Emploi

Quels sont les outils que les sciences économiques ont trouvés pour réduire le chômage ? Le chômage est un thème central à la fois dans les épreuves d’ESH et pour la politique économique française. Roosevelt disait : « Aucun pays, si riche soit-il, ne peut se permettre de gâcher ses ressources humaines. La démoralisation causée par le chômage de masse est la plus grande de nos extravagances. » C’est un phénomène préjudiciable que toute économie se doit de combattre. Mais ce n’est pas tâche facile : avant la crise, le chômage (au sens du BIT) en France était de 7,8 %.

Il existe différents types de chômage (cet article détaille le chômage structurel français) et différentes manières de le combattre. C’est pour cela que cet article te propose une synthèse des manières de réduire le chômage que tu dois connaître pour réussir n’importe quelle dissertation d’ESH portant sur le sujet !

I. Le chômage néoclassique : arbitrages et coûts

A. Réduire le coût du travail

(i) Dans une situation sous-optimale

Un équilibre sous-optimal sur le marché du travail correspond à une situation où les pouvoirs publics agissent sur le libre fonctionnement du marché, par exemple en imposant un prix plancher, connu en France comme « SMIC ». Si c’est le cas et que l’on a :

Prix plancher < prix d’équilibre

Alors, l’ajustement se fera par les quantités, par le côté court du marché, qui est ici la demande de travail (autrement dit, les entreprises). Une certaine partie de l’offre de travail (les travailleurs) ne pourra alors pas vendre son travail : ils se retrouvent au chômage.

Pour réduire le chômage, il est possible de supprimer ce prix plancher, ou, dans une moindre mesure, de le rapprocher du prix d’équilibre. Concrètement, une baisse du SMIC ou une baisse des charges patronales.

(ii) En optimum walrasien

L’analyse néoclassique déduit l’emploi du comportement des producteurs. Ces derniers tentent de maximiser leur profit et réagissent à des signaux, notamment le prix du travail et le prix du marché. La fonction de production ressemble à :

f(K, L) = Y

En posant les hypothèses suivantes :

– la productivité marginale est décroissante ;

– à court terme, le facteur capital est rigide.

On comprend que le producteur néoclassique embauche tant que la richesse produite par le salarié est supérieure au coût de son travail (pmL*p > w [1]) et qu’il licencie dans la situation inverse (pmL*p < w). Le salaire est désigné par « w », la productivité marginale par « pm », le prix des quantités produites par « p ».

Puisque la productivité marginale est décroissante, le producteur arrive forcément à un point où ce n’est plus rentable d’embaucher, dit le point d’équilibre, où la productivité marginale du travail égale la valeur w/p (pmL*p = w). Pour qu’il continue d’embaucher, il est possible de réduire le coût du travail afin de retrouver une situation où l’équation [1] est vérifiée.

Mais dans une situation de prix d’équilibre non perturbé par le marché, comment est-il possible de réduire le prix du travail ? Cette note du CAE met l’accent sur l’efficacité empirique des politiques de baisse des charges patronales. Elles ont été utiles en France. On pense au CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, 2014-2019) et au Pacte de responsabilité (2013-2015-2016).

La mesure de l’efficacité de ces politiques est l’élasticité-prix de l’emploi peu qualifié. Elle est de 1,5 pour les bas salaires (selon l’Institut des politiques publiques). Cet institut a constaté en 2015, en évaluant le Pacte de responsabilité, une élasticité très élevée de 2,5 pour les salaires inférieurs à 1,6 fois la valeur du SMIC.

B. Réduire l’assurance chômage

La théorie économique néoclassique considère que le travailleur effectue un arbitrage entre deux choses quand il choisit ou non de travailler : le gain d’utilité du travail et la désutilité du temps perdu.

Dans un modèle sans assurance chômage, le gain d’utilité lié au travail correspond au salaire, qui peut être échangé contre des biens et services. Néanmoins, si l’on introduit une assurance chômage octroyée à ceux qui ne travaillent pas, alors le gain d’utilité lié au travail n’est plus que la différence entre le salaire et l’assurance chômage.

Si l’on considère la désutilité du temps perdu et le salaire comme exogènes, on remarque qu’augmenter l’assurance chômage peut déséquilibrer l’arbitrage du consommateur et l’inciter à ne pas travailler (J. Rueff, L’assurance chômage est-elle la cause du chômage permanent ?).

