anticoncurrentielles, ventes exclusives et ventes liées).

Nous concernant, deux autorités sont chargées de lutter contre ces pratiques : l’Autorité de la concurrence, en France, et la Commission européenne. Les différentes institutions de régulation de la concurrence des pays européens sont notamment dotées d’un socle minimal de moyens afin de mieux faire appliquer les règles de la concurrence depuis la directive ECN+ de 2019.

Tu peux cliquer ici pour voir une explication de l’importance de la politique de concurrence (source : LinkedIn) – E. Combe, P. Aghion, BFM Business, 03/05/22.

Les (nombreuses) vertus de la concurrence

Pour les consommateurs

« Le seul véritable saint protecteur du consommateur n’est certainement pas le bureaucrate, mais la concurrence. » (George J. Stigler, The Theory of Economic Regulation, 1971).

Au pays de la concurrence, le consommateur est roi. Son introduction au sein d’un marché est, en effet, porteuse de nombreux effets bénéfiques, avec une meilleure qualité de produits, plus de choix, mais aussi et surtout des gains de pouvoir d’achat. Au sein d’un marché concurrentiel, le moyen le plus communément utilisé par les entreprises afin de se démarquer est la baisse des prix – ce qui profite naturellement au consommateur.

Et les exemples ne manquent pas. Emmanuel Combe, économiste et vice-président de l’Autorité de la concurrence (La Concurrence, 2021), prend l’exemple de l’arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile en 2012. Cette arrivée est à l’origine d’une baisse du prix des factures de près de 30 % sur la période 2012/2013. L’auteur explique ainsi que la baisse de prix ne résulte pas uniquement des prix plus bas proposés par Free, mais du fait que les autres opérateurs concurrents ont aussi réagi en proposant eux aussi leur propre offre « low cost ».

Symétriquement, les effets de la concurrence sur les prix peuvent s’analyser en observant la situation du monopoleur. Correspondant à la situation où un seul offreur fait face à de nombreux demandeurs, l’offreur est « price-maker ». Ainsi érigé en « faiseur de prix », celui-ci devient libre de fixer les tarifs qu’il souhaite. Dans Les Habits neufs de la concurrence (2017), François Lévêque illustre les différences de prix exercées par les monopoleurs en France, en comparant les mises reversées par la loterie (en situation de monopole) et les casinos (en concurrence les uns avec les autres). L’auteur observe que si 85 % des mises sont reversées aux joueurs des casinos, la FDJ n’en reverse que 65 %.

Pour les producteurs

La concurrence profite également aux producteurs. Espérant détenir davantage de parts de marché, ces derniers sont incités à innover afin de se démarquer des concurrents. Cette approche est notamment développée par William Baumol (The Free-Market Innovation Machine, 2002) : l’innovation est directement issue de la concurrence que se font les entreprises entre elles, c’est pourquoi le capitalisme est érigé en véritable « machine à innover ».

Ainsi, les firmes investissent en R&D dans l’espoir de déposer un brevet pour être, à terme, en monopole temporaire. Philippe Aghion, économiste et professeur au Collège de France, explique dans Repenser la croissance économique (2016) que les firmes proches de la « frontière technologique » (actives et réalisant des profits) innovent davantage afin d’échapper à la concurrence que les firmes loin de cette même frontière, alors découragées par la concurrence.

La concurrence est également vertueuse pour les producteurs puisqu’elle accroît significativement le niveau de croissance et la productivité des entreprises. C’est ce qu’a démontré une étude réalisée par Disney, Haskell et Heden (2003) sur 140 000 entreprises. De la même manière, au Japon, les travaux de Michael Porter ont démontré que les firmes exposées à la concurrence internationale connaissaient une productivité nettement accélérée en opposition aux entreprises opérant au sein de marchés intérieurs.

François Lévêque illustre ainsi ces innovations induites de la concurrence par le cas du Dollar Shave Club. Michael Dublin, alors à la tête de l’entreprise, avait entamé la suprématie de Gillette dans le rasage mécanique en envoyant par la poste des lames de rechange tous les mois chez les consommateurs (ces derniers évitant alors de se rendre au supermarché et de se raser pour moitié plus cher). Ce modèle innovant ayant alors conquis rapidement près de 10 % du marché américain des lames de rasoir.

