Victor Hugo (1802-1885) disait : « Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés ouverts au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées ». Voilà une prédiction on ne peut plus osée. Elle s’inscrit pourtant dans la pensée de son époque, dominée par le courant classique et le libéralisme économique. Cette prédiction est de plus diamétralement opposée au protectionnisme caractéristique du mercantilisme. Une doctrine précédant le courant classique (ayant lui-même émergé au XVIIIᵉ siècle).
Autrement dit, entre le VIIᵉ siècle, dominé par le mercantilisme, et le XVIIIᵉ siècle, qui a vu naître le courant classique, les théories du commerce international ont connu un virage à 360°. Virage qui a continué jusqu’à aujourd’hui.
Tout le cœur de cet article portera ainsi sur le développement de ces théories au cours des six derniers siècles. Je proposerai de fait une chronologie des grands changements de paradigme de ce qui est sans aucun doute un des modules les plus conséquents du programme d’économie en classe préparatoire.
Le mercantilisme ou le règne du protectionnisme
Ce courant se développe principalement du XVIᵉ au début du XVIIIᵉ siècle, donc jusqu’à l’avènement du courant classique. Comme expliqué précédemment, le mercantilisme désigne une doctrine assimilant richesse et puissance. À ce titre, il justifie la mise en place de mesures protectionnistes afin de s’accaparer le plus possible de richesses.
Ce paradigme s’explique par le fait que selon les mercantilistes, le commerce international est un jeu à sommes nulles. Autrement dit, ce que l’un gagne, l’autre perd ! Tu comprends donc qu’en ce sens, le mercantilisme est diamétralement opposé au courant classique.
On dénombre trois principales formes de mercantilisme
- Bullionisme : voilà le nom donné au mercantilisme espagnol reposant sur l’échange de métaux précieux. Ces derniers étant assimilés à de la richesse, l’idée est d’en accumuler le plus grand nombre.
- Colbertisme : il s’agit là du mercantilisme français nommé après Jean-Baptiste Colbert. Cette forme particulière de mercantilisme s’illustre par une intervention étatique. Notamment des subventions accordées aux artisans en échange du respect d’un cahier des charges imposé par l’État. Se cache derrière cela la volonté d’assurer la qualité de la production et ainsi de voir émerger une compétitivité hors prix au profit de la France.
- Commercialisme : mercantilisme anglais, il consiste en une série de mesures visant à octroyer un monopole aux marchands anglais. Une loi très connue s’inscrivant directement dans cette forme de mercantilisme fut le Navigation Act, qui instaura un monopole de pavillons. Autrement dit, seuls les navires arborant un pavillon britannique étaient autorisés à commercer en Grande-Bretagne.
Remarque : bien qu’étant considéré comme un des courants de la pensée économique les plus anciens en ce qui concerne le commerce international, cela ne signifie pas pour autant que le mercantilisme n’existe plus de nos jours. Par exemple, les mesures protectionnistes portant sur le fer et l’aluminium imposées par les États-Unis sous l’Administration Trump furent qualifiées par divers médias de néomercantilisme.
L’avènement du courant classique : un nouveau paradigme pour le commerce international
Smith et la loi des avantages absolus
D’un point de vue théorique, c’est en 1776 qu’un véritable bouleversement de paradigme a eu lieu, lorsque Adam Smith a rédigé Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Dans cet ouvrage, Smith s’oppose aux mercantilistes en présentant le commerce international non pas comme un jeu à sommes nulles, mais un jeu à sommes positives.
Autrement dit, le libre-échange est mutuellement avantageux aux pays qui y prennent part. Cette idée s’appuie sur la loi des avantages absolus développée par l’économiste britannique. Selon cette dernière, un pays dispose d’une production dans laquelle il est nécessairement meilleur que tous les autres.
Pour illustrer cela mathématiquement, Smith prend deux pays, la Grande-Bretagne et le Portugal, ainsi que deux productions, le drap et le vin. De plus, ce qui détermine un avantage absolu est le nombre de travailleurs nécessaire dans une production.
Portugal
|
Grande-Bretagne
|
|
Vin
|
80
|
20
|
Drap
|
40
|
60
|
Dans cet exemple, le Portugal a besoin de 80 travailleurs pour produire une unité de vin et de 40 pour produire une unité de drap. Inversement, la Grande-Bretagne nécessite 20 travailleurs pour produire une unité de vin et 60 pour une unité de drap. Le Portugal demandant moins de main-d’œuvre que la Grande-Bretagne pour produire des draps, il dispose donc d’un avantage absolu dans cette production. Parallèlement, la Grande-Bretagne a besoin de moins de main-d’œuvre que le Portugal pour produire une unité de vin. Elle a donc quant à elle un avantage absolu dans cette production.
Mais pourquoi est-il intéressant pour un pays de se spécialiser dans la production dans laquelle il a un avantage absolu ?
Et donc, par conséquent, de s’ouvrir au commerce international. Sans spécialisation, la Grande-Bretagne produit avec 80 travailleurs une unité de vin et de drap (20 travailleurs pour le vin et 60 pour le drap). Or, en se spécialisant dans le vin, elle peut allouer à cette production les 60 travailleurs autrefois destinés à la production de draps. Faisant ainsi passer la production de vin de 1 à 4 unités pour le même nombre de travailleurs employés.
De même, en se spécialisant dans le drap, le Portugal peut allouer les 80 travailleurs autrefois employés dans la production de vin. Ce qui permet à ce pays de produire non plus 1 mais 3 unités pour le même nombre de travailleurs.
