Pour toutes les catégories socioprofessionnelles, la problématique du pouvoir d’achat a été déterminante lors des élections législatives françaises de 2024.
Préserver le pouvoir d’achat, une nécessité pour les Français
Malgré un ralentissement de l’inflation en 2024, 58 % des Français accordent davantage d’importance à cette question qu’à la problématique sécuritaire, par exemple. L’inflation s’établit à 2,3 % sur un an en juillet 2024, selon l’Insee, et devrait être conforme à l’objectif de 2 % à moyen terme en 2025.
Ainsi, malgré les efforts récents pour limiter les effets de l’inflation, la question du pouvoir d’achat reste un leitmotiv dans le débat public depuis 2021. Ceci révèle un problème de fond, auquel il convient certes de s’attacher par des mesures de court terme visant à préserver le pouvoir d’achat, mais surtout par des politiques de long terme visant à l’augmenter durablement et de manière pérenne.
Quelques définitions et précisions utiles
Le pouvoir d’achat correspond à la quantité de biens et de services qu’un revenu permet d’acheter. Il dépend alors de deux variables : le niveau du revenu ainsi que le niveau des prix. On peut le calculer par la différence entre l’évolution des revenus et celle des prix, mais on peut aussi l’appréhender au travers de différents indicateurs, notamment l’IPC (indice des prix à la consommation).
Il convient néanmoins de différencier le pouvoir d’achat réel du pouvoir d’achat perçu des ménages. En effet, le sentiment de perte de pouvoir d’achat peut s’expliquer par exemple par la composition de notre panier de consommation. Selon l’Inspection générale des finances (IGF), les hausses des prix des produits sont plus importantes pour les aliments depuis mi-2021 et pour les produits énergétiques depuis février 2022. De même, le passage à l’euro en 2002 a pu brouiller les repères des consommateurs quant aux prix affichés.
Ainsi, les Français pensent que leur pouvoir d’achat s’est largement détérioré. Cependant, entre 2017 et 2023, ils ont connu une évolution positive de leur pouvoir d’achat de 5,7 % malgré les épisodes de crise Covid (– 0,3 %) et de crise inflationniste en 2022 (– 0,4 %) selon Gilbert Cette et Olivier Galland. Le constat de l’OCDE dans leurs perspectives de l’emploi va dans le même sens. Le pouvoir d’achat du salaire moyen a mieux résisté en France ces dernières années que dans la plupart des pays comparables. En guise d’illustration, les Français ont le sixième meilleur niveau de vie annuel en Europe. Cette bonne position s’explique notamment par l’ampleur des politiques redistributives.
À court terme, les pouvoirs publics jouent un rôle indéniable pour limiter les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat
Comme souligné précédemment, préserver le pouvoir d’achat peut passer par une politique visant à soutenir les revenus, ou alors par des politiques visant à limiter l’inflation. Dans un contexte d’inflation forte en 2022, la politique monétaire restrictive (hausse des taux d’intérêt, notamment des taux directeurs) a été l’un des éléments de réponse à court terme de la part des banques centrales.
Toujours à court terme, des aides publiques ont permis de limiter les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages. Ça a été le cas du bouclier tarifaire de l’ordre de 15 % lancé en octobre 2021, qui a permis de compenser la hausse des prix de l’énergie (de 2,2 points de pourcentage selon les chiffres de la Banque de France), notamment liée à la guerre en Ukraine et aux sanctions européennes vis-à-vis de la Russie, qui contribuait pourtant à 24 % de notre mix énergétique. De même, d’autres mesures ont vu le jour à l’été 2022, par exemple les chèques énergie ciblés qui ont bénéficié principalement aux 20 % des Français les plus modestes.
D’autres pistes ont également été explorées, même si elles n’ont pas toutes trouvé d’application concrète. Parmi elles, la résurgence de l’idée, notamment portée par l’économiste Isabella Weber et maintenant le NFP, d’un blocage des prix de certains produits, alors que cet outil n’a plus été utilisé en France depuis les années 1980. Ou encore l’augmentation du Smic qui, selon les hypothèses keynésiennes, constitue un revenu supplémentaire qui alimente la demande et induit une hausse des emplois. Pour assurer un certain niveau de vie à toute la population indépendamment de sa situation professionnelle, l’idée d’un revenu minimum de base (théorisé par Thomas Paine dans La Justice agraire dès 1795) a aussi été réintroduite.
Mais ces mesures de sauvetage du pouvoir d’achat à court terme peuvent s’avérer coûteuses et dangereuses
Les mesures palliatives comme les chèques énergies ou le bouclier tarifaire sont coûteuses pour les finances publiques. À titre d’exemple, le dispositif de bouclier tarifaire a représenté un total de 72 milliards d’euros entre 2021 et 2024, et ce, dans un contexte d’aggravation de la dette publique française, qui s’établit à 110,6 % du PIB en 2023.
Puisque l’enjeu est aujourd’hui à la soutenabilité des comptes publics, il faut plutôt viser des actions de long terme qui rendent l’amélioration du pouvoir d’achat compatible avec l’équilibre budgétaire. De même, un revenu minimum universel aurait aussi des implications néfastes. Il ne serait pas viable, car désinciterait au travail (or, le travail ne fournit pas qu’un salaire, c’est aussi un lieu d’intégration sociale) et serait problématique pour le marché du travail qui pâtirait encore plus du dualisme.
