La guerre en Ukraine provoque une nouvelle crise économique. Cette dernière succède à la crise économique de la Covid-19, elle-même survenue lors d’une phase d’activité économique fragilisée. Et si en réalité la crise était permanente, sans fin ?
Cet article va essayer d’analyser les crises financières, en se demandant si celles-ci sont inévitables.
Le développement de la finance : source d’instabilité ou de croissance ?
Ross Levine est le chef de file de l’abondante littérature empirique visant à appréhender le lien de causalité entre développement financier et développement économique. Il exerce alors une grande influence. Il a été économiste à la Banque mondiale entre 1990 et 1997, au moment où celle-ci promouvait sa stratégie de libéralisation financière. Ses articles lui valurent une grande reconnaissance académique.
Les travaux de Ross Levine ont beaucoup d’adeptes et peu de contradicteurs. Rares sont les études cherchant à examiner la relation inverse, la finance expliquée par la croissance. Et rares sont celles niant la relation, voire établissant une relation négative entre la finance et la croissance.
La libéralisation financière
La politique de libéralisation financière a été proposée comme une alternative censée offrir plus de liberté aux marchés des capitaux. Ceci pour une sélectivité plus rationnelle et rentable des financements et leur orientation vers les agents productifs. Cette orientation a reçu un large suivi. D’abord par les pays développés, avant de s’élargir à beaucoup d’autres en développement. Ces derniers ont vite libéralisé leurs systèmes financiers sur le plan interne et externe. Ils ont réalisé ainsi des taux de croissance assez élevés pour la plupart.
Dans les pays émergents comme l’Indonésie, la Corée du Sud, la Malaisie et l’Argentine, une croissance très positive des indicateurs macroéconomiques a été enregistrée après leur ouverture financière jusqu’en 1996. Cependant, la crise financière, qui s’est déclenchée d’abord en Thaïlande durant l’été 1997 pour ensuite se propager à d’autres pays, a relativisé le bilan jusque-là positif de la libéralisation financière. Les institutions financières internationales (IFI), c’est-à-dire la Banque mondiale et le FMI, préconisaient ainsi la libéralisation financière. La possibilité d’une crise systémique n’était pas envisagée.
Dans son ouvrage intitulé L’Empire de la valeur : refonder l’économie, publié en 2011, l’économiste André Orléan décrit bien ce climat de certitude qui régnait quant à la stabilité du marché financier juste avant la crise de 2008.
Point historique sur les crises financières
Comparer la première et la seconde mondialisation financière est une entreprise fructueuse. Cela permet de constater combien certains phénomènes – comme les crises financières – ont eu des précédents historiques. Les premiers travaux universitaires comparant les deux mondialisations datent des années 1990.
Ils faisaient le constat de la « courbe en U », avec un retour, à la fin du XXᵉ siècle, au niveau de l’intégration financière de 1914. Mais l’intégration financière des années 2000 s’est prolongée de manière tellement rapide que certains auteurs parlent de « courbe en J » aujourd’hui. La crise financière de 2007-2008 a stoppé cette progression, mais le degré d’intégration demeure largement supérieur à celui des années 1990. Ainsi, l’évolution de la mondialisation financière au cours des vingt dernières années semble inédite.
Il n’y a pas de capitalisme sans crises financières. Charles Kindleberger, dans son livre Histoire mondiale de la spéculation financière datant de 1994, l’a montré sur la longue période depuis le XVIIᵉ siècle. L’histoire économique est scandée par ces épisodes périodiques d’effondrements des prix des actifs monétaires et financiers.
Voici les plus importants
- 1634-1637 : la crise des tulipes perçue par Kindleberger comme la première véritable crise financière.
- 1847-1848 : il s’agit d’une crise mixte. Une crise agricole, avec la famine en Irlande en 1845, deux années de mauvaises récoltes en France et en Grande-Bretagne, qui ont des répercussions importantes. La métallurgie entre en crise du fait de la baisse de demande textile et agricole, des secteurs qui se sont mécanisés. Ce qui atteint à son tour le chemin de fer. Surviennent un krach en 1847 sur les places boursières française et britannique et une crise financière largement liée à la spéculation sur les chemins de fer.
- 1866 : faillite d’une entité bancaire à Londres en raison des problèmes des chemins de fer anglais et américains. Se produit une contagion à de nombreuses maisons de La City, sauvées par l’intervention de la Banque d’Angleterre. L’observation de cette crise conduisit Bagehot à formuler sa doctrine du prêteur en dernier ressort (Lombard Street, 1873).
De la crise financière à la crise économique mondiale
Dès le début de l’année 2007, des indices de défaillance liés aux subprimes se multiplient, liés à la remontée des taux d’intérêt de la Fed. La faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 marque une accélération dans la diffusion de la crise. Elle est la principale actrice du marché des CDS. Alors que d’autres banques (comme Barclays) sont candidates à la reprise, la Fed refuse de donner sa garantie. Ce signal peut être interprété comme la volonté de faire un exemple, donc de lutter contre l’aléa moral. Cette faillite déclenche l’effondrement des marchés.
Les faillites bancaires se multiplient. Les États sont obligés d’intervenir pour soutenir les banques et éviter que les clients ne vident les comptes. Ils veulent éviter que des crises de liquidité ne se transforment en crises d’insolvabilité.
Suite à la crise financière, les mécanismes de contagion à l’économie réelle se mettent en place : credit crunch, effets de richesse et crise de confiance dans une logique de prophétie autoréalisatrice. Il y a ensuite une transmission internationale de la crise par la contraction du commerce international.