Les avantages comparatifs sont à la fois les explications les plus anciennes et les plus robustes des mécanismes du commerce international. En effet, quand le physicien Stanislaw Ulam a demandé à l’économiste contemporain Paul Samuelson de « nommer une proposition, dans toutes les sciences sociales, qui soit à la fois vraie et complexe », ce dernier a nommé l’idée des avantages comparatifs.
Ces théories expliquent le commerce international dans un modèle assez simple, où deux pays produisent et commercent deux biens et les produisent avec un seul facteur de production (le facteur travail). Elles remontent au début du XIXᵉ siècle, à Smith (avantages absolus) et Ricardo (avantages comparatifs), et ont plusieurs implications assez intéressantes, que cet article te permettra de comprendre pour ne pas te tromper lors de ton prochain DS !
I. Les hypothèses
Les deux modèles ont des hypothèses communes. Il est intéressant, pour prendre du recul face au cours, de s’intéresser aux hypothèses puisqu’elles traduisent souvent les limites d’un modèle (si elles sont irréalistes). Dans le cas des avantages comparatifs et absolus, voici les hypothèses retenues par les auteurs fondateurs.
- Parfaite mobilité intersectorielle du facteur de production (qui est le travail). Autrement dit, dans ce modèle, un maçon peut instantanément devenir agriculteur. Cette théorie a été dépassée par de nombreux travaux empiriques, notamment ceux qui étudient ce qui est arrivé aux zones touchées par le commerce international et qui constatent que les travailleurs ne se reconvertissent pas. Par exemple, The China Shock de Autor, Dorn et Hanson, ou les travaux de Petia Topalova sur la libéralisation commerciale de l’Inde.
- Rendements constants. Le ratio entre la quantité de travailleurs employés et le nombre d’unités produites est constant. Si le premier agriculteur produit 20 unités de blé par heure, alors le millième aussi. Le ratio unités de blé produites par heure/travailleur sera toujours de 20. Cette hypothèse a été largement dépassée par la science économique. Marx et Solow, par exemple, considèrent des rendements marginaux décroissants. Alors que Krugman explore les imperfections du commerce international en posant l’hypothèse de rendements marginaux croissants.
- Les facteurs de production sont immobiles à l’échelle internationale. La circulation des personnes n’est possible qu’à l’intérieur des pays.
- Les écarts de productivité internationaux sont stables dans le temps. Pas de rattrapage technologique dans ce modèle !
- Les coûts de transport internationaux sont nuls.
II. Les deux modèles
Ces modèles nous viennent des économistes classiques. Une chose intéressante est de les utiliser pour comprendre le centre de la théorie classique. La théorie classique est la première qui considère que la richesse d’une économie correspond à sa capacité à produire le plus de richesse possible. Et donc que le commerce international est une bonne chose, dans la mesure où il permet à chacun de se spécialiser là où il est le plus productif. Dans le but d’augmenter la production générale de richesse.
Cela nous paraît aujourd’hui évident, mais à l’époque, c’était une rupture fondamentale avec l’école mercantiliste. Cette dernière considérant que la richesse d’une économie réside surtout dans son stock de métaux précieux et donc, que le commerce international ne doit servir qu’à l’augmenter. Autrement dit, qu’il n’en vaut la peine que si la balance commerciale du pays est excédentaire !
(i) Les avantages absolus : le modèle de Smith
Ce modèle est le plus simple et il s’est révélé moins robuste et intéressant que celui de Ricardo. Il stipule que, dans le commerce international, chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production où il dispose d’un avantage absolu. C’est-à-dire celle qu’il fait plus efficacement que tous les autres pays.
La limite de ce modèle est évidente : et si un pays ne dispose d’aucun avantage absolu ? Doit-il se fermer et ne pas profiter du commerce international ? Cette conclusion semble loin de la réalité, dans un monde où tout le monde participe au commerce international, même les pays ne disposant d’aucun avantage absolu.
(ii) Les avantages comparatifs : le modèle de Ricardo
Le modèle de Ricardo se rapproche plus de la réalité. Il considère une situation où deux pays (l’Angleterre et le Portugal) commercent, alors que l’un des deux est plus productif que l’autre dans tous les types de productions. Donc, dans les deux biens existants, ici le drap et le vin. Ricardo défend l’idée selon laquelle le pays qui est toujours moins productif que l’autre (ici, le Portugal) a quand même intérêt à s’ouvrir au commerce international.