II. Le chômage keynésien : l’emploi comme résultat de la demande

L’économie keynésienne est souvent qualifiée d’« économie de la demande », car la demande générale (C+I+G) est, pour Keynes, au début de la chaîne de causalité. Autrement dit, l’emploi découle de la demande générale. Dans le modèle keynésien, les producteurs constatent ou anticipent la demande générale, et produisent en conséquence. Les variations de leur production se traduisent en variation de la demande de travail (pour produire X, il faut embaucher N travailleurs).

Il est possible que l’équilibre sur le marché des biens et des services (OG=DG), découle sur une quantité produite qui ne nécessite pas d’embaucher toute la population : alors, il y a du chômage. Keynes nomme la demande (sur le marché des B&S) pour laquelle on est considéré en plein emploi « demande effective ».

La représentation graphique de Weintraub

Elle permet de comprendre comment l’équilibre sur le marché des biens et des services résulte en l’équilibre (potentiellement de sous-emploi) sur le marché du travail :

Représentation graphique de Weintraub
Analyse de Weintraub

On remarque que l’offre de travail (la courbe violette) est constante et ne varie pas en fonction du prix. Selon Keynes, les travailleurs n’effectuent pas un arbitrage, ils travaillent s’ils peuvent et le chômage est subi.

Le sous-équilibre vient du fait que l’équilibre sur le marché du travail n’est pas le point où les deux courbes se croisent (on serait alors toujours en plein emploi), mais le point où la courbe de demande de travail croise le niveau de l’équilibre sur le marché des biens et des services (équilibre de sous-emploi). Le secteur du travail est un secteur qui répond aux exigences du marché des biens et des services.

Pour se rapprocher de la situation idéale de plein emploi, les pouvoirs publics peuvent agir sur la demande globale (courbe DG) en la déplaçant vers le haut, ce qu’ils font en augmentant les dépenses publiques (G). Alors, l’équilibre sur le marché des biens et des services exigera plus de quantités produites et l’emploi sera plus élevé.

III. L’ajustement par la concurrence : modèle WS-PS

Le modèle WS-PS de Layard, Nickell et Jackman (1991) fait le lien entre concurrence et emploi. Il traite du niveau de concurrence sur le marché du travail (WS veut dire Wage Setting, la capacité qu’ont les syndicats et les salariés à augmenter leur salaire, alors que PS, Price Setting, désigne la capacité qu’ont les entreprises à modifier les prix sur le marché des biens et des services).

L’idée générale est qu’il existe un lien positif entre la concurrence et l’emploi. Mais il faut être capable de l’expliquer.

La courbe WS est décroissante du chômage

Quand le chômage augmente, le pouvoir des entreprises face aux syndicats augmente. Autrement dit, le « wage setting » est perturbé. Une action étatique régulant ce wage setting, si elle réduit le pouvoir des syndicats et donne plus de pouvoir aux employeurs, déplacerait la courbe vers la gauche. Le nouvel équilibre est une situation avec moins de chômage, mais des salaires moins élevés. Cela revient à rapprocher le salaire du salaire d’équilibre.

La courbe PS est croissante du chômage

Quand le chômage est élevé, alors la demande est faible, donc les entreprises se mènent une concurrence plus rude. Cela fait donc que les prix sont plus bas, alors les salaires réels (qui est l’indice de l’ordonnée) en résultent plus élevés.

Une politique de la concurrence déplacerait cette droite vers la gauche, pour un nouvel équilibre où, à la fois, l’emploi et les salaires sont plus élevés. Cela s’explique par le fait que, rapprochant le prix du prix d’équilibre sur le marché des biens et des services, on augmente le nombre de biens vendus, et donc de biens à produire. Ce qui fait que les entreprises doivent plus embaucher et que le salaire réel des employés est plus élevé du fait des effets désinflationnistes des politiques de la concurrence.

Autrement dit, on peut réduire le chômage en exacerbant les politiques de la concurrence sur le marché du travail et sur le marché des biens et services.

IV. Interprétations par les imperfections du marché du travail

A. L’efficacité de l’appariement – la courbe UV

Ce modèle expliquant le chômage est celui de Beveridge (Full Employment in a Free Society, 1944). Il met en relation le chômage et le nombre de postes vacants (V pour Vacancy). La courbe « UV » a une forme concave et rend compte de l’efficacité du marché du travail. Plus elle est éloignée de l’origine, plus il faut de postes vacants pour réduire le chômage. Autrement dit, plus le marché du travail est inefficace pour mettre en relation les employeurs et les chercheurs de travail.

