Nous allons aborder aujourd’hui la chute de la valeur de l’euro qui a atteint la parité avec le dollar en juillet 2022. Ce sujet permettra de revenir plus largement sur le taux de change et les politiques monétaires, des thématiques techniques mais essentielles au programme.
L’euro a ainsi chuté pour atteindre une parité qui ne s’était pas produite depuis vingt ans lors de la mise en circulation de l’euro en 2002 lorsque le taux était de 1$ = 0,86€. À l’époque, l’euro était encore une monnaie nouvelle qui devait faire ses preuves. Cette chute relative s’explique avant tout par le contexte fortement incertain en Europe qui a été notamment bouleversé par la guerre en Ukraine et la rupture brutale de son approvisionnement en gaz naturel. Ces évènements ont repoussé les investisseurs qui, défiants de l’euro, sont allés vers le dollar qui possède toujours son statut de valeur refuge. L’euro est la deuxième monnaie à l’échelle mondiale dans les opérations de change et dans les réserves de change mais elle reste très subalterne au dollar qui est véritablement la référence, l’euro évolue donc en miroir du dollar.
Pour rappel, le taux de change est le prix relatif d’une monnaie par rapport à une autre.
Taux de change de l’euro par rapport aux principales devises (pour un euro) | ||||||
Monnaie | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 |
Dollar des États-Unis | 1,1993 | 1,1450 | 1,1234 | 1,2271 | 1,1326 | 1,0666 |
Yen japonais | 135,01 | 125,85 | 121,94 | 126,49 | 130,38 | 140,66 |
Livre sterling | 0,88723 | 0,89453 | 0,85080 | 0,89903 | 0,84028 | 0,88693 |
Franc suisse | 1,1702 | 1,1269 | 1,0854 | 1,0802 | 1,0331 | 0,9847 |
Couronne danoise | 7,4449 | 7,4673 | 7,4715 | 7,4409 | 7,4364 | 7,4365 |
Couronne suédoise | 9,8438 | 10,2548 | 10,4468 | 10,0343 | 10,2503 | 11,1218 |
Couronne tchèque | 25,535 | 25,724 | 25,408 | 26,242 | 24,858 | 24,116 |
Forint hongrois | 310,33 | 320,98 | 330,53 | 363,89 | 369,19 | 400,87 |
Leu roumain | 4,6585 | 4,6635 | 4,7830 | 4,8683 | 4,949 | 4,9495 |
Lev bulgare | 1,9558 | 1,9558 | 1,9558 | 1,9558 | 1,9558 | 1,9558 |
Zloty polonais | 4,1770 | 4,3014 | 4,2568 | 4,5597 | 4,5969 | 4,6808 |
Ci-dessus un tableau de l’Eurostat qui montre l’évolution du taux de change de l’euro par rapport aux principales devises.
On remarque que si la valeur de l’euro a diminué par rapport au dollar en 2022, elle n’a pas diminué par rapport aux autres monnaies principales telles que le yen japonais ou la livre sterling. On peut ainsi en déduire que cette parité ne vient pas seulement d’une dépréciation de l’euro mais aussi d’une appréciation du dollar. Cela vient notamment de l’augmentation de la demande de dollars de la part des opérateurs de marché qui justement se sont tournés vers la valeur refuge qu’est le dollar, augmentant ainsi le prix du dollar, d’où son appréciation et la dépréciation de l’euro en parallèle.
C’est aussi la résultante de l’annonce d’une forte inflation aux Etats-Unis qui a provoqué des anticipations de hausse des taux intérêts et a donc rendu le placement aux Etats-Unis relativement plus intéressant, la demande du dollar a donc augmenté.
Qu’est-ce qui fait varier le taux de change ?
Pour répondre à cette question, il faut se rapporter aux théories des déterminants du taux de change. Celle de Mundell et Fleming (1962) considère l’état de la balance des transactions courantes. Ainsi, en situation d’excédent, la monnaie nationale est plus demandée qu’elle n’est offerte, donc la loi de la l’offre et de la demande obligé à une appréciation de ladite monnaie (et inversement en situation de déficit bien sûr) et c’est par ces mouvements de prix de la monnaie que l’équilibre de la balance des transactions courantes se rétablit.
On peut citer d’autres théories comme celle de la parité de pouvoir d’achat (absolue et relative) de Cassel qui met en lien les différentielles d’inflation entre les pays avec les mouvements de taux de change. On peut avoir recours à l’effet Balassa-Samuelson pour expliquer le taux de change par le niveau de développement. On pensera aussi à Keynes pour une explication du taux de change par le taux d’intérêt, le prix du capital, et donc l’arbitrage entre les placements financiers à l’international. Les théories des bulles spéculatives (on pensera notamment à Blanchard et Watson) prennent en compte le rôle des anticipations et sont donc très importantes.
Raisons de la baisse de l’euro
Une demande de dollars structurelle et une meilleure résistance américaine à la conjoncture
Comme on l’a vu le dollar a une force structurelle par rapport à l’euro du fait de son statut de monnaie de référence. Mais il y a des raisons plus économiques et conjoncturelles qui expliquent cette chute.
