On continue d’en entendre parler très régulièrement : la relation économique entre la Chine et l’Union européenne est pleine de conflits et d’inquiétudes. Dans cet article, on traite de ces tensions, mais également des raisons pour lesquelles ces deux territoires ont tout intérêt à s’entendre.
Une Chine en ascension
Dès son entrée dans l’OMC en 2001, la Chine a commencé à s’imposer dans le commerce international. En effet, avec un taux d’ouverture de 60 % dans les années 2000, le pays s’est très rapidement imposé comme deuxième puissance commerciale dans le monde. En produisant des biens manufacturés spécialement conçus pour l’export grâce à son coût de travail particulièrement avantageux, le pays s’est réinventé en « atelier du monde ».
Sa stratégie de remontée de filière l’a tout particulièrement aidée à acquérir des parts de marché importantes, avec une production incorporant une part croissante de capital humain. Aujourd’hui, la Chine s’est très largement imposée sur des marchés tels que les microprocesseurs ou encore les voitures électriques. Son plan Made in China 2025, adopté en 2015, renforce cette intention de devenir une puissance commerciale mondiale pérenne en s’assurant une qualité de production soutenue via la R&D et l’innovation technologique.
Des tensions avec l’Union européenne…
Délocalisation
Causes
La délocalisation, ou le transfert d’un facteur de production d’une entreprise vers l’étranger (qui entraîne donc la suppression d’unités de production au sein de l’UE), est une source majeure de conflits entre la Chine et l’Union européenne. Il y a plusieurs justifications à ce phénomène :
- Le faible coût de la main-d’œuvre chinoise, qui était 20 fois moins chère qu’en France il y a seulement 12 ans. Toutefois, il est important de noter que cette cause est moins considérée par les entreprises aujourd’hui, et que la Chine elle-même se retrouve à délocaliser son activité à l’étranger.
- La flexibilité de la réglementation chinoise : la Chine n’ayant pas de contraintes fixes en matière de droit du travail ou de considération environnementale (contrairement à l’UE avec le MACF par exemple), il est plus avantageux pour les entreprises d’y délocaliser des unités de production afin de minimiser les coûts administratifs ou autres.
Conséquences
Cela a alors des effets néfastes multiples pour l’économie européenne :
- Perte d’emplois : de nombreux secteurs industriels en Europe, comme le textile, l’électronique et même certaines industries manufacturières lourdes, ont vu une réduction importante des emplois en raison de la délocalisation. Ainsi, entre 2000 et 2005, 10 % des pertes d’emplois industriels au sein de l’Union européenne peuvent être directement attribués à des délocalisations en Chine (Eurofound 2006). De plus, entre 2000 et 2010, 500 000 emplois manufacturiers ont été supprimés en France pour la même raison.
- Désindustrialisation : conséquence directe de cette perte d’emplois dans l’industrie européenne, la délocalisation a contribué à une tendance plus large de désindustrialisation en Europe, où une part croissante de la valeur ajoutée est maintenant générée dans les services plutôt que dans la production manufacturière. L’importance de ce phénomène varie selon le pays : la France, qui est un des plus touchés, a vu la valeur ajoutée de l’industrie passer de 24 % du PIB dans les années 2000 à 17 % en 2022.
- Pressions sur les salaires : avec la concurrence des usines chinoises à faible coût, les salaires dans certains secteurs européens sont restés stagnants, voire ont diminué, en particulier pour les travailleurs non qualifiés.
Concurrence déloyale
Acier
La Chine est souvent critiquée pour son omniprésence sur le marché de l’acier. En effet, depuis 2015, le pays est premier producteur et exportateur d’acier dans le monde, et ce, aux dépens des autres nations. Ainsi, en 2020, la Chine en a produit un milliard de tonnes, soit 57 % de la quantité mondiale.
Cependant, cette surabondance d’acier sur le marché mondial a conduit à une baisse des prix. Par exemple, entre 2014 et 2015, les prix de l’acier ont chuté de 40 %. En réponse au dumping chinois, l’UE a mis en place en 2016 des tarifs douaniers allant jusqu’à 73,7 % sur certains types d’acier plat laminé à froid en provenance de Chine.
Panneaux solaires
En 2023, la Chine occupait 58 % des parts de marché des panneaux photovoltaïques, ce qui est déjà bien plus qu’en 2022 (44 %). Le pays est donc en très grande capacité de faire du dumping auprès des autres territoires (ce qu’il fait). De la même manière que pour l’acier, le pays assure une surproduction de ses panneaux et inonde le marché de sa production.
Un des aspects notables de cette stratégie est la baisse de prix très importante des panneaux européens, qui ont perdu 25 % de leur valeur rien qu’en 2023 et 80 % entre 2010 et 2017. Ce phénomène est d’autant plus grave que suite à l’Inflation Reduction Act américain qui a fermé les États-Unis aux importations de panneaux chinois, la Chine a pour marché majeur l’Europe, qui devient presque seule à supporter cette concurrence déloyale.