Pour la croissance économique

En plus d’être vertueuse pour les consommateurs et les producteurs, la concurrence est un véritable moteur de la croissance. On observe ainsi une accélération de la croissance économique dans les pays où elle est élevée. B. Eichengreen et A. Boltho (The Economic Impact of European Integration, 2008) ont alors démontré que l’essor de la libéralisation et de la concurrence au sein de l’UE avait eu pour conséquence une hausse de plus de 5 points de PIB.

De la même manière, Clougherty (Competition Policy Trends and Economic Growth: Cross-National Empirical Evidence, 2010) démontre qu’un écart-type de 58,8 millions de dollars entraîne une hausse de la croissance économique de 0,84 % en moyenne, en utilisant le financement comme indicateur de l’engagement d’un pays en faveur de la concurrence.

En effet, la concurrence encourage les gains de productivité induits des innovations. Ces gains se traduisent par une augmentation de la production. Cette augmentation influe ainsi positivement sur les salaires, donc sur la demande, qui est un déterminant de la croissance économique. Ces gains bénéficient également aux capitalistes, qui peuvent désormais augmenter leur épargne. Cette augmentation permet alors d’entretenir un cercle vertueux de la croissance économique du fait de la relation positive entre épargne et croissance développée par N. Kaldor (1956).

En outre, ces gains de productivité alimentent la compétitivité d’un pays et influent sur le volume d’exportation, créateur de richesses. Mais si les effets vertueux de la concurrence sont nombreux, les défis le sont tout autant. Comment penser la concurrence de demain ?

Les défis de la concurrence pour demain

Le défi social

« La concurrence n’est socialement acceptable que si elle profite à tous. », (Emmanuel Combe, La Concurrence, 2021)

Le premier défi auquel fait face la concurrence est social. Une concurrence excessive peut conduire à une précarisation de l’emploi, les entreprises souhaitant réduire leurs coûts pour demeurer compétitives. Par exemple, les réformes Hartz menées en Allemagne entre 2003 et 2005 afin de favoriser la concurrence ont eu de nombreux effets positifs : elles ont flexibilisé le marché du travail, augmenté la rentabilité de l’offre, augmenté les retours de marges et drastiquement réduit le chômage en Allemagne, alors passé de 12 % en 2005 à 3 % en 2019. Néanmoins, certains pointent une certaine précarisation des travailleurs, alors soumis à des « mini-jobs » peu viables à long terme.

Là encore, des solutions existent afin de concilier les effets vertueux de la concurrence avec une nécessaire protection des travailleurs. Ainsi pourrait-on imaginer en France un grand développement du modèle de « flexisécurité » inspiré du système danois. Celui-ci permettrait d’apporter une certaine flexibilité aux entreprises dans leurs processus d’embauche et de licenciement (pouvant alors s’adapter bien plus rapidement aux évolutions conjoncturelles), tout en garantissant une sécurité aux travailleurs via des indemnités chômage généreuses et un véritable accompagnement dans leur recherche d’emploi.

La concurrence a donc tout son rôle à jouer face à ce défi social.

Le défi environnemental

Le second défi auquel fait face la concurrence est environnemental. Ainsi, si la Commission européenne prend en compte les préférences des consommateurs pour les biens durables, certains obstacles semblent subsister. En effet, afin de mieux lutter contre le réchauffement climatique et d’atteindre les objectifs environnementaux fixés pour l’horizon 2050, une coopération entre les entreprises semble inévitable, mais celle-ci demeure freinée en raison de la crainte d’une violation du droit de la concurrence.

Par conséquent, il faudrait permettre d’établir les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent coopérer concernant leur impact environnemental sans déroger au droit de la concurrence. Une pareille construction nécessitera une grande coopération à l’échelle européenne, en témoigne la révision des règles de concurrence applicables aux accords horizontaux proposée en 2022 par la Commission européenne, ayant notamment pour objectif d’adapter le droit de la concurrence aux enjeux environnementaux. Ambitieux, protecteur et innovant, l’avenir de la concurrence se dessinera en vert.

C’est la fin de notre article, qui nous l’espérons, t’aura permis de cerner les grands enjeux de la concurrence ! N’hésite pas à consulter les articles d’économie des prépas ECG ainsi que ceux du pôle littéraire ! Nous te proposerons d’ailleurs toute cette année des articles en lien avec la prépa ENS D2, alors reste connecté.e !