L’Europe et les Etats-Unis ont été confrontés à des problèmes similaires : la sortie de la crise du Covid, les tensions internationales liées à la guerre en Ukraine, l’inflation brutale et les tensions sur le marché de l’énergie. Néanmoins, les Etats-Unis ont mieux résisté économiquement à la pandémie et ont su remonter la pente plus rapidement. D’autre part, la Fed a été plus réactive que la BCE pour remonter le taux d’intérêt directeur face à la flambée des prix. Quant au choc énergétique et aux tensions géopolitiques, le problème est plus grave pour l’Europe du fait de sa proximité géographique et de sa dépendance aux importations d’hydrocarbures russes. Les sanctions économiques que l’Union Européenne a mis en place contre la Russie étaient fortes et très contraignantes y compris pour le marché européen. Les Etats-Unis en revanche sont autonomes dans leur approvisionnement d’hydrocarbures et ils sont même exportateurs net.
Le problème vient également de la situation de la balance commerciale qui, comme on l’a vu avec Mundell et Fleming, est un déterminant du taux de change. Les Etats-Unis sont excédentaires tandis que l’Europe est déficitaire vis-à-vis du reste du monde.
Comme on l’a dit la croissance est plus faible dans la zone euro qu’en Europe et le taux de chômage y est plus fort, on peut le voir dans ce graphique de l’OCDE qui retrace l’évolution conjointe du taux de chômage en zone euro (courbe rouge) et aux Etats-Unis (courbe bleue).
Le rôle de la politique de change
Les régimes de change servent à déterminer le rôle des autorités sur le marché de change. Il y a des régimes de changes fixes qui sont définis par rapport à une devise extérieure, des régimes de changes flottants qui laissent la loi de l’offre et la demande jouer librement et enfin des régimes intermédiaire qui laissent un certain espace de fluctuation mais par rapport à une devise extérieure.
Plus spécifiquement à l’Europe, la politique de change quasiment inexistante dans la mesure où elle n’intervient que rarement sur les marchés de change, elle est intervenue par exemple pour soutenir l’euro lorsqu’il était plus faible que le dollar au début des années 2000 mais elle n’a pas cherché à lutter contre son appréciation en 2008.
En revanche la priorité de la politique monétaire de l’Europe a pendant longtemps été la stabilité des prix. Elle a néanmoins toujours été moins réactive que la Fed concernant les mouvements de taux d’intérêt. Cela pourrait s’expliquer par la moindre sensibilité de l’économie européenne au canal du taux d’intérêt du fait de sa moindre financiarisation. Néanmoins, on l’a vu, cette moindre réactivité a de nouveau été remise en cause lors de la réaction tardive de la BCE pour remonter le taux d’intérêt directeur.
Les politiques de monnaie faible
On peut délibérément choisir de mener une politique de monnaie faible car cela confère à la monnaie un avantage compétitif. Une monnaie moins chère est en effet plus attractive ce qui stimule les exportations, c’est donc avantageux si l’on veut subventionner nos exportations. Néanmoins, c’est une politique qui est généralement choisie par des pays en développement, c’est même une stratégie souhaitable pour ces pays selon Rodrik.
Le risque d’une monnaie faible est pour autant de tomber dans le cercle vicieux de la monnaie faible. En effet, nos biens sont relativement moins chers mais en retour les biens que nous importons sont plus chers, nos prix internes augmentent en conséquence ce qui dégrade le solde commercial et cela conduit à nouvelle dépréciation, et ainsi le mécanisme se réitère.
Les conséquences d’une dépréciation de l’euro
Bénéfices d’un euro plus faible
Un euro plus faible favorise les secteurs exportateurs, cela améliore donc la compétitivité des produits européens, et ce dynamisme pourrait également attirer des investisseurs internationaux. Les effets positifs sont surtout positifs pour les pays périphériques qui ont un niveau de développement moindre que les pays du centre et profiteront davantage de la stimulation des exportations. Il faut en effet bien penser à distinguer les effets selon les pays du fait de l’hétérogénéité des économies européennes.
Inconvénients
Le danger est celui du cercle vicieux de la monnaie faible comme nous l’avons évoqué plus tôt. En effet, les biens de consommation importés deviennent plus chers mais les biens intermédiaires également, ce qui augmente le prix de production et in fine le prix de vente de nos propres biens, c’est notamment le cas pour les énergies d’hydrocarbures qui sont facturées en dollar et donc poussant à la hausse l’inflation importée et un creusement de la balance commerciale.
Cela a pour conséquence l’aggravation de l’inflation, en particulier pour les énergies d’hydrocarbures qui connaissaient déjà des fortes tensions inflationnistes, la baisse du pouvoir d’achat mais aussi la baisse de la crédibilité de l’euro et de l’économie européenne. On observe en effet une flambée des taux longs (taux à 10 ans). C’est dangereux car on le rappelle, la crise de la zone euro était à l’origine une crise de la balance des paiements qui a dégénéré en crise de la dette notamment à cause de la perte de confiance des investisseurs internationaux qui a donc causé un « sudden stop » — soit un effondrement brutal des flux de capitaux et c’est enfin cela qui a provoqué la crise des dettes souveraines.
Ainsi la baisse de la valeur de l’euro envoie un mauvais signe aux investisseurs qui perçoivent l’économie européenne comme plus risquée ce qui peut compliquer les conditions de financement.
De plus, l’euro est une monnaie internationale, certes de second rang mais 20 % des réserves de change sont quand même en euro, la chute de sa valeur envoie donc un très mauvais signe sur le marché de change. La confiance des ménages s’en trouve aussi dégradée. Or, la confiance des ménages est un facteur important pour la relance économique.
Conclusion
La chute de la valeur de l’euro est donc un élément porteur de plus de risques que de bénéfices et il est important de garder en tête les conséquences réelles que cela peut avoir sur nos entreprises et notre quotidien. C’est à la politique monétaire européenne de définir ses objectifs et des politiques adaptées pour maintenir voire rétablir la confiance de l’euro.