De plus, avec 3/4 des emplois de cette industrie spécifique localisés sur son territoire, le pays a raflé toutes les autres opportunités pour les autres pays, laissant l’Europe avec seulement 3 % des métiers de cette même catégorie.
Véhicules électriques
La Chine est le premier producteur et marché mondial de véhicules électriques aujourd’hui. Bien que l’Union européenne et le reste du monde ont déjà dû faire face à des menaces de l’industrie automobile asiatique (le Japon dans les années 1970, la Corée du Sud dans les années 1980…), la menace chinoise actuelle pèse sur un secteur plus technologique et bien plus nouveau.
En 2022, les entreprises chinoises comme BYD, NIO et Xpeng, ont vendu environ 6,8 millions de véhicules électriques, représentant plus de la moitié des ventes mondiales. De la même manière que pour les deux exemples précédents, la Chine s’est imposée à l’étranger grâce à des stratégies illégales de dumping. D’après une enquête du Rhodium Group, les écarts de prix entre le marché automobile chinois et européen seraient tels qu’une surtaxe de l’ordre de 45 à 55 % (et même 80 % pour BYD) serait nécessaire pour égaliser les coûts.
En réaction, face à cette concurrence déloyale, la Commission européenne a décidé en juin 2024 de surtaxer les importations chinoises d’automobiles électriques à hauteur de 17 à 38 % dès le mois suivant. Ceci n’a pas manqué de faire réagir la Chine, qui a menacé de se plaindre à l’OMC.
… qui n’ont pas nécessairement lieu d’être
Aperçu général
Les tensions économiques entre la Chine et l’Union européenne peuvent paraître absurdes sur un certain nombre de points. De manière générale, il est important de noter que l’Union européenne est le troisième partenaire commercial de la Chine, qui comptait pour 15 % de ses exportations en 2022. Ainsi, mettre une barrière à leurs échanges peut avoir des conséquences indésirables sur leur relation entière, avec de très probables mesures de rétention chinoises face aux éventuels tarifs douaniers européens.
Ceci est d’autant plus grave que l’UE a un déficit commercial de 395 milliards d’euros avec la Chine, avec notamment celui de la France qui s’élève à 46 milliards d’euros. Il y a donc une certaine relation de dépendance entre les deux territoires qui rend toute tension peu intéressante économiquement. Bruno Le Maire a même plaidé pour un « partenariat économique équilibré et solide » avec la Chine lors de la sixième réunion du conseil d’entreprise franco-chinois en mai 2024.
Effets d’entraînement sur l’industrie
Bénéfices d’une concurrence imparfaite
La présence d’un concurrent dynamique et imposant peut ne pas être qu’une mauvaise chose pour l’industrie européenne. En effet, cet argument peut être retrouvé dans des thèses d’économistes classiques tels que Schumpeter. Dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), celui-ci affirme qu’un marché en concurrence imparfaite est plus que souhaitable. Ce serait même le prix à payer pour pousser les entreprises à innover et rendre l’économie plus dynamique. Ainsi, pour s’imposer, chaque entreprise doit chercher à acquérir des techniques qui la différencient de ses concurrents.
De même, les cycles économiques, les grappes d’innovation et la destruction créatrice (notions au cœur de la thèse de Schumpeter) assurent le caractère temporaire de tout monopole, ce qui fait que l’omniprésence de la Chine ne serait qu’un passage dans l’histoire économique mondiale.
Exemple concret
On peut notamment évoquer l’arrivée du géant chinois de l’automobile Chery, qui s’est installé à Barcelone en avril 2024 pour la production de véhicules électriques. Loin d’une invasion chinoise, c’est en réalité l’Espagne qui a négocié pour avoir ce producteur sur son territoire. En effet, les autorités locales en Catalogne ont exprimé un fort soutien pour l’attraction d’investissements étrangers dans le secteur de l’automobile et des technologies vertes.
Cela inclut des incitations fiscales et des facilités administratives pour attirer des entreprises comme Chery. Ainsi, la ville pourra profiter d’une création de plus de 1 600 emplois industriels, mais également d’un transfert de technologie très important lié à la construction d’un centre de R&D par Chery. Cela pourrait alors potentiellement être bénéfique pour les autres entreprises de l’industrie espagnole. C’est donc une preuve que la Chine n’est pas toujours l’ennemi que l’on pense être.
Nécessité d’une ouverture
Enfin, les relations entre la Chine et l’Union européenne sont d’une importance capitale avec des bénéfices mutuels, comme on peut le voir avec l’exemple de la production de l’Airbus A320, l’un des avions de ligne les plus vendus au monde. En effet, sa fabrication s’étend jusqu’à la Chine, où une usine d’assemblage a été établie à Tianjin en 2008. Celle-ci permet alors la production d’environ six A320 par mois, soit plus de 10 % de la production mondiale d’Airbus.
Ce volume de production montre que l’Europe ne peut pas se permettre de rompre ses liens avec la Chine sans risquer de perdre un marché vital. Fermer cette porte pourrait affaiblir la position d’Airbus face à ses concurrents, comme Boeing.