Et pour choisir sa spécialisation, ce pays moins productif va choisir de produire le bien dans lequel il dispose d’un avantage comparatif. C’est-à-dire le bien qu’il produit comparativement mieux que l’autre par rapport à son partenaire commercial.
Un exemple pour éclaircir : si l’Angleterre produit du drap trois fois mieux que le Portugal, et si l’Angleterre produit du vin deux fois mieux que le Portugal, il est clair que le Portugal ne dispose d’aucun avantage absolu, mais d’un avantage comparatif dans la production de vin (il est relativement moins improductif). Alors, il devrait se spécialiser entièrement dans la production de vin et laisser l’Angleterre se spécialiser dans la production de drap.
Cette spécialisation permettra aux deux pays de produire de manière optimale à la fois le drap et le vin. Donc, les deux seront gagnants et pourront consommer une quantité plus élevée de ces deux biens.
III. Les validations empiriques
Le côté fascinant du modèle des avantages comparatifs de Ricardo réside dans le fait qu’il fut bel et bien validé empiriquement par les études du XXᵉ siècle, presque deux siècles après sa conception ! Ces études ont considéré un modèle légèrement plus compliqué, notamment puisqu’on a étudié les échanges de deux pays sur un grand nombre de biens (et pas deux).
Mais elles ont validé la théorie de Ricardo dans le sens où elles ont bel et bien validé l’énoncé : « Les pays se spécialisent dans le commerce international en fonction de leurs avantages comparatifs dans la production de différents biens, même s’ils ne disposent d’aucun avantage absolu. »
Voici le graphique du rapport Stern, qui a étudié dans les années 1960 le commerce entre les USA et le Royaume-Uni dans différents secteurs. Son explication est la suivante :
- en ordonnée (et c’est là où l’on trouve la variable qui explique l’autre), on a le ratio suivant : productivité USA/productivité UK en fonction de chaque secteur. On remarque que cette valeur commence à 1 : autrement dit, les USA sont toujours plus productifs que la Grande-Bretagne, donc on est bien dans une situation d’avantages comparatifs ;
- en abscisse, le ratio exportations USA/exportations UK pour chaque secteur. On remarque ici que l’axe ne commence pas à 1 et qu’il a des valeurs entre 0 et 1. Autrement dit, même si la Grande-Bretagne ne dispose d’aucun avantage absolu, il y a des secteurs où elle exporte plus que les USA. Et ce sont ceux où elle dispose d’avantages comparatifs.
En trouvant une corrélation entre les deux données, ce rapport a bien démontré empiriquement que le modèle de Ricardo est conforme à la réalité.
IV. Conclusion(s)
Les deux conclusions a priori de ce modèle sont des conclusions libres-échangistes. Tous les pays ont intérêt à participer au libre-échange, même ceux qui sont moins productifs que tous leurs partenaires. Et le libre-échange permet de maximiser la production internationale, dans la mesure où chaque pays peut se concentrer sur la production qu’il fait relativement le mieux.
Mais on peut avoir un regard plus critique sur cette théorie. Certaines spécialisations peuvent enfermer des pays dans une activité à bas revenu, et donc compromettre leur développement économique. L’histoire nous a démontré que l’industrialisation est une phase nécessaire au développement économique. Autrement dit, si on considère un bien agricole et un bien industriel, le pays qui se concentre sur la production du bien industriel sera le seul des deux capable d’atteindre un bon niveau de développement économique et de niveau de vie.
Aussi, le modèle ne prend pas en compte les effets de spillover, autrement dit l’effet de la présence d’un secteur sur la productivité des autres secteurs. En réalité, le tissu productif d’un pays doit être considéré à travers les interactions des différents secteurs économiques. Les différentes industries s’échangent des biens d’équipement (donc représentent des débouchés et des fournisseurs), des savoir-faire, etc. Dès lors, abandonner arbitrairement une activité pourrait endommager tout le tissu productif d’un pays.
Les théories des effets spillover sont celles qui considèrent la possibilité de rendements externes croissants (« externe », car les rendements sont croissants au niveau d’un secteur et non d’une firme). D’où l’intérêt de conserver certaines activités productives, même si elles ne sont pas (encore) compétitives à l’international.