Le terme classe moyenne semble souvent être une appellation fourre-tout, car il ne renvoie à aucun groupe précis ni à une représentation sociale délimitée. D’autant plus que le terme est souvent utilisé pour se démarquer d’univers sociaux trop privilégiés ou au contraire trop stigmatisants. Un cadre préférera par exemple l’appellation « classe moyenne aisée », plutôt que « classe dominante ». Selon Louis Chauvel (Les Classes moyennes à la dérive, 2006) : « Le mode de vie et la représentation du monde confèrent leur unité aux classes moyennes. »
Mais à quels critères correspondent les classes moyennes ? Si près des 3/4 des Français se disent appartenir à la classe moyenne, pourquoi certains auteurs évoquent une disparition de celles-ci ?
I – Les classes moyennes avant le XXᵉ siècle
Lors de la première révolution industrielle, l’univers des classes moyennes est celui de la boutique ou de l’atelier. Indépendants, propriétaires, travailleurs, ces petits commerçants et artisans se situent entre la bourgeoisie et le prolétariat. La boutique est d’ailleurs restée un important vecteur de mobilité sociale pour les ouvriers.
C’est seulement dans le dernier tiers du XIXᵉ siècle que ce groupe s’étoffe en incorporant les salariés employés par les administrations publiques (c’est le cas des instituteurs) ainsi que les professionnels qualifiés requis par la complexification du processus de production (ingénieurs, contremaîtres…).
Mis à part leurs différences de conditions de vie et de travail avec le prolétariat (et dans une moindre mesure la bourgeoisie), les classes moyennes semblent posséder des caractéristiques communes : sens de la propriété, capacités d’épargne et convictions républicaines qui s’inscrivent pleinement dans la Troisième République. Comme dans le discours d’Auxerre de L. Gambetta (1er juin 1874).
II – 1914-1980 : les classes moyennes au cœur du projet économique et social porté par les Trente Glorieuses
L’instruction publique et la féminisation des tâches déclassent progressivement les petits bureaucrates et employés de commerce qui rejoignent les couches populaires au début du XXᵉ siècle. Les classes moyennes semblent alors se transformer.
H. Mendras (La Seconde Révolution française, 1988) considère que les années 1945-1975 ont totalement modifié la structure de la société française. Le système de production devient de plus en plus complexe et dès lors, il y a toujours plus d’experts qualifiés. C’est aussi selon cet auteur l’euthanasie des rentiers (J. Keynes) qui a permis de rallier une grande partie de la bourgeoisie aux classes moyennes.
À l’inverse, ces trente années de plein-emploi et de rémunérations croissantes que Mendras étudie ont accentué une accumulation du capital et permis à certains ouvriers qualifiés d’accéder à la propriété.
Enfin, l’apparition d’un État-providence à partir de 1945 ou la démocratisation de l’enseignement facilitent la mobilité sociale et font des classes moyennes un ensemble disparate. Aujourd’hui, deux Français sur trois se sentent appartenir à cette « constellation centrale d’une société en montgolfière », selon Mendras.
III – Depuis 1980, les classes moyennes semblent décliner, mais ce déclin reste à nuancer
a) Une catégorie fragilisée
La fin des Trente Glorieuses (1975) est synonyme de difficultés économiques pour les classes moyennes. La volonté étatique de maîtriser les dépenses et la politique du franc fort (augmentation des taux d’intérêt réels) ont eu pour conséquence de renchérir le rendement de l’épargne et de valoriser les patrimoines, au détriment du facteur travail que valorisent les classes moyennes.
Par ailleurs, l’augmentation du chômage et la progression du travail à temps partiel ont accru la polarisation de l’emploi. Mais les classes moyennes sont aussi concernées par les inégalités. En effet, la politique française volontariste en matière de revalorisation du SMIG et la volonté de progresser vers une protection sociale élargie ont permis de faire progresser le revenu des plus modestes de 3,4 % entre 1998 et 2002.
Dès lors, classes populaires et classes moyennes sont assez proches, que ce soit par rapport à leur revenu ou même à leur mode de vie. C’est d’ailleurs comme cela que Serge Bosc affirme que les classes moyennes sont en crise du fait d’un enrichissement relatif des couches les plus populaires (Tous en classes moyennes, 2016).
b) Elles parviennent toutefois à défendre leurs intérêts
Attention, ce « décrochage » ou cette « paupérisation » des classes moyennes doivent être nuancés, car le niveau de vie médian a progressé de 83 % entre 1970 et 2004, passant de 718 euros par mois à 1 314 euros. Dès lors, le niveau de vie de ces classes a augmenté et contredit la thèse du déclin de ce groupe.
Il existe toutefois un relatif déclin dû à deux facteurs.
D’une part, l’augmentation des dépenses contraintes dans le budget des ménages, à savoir les dépenses de logement, d’eau, d’électricité, de gaz, d’assurance, de télécommunications. Ces dépenses contraintes représentaient 21 % du budget des ménages en 1979, contre 38 % aujourd’hui.
D’autre part, la croissance économique est désormais moins forte qu’elle ne l’a été pendant les Trente Glorieuses. À cette époque, la progression extrêmement rapide des revenus rendait supportable la présence d’inégalités sociales puisqu’on pouvait espérer rattraper le niveau de vie des catégories immédiatement supérieures.
Selon Régis Bigot, une personne qui a un revenu proche de la médiane française (1 800 euros par mois) mettra 32 ans pour atteindre le niveau de vie des catégories aisées, puisque le pouvoir d’achat progresse d’environ 1,5 % par an depuis les années 2000. Alors que, dans les années 1960, le taux de croissance du pouvoir d’achat était de 4,7 % par an. Ce sont notamment ces difficultés rencontrées par les classes moyennes françaises qui renforcent la perception d’un ascenseur social en panne.