C’est un projet de loi défendu par le gouvernement depuis novembre afin de faciliter le commerce de nuit. Le projet prévoit une possible ouverture des commerces alimentaires jusqu’à minuit, contre 21 h aujourd’hui. Si le projet n’est pas encore passé et qu’il sera longuement débattu, il soulève de nombreux enjeux. Serait-ce l’un de ces cas où le capitalisme essaye d’empiéter sur l’humain ?

Le projet en lui-même

L’exécutif a annoncé le début d’une concertation de six mois pour assouplir la législation concernant le travail de nuit, en portant une attention particulière aux commerces alimentaires. L’objectif ? Permettre aux commerces alimentaires d’ouvrir jusqu’à minuit et que les trois heures supplémentaires de travail pour les employés ne soient plus considérées comme du travail de nuit, mais une extension de la journée. Dès lors, cela implique une négociation collective pour organiser ces nouvelles journées. La loi s’engage donc dans la voie d’une flexibilisation du marché du travail, d’une plus grande souplesse des règles d’ouverture… De tels horaires existent déjà, mais la loi ne les autorise que dans les zones touristiques internationales.

Ses vertus

Sachant que plus de dix millions de Français travaillent en horaires décalés, le projet permettrait ainsi à une grande partie d’entre eux de consommer plus facilement et plus efficacement, et non à la hâte. En prenant plus de temps pour faire leurs courses, il est fort probable qu’ils consomment mieux en termes d’alimentation. Ainsi, ces nouveaux horaires permettent à plus de citoyens d’accéder à ces commerces. Ces horaires tardifs sont d’ailleurs appliqués avec succès dans d’autres pays.

Les conventions collectives qui vont découler des négociations collectives peuvent aussi aller dans le sens d’un partage du travail, avec de nouveaux emplois créés à la clé. Cela permettrait de faire baisser davantage le taux de chômage en France. De même, le gouvernement justifie son projet par la croissance supplémentaire que cela générerait.

Enfin, pour ces commerces cela serait un moyen de lutter contre la menace grandissante du commerce en ligne, destructeur d’emplois et surtout du commerce de proximité. C’est un choix de société clair qui est pris avec cette décision, qui est loin d’être anodine.

Mais…

Toutefois, de nombreux freins demeurent. Tout d’abord, un frein inhérent : l’efficacité d’une telle mesure pour relancer la croissance n’est pas avérée. Selon une étude de Nielsen, les ventes entre 21 h et minuit ne représenteraient que 1 ou 2 % des ventes totales de la journée. Une proportion négligeable, bien que des enseignes qui appliquent déjà ces horaires affichent des proportions plus élevées (Monoprix annonce 10 %).

L’application de cette loi sera compliquée. Les contreparties qui seront demandées, par les syndicats notamment, s’annoncent élevées. L’aboutissement du projet n’est donc pas attendu de sitôt, d’autant que le gouvernement traîne, avec une concertation de six mois et une ordonnance d’ici 18 mois.

C’est aussi dans les choix de société qu’elle induit que cette potentielle ouverture tardive questionne. Elle fait du consommateur le roi, car les horaires s’adaptent à celui-ci, mais ce roi est aussi prisonnier : le projet va dans le sens du consumérisme et du consommateur captif. Le caractère éthique et responsable du projet n’est donc pas aussi évident. Il privilégierait donc une croissance infinie et non à échelle humaine. Restreindre ces horaires adapte l’économie à l’homme et la calque sur son cycle de vie, mais le commerce de nuit efface ce cycle, efface la frontière jour/nuit et enchaîne l’homme.

Ce projet serait donc la marque de signature d’un homme prométhéen. Le projet est encore loin d’aboutir et suscitera de nombreux débats. Des pays et des villes l’appliquent déjà, avec plus ou moins d’efficacité. C’est avant tout un choix de société qui est pris. On n’oublie pas, dans les avantages, que cela permettrait à vous, les préparationnaires, de faire vos courses plus facilement… mais est-ce que cet argument sera pris en compte ?