Dans Les Vagues longues de la conjoncture (1926), Nikolaï Kondratiev, à la demande de Lénine, démontre l’existence de cycles économiques de longue durée, d’environ 50 ans. Il s’appuie sur des statistiques économiques provenant de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis, couvrant la période de 1780 à 1919. Bien que le cycle puisse être vérifié empiriquement, de nombreux économistes débattent encore des causes de ce phénomène, comme la théorie de Kondratiev lui-même qui s’appuie sur les variations de l’épargne, ou encore celle de Schumpeter qui s’appuie sur les cycles d’innovations. Paul Boccara, pour sa part, cherche à proposer une théorie marxiste du cycle Kondratiev.
Explication originale du cycle Kondratiev par Nikolaï Kondratiev lui-même
Nikolaï Kondratiev a cherché à expliquer la nature de son propre cycle. Selon lui, ces fluctuations économiques de long terme proviennent des variations de l’épargne. Voici son raisonnement.
La phase ascendante débute par une abondance d’épargne, entraînant un taux d’intérêt faible. Ce taux réduit favorise une hausse de l’investissement et une dynamique d’accumulation du capital, conduisant ainsi à une croissance économique. La phase descendante, quant à elle, commence avec une utilisation intensive de l’épargne, ce qui la rend plus rare. Par conséquent, les taux d’intérêt augmentent, marquant la fin de la dynamique d’investissement et d’accumulation du capital. L’économie entre alors en récession, et l’épargne se reconstitue progressivement.
Néanmoins, de nombreuses critiques ont été adressées à cette théorie. En effet, Kondratiev assimile la croissance à une baisse de l’épargne et la décroissance à une hausse de celle-ci. Or, empiriquement, c’est plutôt l’inverse qui se vérifie : une croissance économique implique une création de richesse, donc une augmentation de l’épargne disponible, et inversement. À titre d’exemple, lors de la crise de 1929, l’économie américaine a connu une dépression économique sans précédent, marquée par une chute de 87,5 % du Dow Jones entre le 24 octobre 1929 et le 8 juillet 1932, et par la faillite de 5 000 banques américaines. Or, cette décroissance ne s’est pas accompagnée d’une hausse de l’épargne, mais plutôt de sa disparition, estimée à l’époque à 30 milliards de dollars.
C’est dans ce contexte que des auteurs cherchent à apporter leur propre théorie du cycle, notamment Paul Boccara, qui va en donner une explication sous un angle marxiste.
La théorie de Paul Boccara sur le cycle Kondratiev
En 1960, Paul Boccara fonde l’École du Capitalisme monopolistique d’État et, dans son ouvrage Étude sur le capitalisme monopolistique d’État, sa crise et son issue (1977), il utilise la théorie marxiste de la croissance et des crises pour expliquer le cycle Kondratiev qui serait régi selon lui par la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.
Explication de la phase ascendante
La phase ascendante débute par un taux de profit élevé défini comme :
Cela entraîne des investissements et une dynamique d’accumulation du capital (donc c augmente). Or, à un moment donné, cette accumulation devient trop importante, ce qui oblige les patrons à baisser les salaires et à licencier des travailleurs (ce qui explique la baisse de v), entraînant ainsi une contraction de la demande qui devient trop faible par rapport à l’offre, donc à une baisse du taux de profit.
Mathématiquement :
donc
Explication de la phase descendante : Monopolisation
Au cours de cette phase, le mode de production capitaliste met en place les conditions pour le redressement du taux de profit.
Tout d’abord, il met en place une monopolisation de moyens de production. En effet, la récession, voire la dépression, entraîne des faillites, donc une dévalorisation du capital constant. Dès lors, les entreprises qui n’ont pas fait faillite ont l’opportunité d’acquérir du capital constant à un coût moindre que sa valeur initiale. Les moyens de production se concentrent alors, entraînant une monopolisation, puis une baisse de la composition organique du capital (mathématiquement : c et v baissent, car c diminue). Aboutissant in fine à une hausse du taux de profit.
Un exemple historique d’une telle pratique est la suspension des lois antitrust en 1933, qui a favorisé les monopoles, ou oligopoles, donc une baisse de la concurrence-prix et une hausse du taux de profit en fin de compte.
Explication de la phase descendante : Nationalisations par l’État
Enfin, pour redresser le taux de profit, le système capitaliste met en place une intervention de l’État bourgeois par la nationalisation. Au cours de la récession, ou la dépression, l’État met en place des nationalisations pour augmenter le capital public. L’État ne cherche pas ici à desservir les intérêts de la classe dominante, mais au contraire à les servir, puisqu’il s’approprie le capital qui ne permet pas la maximisation du profit.
Un exemple historique d’une telle pratique est celui de la France, qui a nationalisé entre 1936 et 1947 le secteur ferroviaire, le transport aérien, le gaz, l’électricité, etc. Le point commun entre tous ces secteurs est qu’ils présentent d’immenses coûts fixes et des rendements d’échelle croissants, ce qui rend impossible une tarification au coût marginal et donc la maximisation du profit.
Conclusion
Le cycle Kondratiev, initialement théorisé par Nikolaï Kondratiev pour expliquer des fluctuations économiques de longue durée, a suscité de nombreuses interprétations et des débats. Tandis que Kondratiev attribuait ces cycles aux variations de l’épargne, cette explication a été contestée pour son inadéquation empirique. Cela a conduit d’autres économistes, comme Schumpeter et Boccara, à proposer leurs propres théories.
Paul Boccara, en mobilisant une approche marxiste, a enrichi cette réflexion en liant le cycle Kondratiev à la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Selon lui, les phases ascendantes et descendantes sont façonnées par des dynamiques intrinsèques au mode de production capitaliste : l’accumulation excessive du capital constant, les crises de surproduction, la monopolisation des moyens de production, et l’intervention de l’État par le biais de nationalisations.
Cependant, la théorie de Boccara n’échappe pas à la critique. Elle repose sur une vision assez systématique et déterministe des mécanismes capitalistes, qui peut sous-estimer la complexité des dynamiques économiques contemporaines, notamment dans un contexte où l’innovation, les politiques monétaires et les flux financiers jouent un rôle de plus en plus central.