Par ailleurs, l’idée d’une augmentation du Smic est aussi controversée
Si la hausse des salaires est compensée par une augmentation des prix des produits pour préserver les marges, alors l’augmentation du Smic ne fera que déclencher une spirale inflationniste. Il convient aussi de noter que les conséquences positives ou négatives d’une telle mesure dépendent fondamentalement du référentiel choisi. Si elle peut être une aubaine pour les consommateurs en cas de non-répercussion sur les prix, elle désavantage les chefs d’entreprises pour qui le coût du travail est plus élevé (le salaire devient parfois supérieur au niveau de productivité du salarié), et pour qui les cotisations augmentent aussi…
À cet égard, les effets de la hausse du Smic dépendent intrinsèquement du contexte international. Les secteurs très ouverts à la concurrence internationale peuvent par exemple difficilement modifier les prix de leurs produits, donc la hausse du coût du travail aboutit à une suppression d’emplois. Selon l’étude économétrique de Philippon et Kramarz : une hausse de 1 % du Smic aboutit à la destruction de 15 000 emplois.
Augmenter le pouvoir d’achat durablement en limitant les effets pervers
Pour soutenir le pouvoir d’achat, l’important est d’encourager la création de richesses, c’est-à-dire d’augmenter le PIB, selon Xavier Jaravel dans son article « Il ne peut pas y avoir de hausse du pouvoir d’achat fondée sur la seule redistribution ». En effet, la France pâtit aujourd’hui d’un décrochage vis-à-vis des autres économies avancées, notamment à cause de la faiblesse de nos gains de productivité. Or, renouer avec ces gains de productivité est essentiel pour préserver notre pouvoir d’achat à long terme.
En effet, seuls eux permettent d’augmenter à la fois les profits des entreprises et les salaires des salariés, mais aussi de réduire les coûts, et donc potentiellement les prix… La politique structurelle de croissance économique passera par une politique de l’offre et devra s’articuler autour des problématiques de formation et d’éducation. Deux chantiers importants pour le pays pour renouer avec les gains de productivité.
Enfin, il ne suffira pas d’avoir des gains de productivité, il faudra surtout s’assurer de leur répartition équitable dans un contexte de tensions liées au partage de la valeur ajoutée. C’est-à-dire veiller à ce que l’augmentation des salaires soit bien en phase avec les performances économiques.
La France doit aussi réévaluer sa politique structurelle de l’emploi
En effet, 14,6 % des Français vivent en deçà du seuil de pauvreté monétaire en 2019 (qui s’établit à 60 % du revenu médian). La pauvreté monétaire est très liée à la situation de chômage. Le taux de pauvreté monétaire des chômeurs est de 39 %, alors que celui des personnes ayant un emploi est de 8 %.
De plus, la pauvreté est souvent liée à la faiblesse du nombre d’heures travaillées (sans éclipser bien sûr la problématique des « travailleurs pauvres » qui touche 1,2 million de personnes en France ), liée au développement du temps partiel et des emplois précaires. La lutte contre le chômage et l’amélioration du taux d’emploi seront donc des axes primordiaux pour renouer avec la croissance économique.
Par ailleurs, on l’a vu, l’augmentation du salaire n’est pas une solution adéquate au manque de pouvoir d’achat. Peut-être faudra-t-il alors miser à l’avenir sur une augmentation du temps de travail. Toutefois, il faut noter que les défis liés à une croissance extensive se heurtent souvent à des problèmes de légitimité sociale.
Une réforme fiscale doit être envisagée à long terme
Alléger la fiscalité en réduisant les prélèvements obligatoires sera nécessaire pour favoriser le pouvoir d’achat des ménages. Même si la France occupe toujours une des premières places du classement des pays prélevant le plus d’impôts, des avancées ont déjà été réalisées dans ce domaine avec par exemple la mise en place du Crédit d’impôt Recherche directement déduit de l’impôt sur les sociétés, ou encore la suppression de la redevance télé depuis 2022. De telles réformes permettent d’accroître directement la part du revenu disponible conservée par le consommateur.
Cependant, la problématique du pouvoir d’achat affectant davantage les plus modestes, les réformes fiscales les plus souhaitables concerneraient les prélèvements dits « injustes » comme la TVA. Évidemment, cette réduction des prélèvements en faveur du pouvoir d’achat implique une réduction des dépenses publiques, dont certaines restent nécessaires pour la croissance économique. Notamment les dépenses d’investissement et celles stimulant la demande si l’on adopte l’analyse keynésienne de la croissance économique.
La politique de la concurrence pour préserver le pouvoir d’achat des ménages à long terme
Un marché en situation de monopole est soumis à la volonté du monopoleur qui peut augmenter ses prix au-delà du prix d’équilibre qui égalise l’offre et la demande. De même, les situations oligopolistiques peuvent aussi conduire à une hausse des prix par l’intermédiaire de la formation de cartels ou d’ententes, punies par la Comission européenne.
Par exact contraire, préserver la concurrence permet de réduire les prix. En effet, la concurrence pousse les entreprises à offrir des produits plus compétitifs. Et l’un des moyens de se démarquer est justement de proposer le prix le plus avantageux pour le consommateur. La Comission européenne veille aussi à la transparence des marchés, pour permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés en ayant connaissance de la diversité de l’offre et des prix. De telles actions participent indirectement à la préservation du pouvoir d’achat des ménages sur le long terme, qui peuvent ainsi optimiser davantage leurs achats.
Toutefois, même si la politique de la concurrence est nécessaire pour préserver le pouvoir d’achat, elle doit être invoquée avec parcimonie et pragmatisme, puisque des situations monopolistiques peuvent dans certains cas aboutir à des économies d’échelle. Ce qui peut aussi contribuer à préserver le pouvoir d’achat des ménages.