Tu vois où je veux en venir ? La spécialisation telle qu’imaginée par Adam Smith permet non seulement à un pays d’augmenter drastiquement sa production dans le secteur où il se spécialise, mais aussi d’augmenter la production de ce bien à l’échelle mondiale.
Effectivement, de 2 unités de vin produites par le Portugal et la Grande-Bretagne avant spécialisation, on passe à 4 unités produites exclusivement par la Grande-Bretagne, avec un même nombre de travailleurs. De même, on passe de 2 unités de drap avant spécialisation à 3 unités produites par le Portugal, avec un même nombre de travailleurs.
Autrement dit, le grand avantage de la spécialisation, qui justifie que le commerce international est un jeu à sommes positives, est qu’elle permet une augmentation de la production des nations. Et donc une hausse de leurs exportations. Elle permet aussi une hausse de la production des biens dans lesquels les pays se spécialisent à l’échelle mondiale.
David Ricardo et la loi des avantages comparatifs
Toutefois, il y a un petit bémol. C’est Ricardo qui a mis le doigt dessus en 1817 en rédigeant Des principes d’économie politique et de l’impôt. Dans les faits, il explique que rien ne garantit à un pays de bénéficier d’un avantage absolu. C’est la raison pour laquelle Ricardo développera la loi des avantages comparatifs.
Selon cette dernière, un pays ne disposant pas d’avantage absolu a tout de même intérêt à s’insérer dans le commerce international en se spécialisant dans la production dans laquelle il est relativement le meilleur (ou le moins pire). Pourquoi ? Tout est expliqué avec cet exemple développé par Ricardo lui-même :
Portugal
|
Grande-Bretagne
|
|
Drap
|
90
|
100
|
Vin
|
80
|
120
|
Drap/vin
|
1,125
|
0,83
|
Vin/drap
|
0,88
|
1,2
|
Sur ce tableau, ce sont les rapports drap/vin et vin/drap des deux pays qui permettent de vraiment comprendre pourquoi il est avantageux de se spécialiser, même sans avantage absolu.
Pour produire une unité de drap, le Portugal doit renoncer à 1,125 unité de vin. Inversement, pour produire une unité de vin, ce pays doit renoncer à 0,88 unité de drap. Quant à la Grande-Bretagne, elle doit renoncer à 0,83 unité de vin pour produire une unité de drap et à 1,2 unité de drap pour produire une unité de vin.
Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que le Portugal, bien qu’ayant un avantage absolu dans la production de vin et de draps, est comparativement plus compétent dans la production de vin. Parallèlement, la Grande-Bretagne, bien qu’ayant deux désavantages absolus, est plus performante dans la production de draps.
Ainsi, en se spécialisant dans la production de vin et en laissant la Grande-Bretagne se spécialiser dans la production de draps, le Portugal peut obtenir 1,2 drap contre 1 unité de vin de la part de la Grande-Bretagne au lieu de 0,88 unité avant spécialisation.
Les nombreuses remises en question des modèles classiques induites par notre époque contemporaine
En prépa, les théories qui viennent d’être abordées sont classiques (sans mauvais jeu de mots). Elles doivent par conséquent être parfaitement comprises, car elles seront inévitablement attendues sur un sujet sur le commerce international.
De plus, le degré de précision de tes connaissances sur ces théories est ce qui te permettra de faire la différence avec les autres candidats qui replaceront ces auteurs. Toutefois, ce qui peut également te permettre de te différencier est la capacité d’avoir un certain recul sur ce que tu écris. Cela te permettra de mettre en avant le décalage plus ou moins important entre la théorie et la réalité.
Dans le cas des théories classiques du commerce international, ce décalage est en l’occurrence très important. Non pas parce que Smith et Ricardo ont développé des idées erronées, mais parce que ces idées étaient adaptées au contexte historique dans lequel elles s’inscrivent.
Si on prend le cas de Ricardo, ce dernier pose un certain nombre d’hypothèses lorsqu’il développe sa théorie des avantages comparatifs. En effet, il part du principe que :
- les facteurs de production ont une mobilité interne, mais une immobilité externe. Autrement dit, ils se déplacent librement au sein d’un pays, mais pas entre les pays ;
- la concurrence est pure et parfaite :
- les rendements d’échelle sont constants ;
- la spécialisation est interbranche, c’est-à-dire que chaque pays est spécialisé dans une production.
Or, la réalité est bien différente
Tout d’abord, les facteurs de production peuvent très bien être mobiles entre les pays. En ce qui concerne la concurrence pure et parfaite, c’est évidemment une fable.
Pour rappel, on parle de concurrence pure et parfaite sur un marché lorsqu’au moins une des hypothèses suivantes est respectée : atomicité, libre entrée/libre sortie, mobilité des capitaux, transparence de l’information et homogénéité des produits.
Pour plus d’informations sur ce sujet, je t’invite à lire cet article paru sur Major-Prépa.
Là où la réalité diffère le plus radicalement de la théorie classique est dans le cadre de la DIPP. La loi des avantages absolus et comparatifs sous-entend que la spécialisation d’un pays est interbranche. Autrement dit, chaque pays est spécialisé dans une production différente. Or, par définition, la DIPP induit que la spécialisation n’est non pas inter, mais intrabranche. Autrement dit, différents pays sont spécialisés dans des étapes différentes d’une même production.