coin fiscal

En France, le coin fiscal joue un rôle central dans les débats économiques, notamment dans le contexte de la mondialisation. Alors que les entreprises cherchent à réduire leurs coûts et à attirer les meilleurs talents, une fiscalité du travail trop élevée peut constituer un frein à l’embauche et à la croissance. Ce phénomène est également important dans les discussions actuelles sur les réformes de l’emploi et les politiques de réduction du chômage. Cet article propose d’explorer cette notion à travers trois axes principaux : les chiffres clés, les enjeux de la compétitivité et les implications sur le chômage.

Les chiffres clés sur le coin fiscal

Le coin fiscal est une notion essentielle pour comprendre les enjeux liés à la fiscalité du travail. Il désigne l’écart entre le coût total supporté par l’employeur pour rémunérer un salarié et le revenu net perçu par ce dernier, en raison des prélèvements fiscaux et sociaux. Autrement dit, c’est la part de la richesse créée par le travail qui est captée par l’État sous forme d’impôts et de cotisations sociales.

Le coin fiscal permet de mesurer la part du revenu du travail versée par le salarié et l’employeur sous forme de prélèvements obligatoires. Il s’agit d’évaluer le poids des impôts et des cotisations sociales par rapport au coût total du travail et d’indiquer la part correspondant à la rémunération nette du salarié. Cette notion est particulièrement pertinente en France, où le niveau élevé de la fiscalité sur le travail est régulièrement critiqué pour ses effets potentiels sur la compétitivité des entreprises et sur le taux de chômage.

Le coin fiscal en France et dans l’OCDE

La France se distingue par un coin fiscal particulièrement élevé en comparaison avec d’autres pays développés. Selon les données publiées par l’OCDE dans son rapport de 2023 sur la fiscalité du travail, le coin fiscal moyen pour un salarié célibataire sans enfant en France atteint 47 % du coût total du travail. Ce chiffre place la France parmi les pays ayant la fiscalité du travail la plus lourde au sein de l’OCDE, où la moyenne est d’environ 34 %. Autrement dit, près de la moitié de ce que verse l’employeur ne parvient pas au salarié, mais est prélevée sous forme d’impôts sur le revenu et de cotisations sociales.

Ce coin fiscal est particulièrement élevé en raison des cotisations sociales, tant salariales que patronales, qui financent le modèle de protection sociale français. Ce dernier est considéré comme l’un des plus généreux du monde, mais il a un coût important. Par exemple, en France, les cotisations patronales représentent environ 25 % du salaire brut, contre une moyenne de 13 % dans l’OCDE. Cela alourdit considérablement le coût du travail pour les employeurs, notamment dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre.

Coin fiscal vs coin social

Il est important de distinguer le coin fiscal du coin social. Si le coin fiscal inclut l’ensemble des prélèvements, impôts et cotisations, le coin social se concentre uniquement sur les charges sociales. En France, les charges sociales sont particulièrement élevées par rapport à d’autres pays européens. Pour un salarié moyen, elles représentent environ 40 % du salaire brut (incluant les cotisations patronales et salariales), un chiffre bien plus élevé que la moyenne européenne.

Par exemple, selon un rapport de l’Institut économique Molinari, un employeur français doit dépenser environ 57 000 euros pour qu’un salarié perçoive un salaire net de 30 000 euros. En comparaison, dans des pays comme l’Allemagne, ce coût total pour un employeur serait inférieur de près de 10 000 euros. Ces différences significatives montrent l’importance du coin fiscal dans le calcul des coûts du travail et dans la prise de décisions concernant l’emploi et la localisation des activités économiques.

Le CICE

Face à ce constat, plusieurs gouvernements français ont tenté de réduire le coin fiscal pour encourager l’emploi. L’une des mesures phares adoptées a été le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), instauré en 2013. Ce crédit d’impôt visait à alléger les charges des entreprises en leur accordant une réduction d’impôt proportionnelle à leur masse salariale.

Le CICE a permis de réduire le coût du travail, en particulier pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC, et ainsi d’alléger partiellement le coin fiscal. En 2019, le CICE a été remplacé par une baisse permanente des cotisations patronales, pérennisant ainsi cet allègement.

Les enjeux en matière de compétitivité

Le coin fiscal a des répercussions directes sur la compétitivité des entreprises françaises. Un coin fiscal élevé augmente le coût du travail. Ce qui peut rendre les entreprises françaises moins compétitives, notamment face à des pays où la fiscalité du travail est plus faible.

Coût du travail élevé : un frein à l’embauche

En France, le coût du travail est significativement plus élevé que dans d’autres économies européennes ou internationales en raison du coin fiscal. Ce coût élevé peut décourager l’embauche, en particulier dans les secteurs où la main-d’œuvre est un facteur clé de production.

