Début 2023, au sein d’un monde post-pandémique, Patrick Artus et Olivier Pastré ont tenté, dans De l’économie d’abondance à l’économie de rareté, de redéfinir les contours de l’économie moderne, en mettant en perspective plusieurs éléments qui montrent comment l’environnement économique se modifie. Les concepts de soutenabilité et de souveraineté sont aujourd’hui au cœur de l’économie. C’est en ce sens qu’Emmanuel Macron déclarait en 2022 « la fin de l’abondance », signifiant que les nouveaux enjeux du XXIᵉ siècle supposent une gestion plus minutieuse des ressources.
La crise de la Covid : déclencheur d’une modification du type d’économie
Une déformation visible de la structure de la demande
En effet, depuis 2010, en base 100, la consommation de services a augmenté de 20 points contre 40 pour la consommation de biens en 2022.
De ce fait, plusieurs facteurs, en lien avec une interconnexion croissante des unités de production, ont pu affecter cette demande. Les biens nécessitant bien plus de matières premières que les services, la guerre en Ukraine a par exemple eu un impact particulièrement négatif sur l’économie et la demande mondiale.
Le retour de l’inflation
L’inflation (baisse du pouvoir d’achat de la monnaie) a émergé durant la crise de la Covid, renaissant après une période particulièrement stérile pour celle-ci, où elle ne dépassait plus 2 % depuis 2013 en France. Cette inflation a eu pour conséquence un recul des salaires réels (ajustés au niveau d’inflation), puis une pression sur les banques centrales pour des politiques monétaires plus restrictives.
Dès lors, cette perte de pouvoir d’achat est, pour les auteurs, le symbole d’une économie où l’abondance diminuerait peu à peu, et où l’augmentation des prix pourrait se traduire par une raréfaction des ressources.
Les difficultés de recrutement
Symptôme tout aussi pesant pour la sphère économique, les difficultés de recrutement ont frappé de nombreuses entreprises. Aux États-Unis, le phénomène de « Great Resignation » (Grande démission) a touché, selon les auteurs, 50 % des entreprises américaines.
De plus, ils soulignent aussi que les salariés européens rejettent le travail pénible et atypique, ce qui met en difficulté certains secteurs (agriculture, hôtellerie, industrie).
Accélération de la transition énergétique
Considérée comme le plus grand défi du XXIᵉ siècle, la transition énergétique semble avoir aujourd’hui des effets considérables sur l’économie. En effet, l’énergie renouvelable étant assez chère (intermittence et coût de stockage), les inégalités sociales augmentent, car les plus modestes vont dépenser beaucoup dans l’énergie (14,9 % pour le premier quintile, 5,9 % pour le cinquième).
Ainsi, cette accélération de la lutte contre le changement climatique s’est développée pendant la crise de la Covid, notamment avec le plan Next Generation en Europe ou avec l’Inflation Reduction Act américain. À la fin du chapitre, les auteurs estiment à 4 points de PIB sur 30 ans le supplément d’investissement nécessaire pour cette transition.
Rôle accru des États et des banques centrales
L’augmentation soutenue des dettes publiques pendant la crise (12 % du PIB de l’OCDE, 9 % du PIB français en 2020) a amené les banques centrales à racheter les dettes publiques des États à taux bas, entraînant une perte des règles de stabilité du Pacte de stabilité et de croissance au sein de l’UE.
En effet, l’objectif des banques centrales semble se modifier (on parle de changement de « mandat »), allant vers un soutien à l’emploi pour réduire les inégalités, faciliter le désendettement, contribuer à la transition énergétique, etc.
Le passage à une économie de rareté et d’inflation (chapitre VI du livre)
Notions de rareté
La rareté peut être définie comme la valeur d’un bien mise en perspective avec la quantité de travail nécessaire à sa fabrication. Ainsi, plus les ressources disponibles pour produire un bien sont en quantités limitées, plus les moyens utilisés pour produire vont demander de travail, ce qui augmente la rareté.
C’est pourquoi les auteurs parlent d’un « Nouveau Monde » qui sera cher, compte tenu de la déformation de la demande des services vers les biens (comme vu plus haut). Une fois encore, on peut illustrer cela avec la guerre en Ukraine et la hausse du prix des matières premières. Or, l’Ukraine et la Russie produisent 53 % de l’huile de tournesol mondiale et 17 % du gaz, ce qui crée des goulets d’étranglement et donc une raréfaction des ressources.
Une économie d’inflation
Plusieurs facteurs sont à l’origine du passage à une économie inflationniste : délocalisation, vieillissement, remontée du coût du capital, etc. Or, il y a eu une transmission de la hausse des prix d’un secteur à un autre et on parle d’inflation globale puisque les salaires ont relativement suivi : 0,6 à 0,7 d’indexation des salaires sur l’inflation.
Conséquences néfastes de cette économie
Même si certaines des conséquences de cette remontée des taux peuvent être positives, comme moins de bulles spéculatives et une diminution de l’excès d’endettement, cela semble poser de sérieux problèmes. Par exemple, la difficulté de financer la transition énergétique et les investissements de réindustrialisation est mise en avant par les auteurs, compte tenu des coûts engendrés par ce régime d’inflation qui créerait un effet boule de neige sur ces dépenses.
Les défis à relever
Partage de la valeur ajoutée (VA)
Pour Artus et Pastré, la crise de la Covid a vu les patrons s’enrichir, tel un « Business as usual », alors que la situation de la crise n’eut rien d’usuel. C’est pourquoi ils militent pour une meilleure répartition des richesses entre le facteur travail et capital. En février 2023, un accord national interprofessionnel a été signé, invitant les partenaires sociaux à négocier autour de trois objectifs : la participation au bénéfice, la participation à la valeur et l’incitation à développer l’épargne salariale en l’orientant vers un projet d’intérêt novateur.
En effet, de nombreux outils sont maintenant disponibles pour accompagner les salariés dans la gestion de leur épargne salariale. On peut notamment prendre l’exemple d’Epsor, start-up française permettant une meilleure pédagogie sur ce thème de l’épargne salariale. Ce genre d’exemple sera particulièrement valorisé dans une copie !
Renforcer la concurrence, notamment au sein du numérique
Cela provient d’un constat simple : sur les huit premières capitalisations boursières mondiales, une seule entreprise provenait du secteur du numérique en 2007, alors qu’on en recensait six au moment de la sortie du livre (début 2023).
Un autre exemple frappant pris par les auteurs est le fait qu’Amazon investit dans la R&D douze fois plus que le CNRS, montrant ainsi la domination de ce mastodonte. On trouve aussi dans le livre cette citation intéressante de Jean Tirole (Nobel d’économie 2014) : « L’économie numérique crée presque inexorablement des monopoles naturels », soulignant que cela amène à des créations de rentes presque impossibles à destituer. Finalement, selon les auteurs, la seule voie réaliste est la régulation européenne des GAFAM, mais elle devrait être érigée à l’échelle mondiale pour une durabilité plus importante.
J’espère qu’à travers cet article, tu auras mieux compris la pensée d’Artus et Pastré dans ce livre passionnant qui permet de mettre en perspective les futurs défis de l’économie mondiale.