La courbe UV
La courbe UV

L’idée qui refuse le caractère « mécanique » du marché du travail, c’est-à-dire l’idée qu’un poste créé ne découle pas forcément en un chômeur de moins, peut être trouvée dans l’œuvre de Cahuc et Zylberberg, Les Ennemis de l’emploi (2015). Ils soulignent que, chaque année, 10 000 emplois sont à la fois créés et détruits, et qu’en moyenne, il faut ouvrir 10 postes pour supprimer quatre chômeurs.

Ce modèle nous suggère que, pour réduire le chômage, il faut améliorer l’efficacité de l’appariement sur le marché du travail. Cela se traduirait en plus d’investissements dans les structures comme Pôle emploi, dont l’inefficacité est souvent décriée.

B. Réduire le pouvoir des « insiders »

Selon Lindbeck et Snower (1984), des auteurs d’inspiration néokeynésienne, le marché du travail est divisé entre les « insiders », qui ont un emploi stable — et sont moins dans une situation subordonnée — et les « outsiders », qui sont dans une situation plus précaire.

On a vu précédemment que la situation optimale, pour l’emploi, est que le salaire soit le salaire d’équilibre walrasien : celui où l’offre et la demande de travail se croisent. Cependant, les « insiders » disposent d’un pouvoir de marché sur leur salaire, se syndiquent et négocient avec leurs supérieurs. Ces derniers imposent donc un salaire plus élevé que le salaire d’équilibre. Alors, un prix artificiellement trop élevé étant imposé sur ce marché, l’ajustement se fait par les quantités. Certains se retrouvent au chômage.

De nombreuses théories ont exploré l’idée centrale de ce paragraphe, qui est que les « insiders » sont en mesure d’imposer un salaire plus élevé, déséquilibrant alors le marché du travail au détriment des « outsiders ». Akerlof et Yellen, dans « Efficiency Wage Models and the Labor Market » (1986), les rangent dans plusieurs catégories : risque moral (Shapiro et Stiglitz, « Equilibrium Unemployment as a Worker Discipline Device », 1984), sélection adverse et approche du travail comme un échange (Akerlof, « Labor Contracts as Partial Gifts Exchange », 1982).

La conclusion est toujours la même : le pouvoir que les insiders ont pour négocier leur salaire doit être réduit, afin de rapprocher le salaire du salaire d’équilibre.

C. Fluidifier le marché du travail, utiliser la création d’emplois précaires pour réduire le chômage

La modèle UV t’a montré que le manque de fluidité du marché du travail est responsable du chômage. Une manière d’y remédier est de réduire le coût du licenciement pour les entreprises ; ce qui les rend moins hésitantes pour embaucher (ce qu’a fait la loi Travail de 2016). Cette réflexion est à inscrire dans les efforts de flexisécurité, étudiés par Robert Boyer (2006) avec l’exemple du modèle danois.

Une autre manière d’y faire face est la création de nouveaux types juridiques d’emplois pour permettre aux employeurs de plus embaucher, notamment les CDD. L’article de Bruno Ducoudré, « Emploi et chômage avant la Covid-19 » (2021), montre deux effets positifs qu’ont ces innovations sur l’emploi.

Déjà, le CDD peut servir comme un « sas », une étape, préalable au CDI. Givord et Wilner (2009) ont trouvé qu’un travailleur CDD a trois fois plus de chances qu’un chômeur de trouver un travail dans le prochain trimestre. On pourrait alors voir d’un œil positif l’augmentation des « emplois précaires » ces dernières années (de 10 % en 1990 à 16,5 % en 2019). Même si cela reste fortement à nuancer.

Ensuite, ces emplois permettent une plus grande flexibilité au moment des crises. L’effet d’hystérèse, ou l’idée que ceux qui tombent au chômage pendant les crises ont tendance à devenir des chômeurs de longue durée car le capital humain est fongible, est responsable d’une partie du chômage. Il est donc indispensable de protéger les emplois CDI, ce qui passe par la destruction, quand nécessaire, d’emplois CDD. Durant la crise de 2008, 0,6 % des emplois temporaires ont été détruits.

V. Conclusion

Malheureusement, aucun de ces outils n’est une solution miracle pour réduire le chômage. Sinon, les économistes seraient inutiles ! Il faut les utiliser avec du recul, comprendre lesquels sont pertinents dans quelles situations. Et de nouvelles approches existent, même si elles n’ont pas été développées ici. Je pense à la courbe de Calmfors & Driffill, qui remet en question l’idée d’une relation inverse entre emploi et pouvoir des syndicats.