Par exemple, dans le secteur manufacturier, où les marges sont souvent étroites, un coût du travail élevé peut pousser les entreprises à délocaliser leur production vers des pays où la main-d’œuvre est moins chère. Cela s’est traduit, au cours des dernières décennies, par une désindustrialisation progressive en France, accompagnée d’une augmentation des délocalisations vers des pays à moindre coût, comme ceux de l’Europe de l’Est ou de l’Asie.

Compétitivité internationale : le poids de la fiscalité

Dans un contexte de globalisation, la fiscalité du travail joue un rôle crucial dans la capacité des entreprises à attirer les talents et à être compétitives sur le marché international. Par exemple, les États-Unis ou des pays comme l’Irlande, où les prélèvements sur le travail sont relativement faibles, sont des destinations privilégiées pour les entreprises de haute technologie ou de services. Ces économies parviennent ainsi à attirer des entreprises innovantes et des talents étrangers grâce à une fiscalité plus légère.

À l’inverse, en France, le niveau élevé des prélèvements, y compris le coin fiscal, peut dissuader les entreprises de s’y implanter. Par ailleurs, il peut être difficile pour les entreprises françaises de concurrencer des entreprises étrangères sur les prix lorsqu’elles doivent supporter un coût du travail si élevé.

Exemple concret : Tesla en Allemagne

En novembre 2019, Tesla choisit d’implanter sa giga-usine européenne en Allemagne, à Berlin, plutôt qu’en France. L’une des raisons évoquées par des analystes est le niveau plus compétitif du coût du travail en Allemagne. Bien que les charges sociales y soient aussi élevées, la flexibilité du marché du travail et une structure fiscale plus favorable aux entreprises ont joué en faveur de l’Allemagne. Ce type de décision souligne l’importance du coin fiscal dans la stratégie d’implantation des multinationales.

Les enjeux du coin fiscal sur le chômage

Un coin fiscal élevé a également des répercussions sur le marché du travail, notamment en matière de chômage. En augmentant le coût de l’emploi pour les employeurs, il peut dissuader les entreprises de créer des emplois, notamment pour les salariés les moins qualifiés ou les moins productifs. En 2019, avant la crise de la Covid, le taux de chômage s’élevait à 8,4 % en France, contre 6,3 % dans l’Union européenne et 5,3 % en moyenne dans l’OCDE.

Effet sur les bas salaires

Les travailleurs à bas salaire sont particulièrement vulnérables à un coin fiscal élevé. Dans la mesure où une part importante de leur rémunération brute est captée par les cotisations sociales, leur salaire net peut sembler relativement faible en comparaison avec les aides sociales qu’ils pourraient percevoir en restant sans emploi. Ce phénomène peut décourager certains travailleurs d’accepter des emplois à faible revenu, créant ainsi un phénomène de trappe à inactivité. En d’autres termes, l’écart entre le revenu d’activité et le revenu de non-activité est parfois trop faible pour inciter les individus à intégrer le marché du travail.

Par exemple, un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) en 2020 souligne que pour certains ménages français, le travail à mi-temps ou à faible rémunération n’est guère plus avantageux que de rester bénéficiaires de certaines aides sociales. Cela met en lumière l’effet distorsif d’un coin fiscal élevé sur les décisions individuelles d’emploi.

Effet sur la demande d’emploi

Du côté des employeurs, le coût élevé du travail pour les postes peu qualifiés peut constituer un obstacle à l’embauche. Les entreprises peuvent hésiter à créer des emplois dans un contexte de charges sociales élevées, notamment lorsqu’il s’agit de postes où la productivité marginale des travailleurs est plus faible que dans d’autres secteurs. Cela contribue à entretenir un chômage structurel élevé, en particulier pour les jeunes et les travailleurs peu qualifiés.

Dans le but de stimuler le marché du travail, les politiques économiques ont intérêt à ce que l’écart entre le coût du salarié pour son employeur et le salaire net touché par le salarié ne soit pas trop grand, afin que le travail, à la fois offert par les salariés et acheté par l’entreprise, soit attractif pour ces deux parties prenantes.

Bien que le chômage ne s’explique pas exclusivement par le coin fiscal, en atténuer les effets négatifs particulièrement forts sur l’emploi peu ou non qualifié est désirable. Ces effets peuvent être notamment accentués en raison de l’existence d’un salaire minimum légal. Ainsi, la France accorde aux entreprises des allègements de cotisations patronales sur les bas salaires.

Conclusion

Le coin fiscal en France, particulièrement élevé, constitue un frein majeur à la compétitivité et à l’emploi. Bien que des réformes aient été mises en place, comme le CICE ou les réductions de cotisations sociales pour les bas salaires, le fossé avec d’autres pays de l’OCDE reste significatif.

Dans ce contexte, il est crucial de repenser la fiscalité du travail pour trouver un équilibre entre la nécessité de financer un modèle social généreux et celle de rendre l’emploi plus attractif et accessible. En ouverture, on pourrait envisager des réformes fiscales plus ambitieuses qui viseraient à favoriser l’innovation et à attirer des investissements.

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