dollar

Depuis 1944, le dollar américain constitue la monnaie internationale du système monétaire international, c’est-à-dire qu’il remplit les trois fonctions définies par Aristote au niveau mondial. Le dollar est utilisé pour définir la valeur des autres monnaies et la valeur des biens et services échangés à l’international (unité de compte). Il est utilisé pour la majorité des règlements de transactions entre les nations (intermédiaire des échanges). Enfin, les nations accumulent par l’intermédiaire de leur Banque centrale des actifs en dollars, qui constituent leurs réserves de change (réserve de valeur).

Le fait que le dollar constitue la monnaie internationale permet aux États-Unis d’occuper une position dominante. Ces derniers pouvant imposer des sanctions aux autres pays en utilisant le dollar comme arme. C’est par exemple ce qui s’est produit en 2022 lors du gel des avoirs russes en dollars. Face à cette position de force américaine, certains pays cherchent à promouvoir des substituts au dollar, comme lorsqu’en 1975, l’OPEC annonçait la cotation des prix du pétrole en DTS (droits de tirage spéciaux) et non plus en dollars.

Ces réactions face à la suprématie américaine ont conduit des dirigeants politiques et certains économistes à parler d’une « dédollarisation ». C’est-à-dire d’un processus de remplacement du dollar américain utilisé dans sa fonction de monnaie internationale. Cependant, bien que ces mouvements et l’idée d’une dédollarisation ne soient pas récents, le dollar américain reste bel et bien aujourd’hui la monnaie internationale.

Alors, la dédollarisation qui peine à se produire peut-elle toujours être considérée comme une hypothèse réaliste ?

Quelle est la situation actuelle d’un point de vue statistique ?

Comme nous l’avons déjà évoqué, le dollar américain est omniprésent au niveau international. Selon l’économiste Carl Grekou dans son article « Un dollar contesté, mais toujours pas détrôné », le dollar est utilisé dans près de 90 % des transactions sur le marché des changes mondial. C’est-à-dire que sur 100 transactions impliquant 200 monnaies (car il y a nécessairement une monnaie achetée et une monnaie vendue), le dollar est présent 90 fois.

Les réserves de change des nations sont aussi majoritairement constituées de dollars. Dans ce même article, on peut observer qu’entre 1995 et 2020, les réserves de change des banques centrales ont toujours été constituées d’au moins 60 % d’actifs en dollars. Cependant, cette part a plutôt tendance à baisser. La part des réserves de change des banques centrales en dollars étant de 65 % en 2015, contre 59 % au quatrième trimestre de 2022, d’après le FMI.

Quels sont les intérêts et les actions des différents pays par rapport à la dédollarisation ?

Un intérêt évident pour les pays rivaux des États-Unis

Tout d’abord, on pourrait plutôt penser que ce sont les pays rivaux des États-Unis qui trouvent un intérêt dans une possible dédollarisation. En effet, les États-Unis ont souvent utilisé le dollar afin d’affaiblir les économies de leurs pays rivaux. C’est ce que souligne Ali Laïdi dans son ouvrage Le Droit, nouvelle arme de la guerre économique, en 2019.

En effet, les États-Unis ont par exemple utilisé leur contrôle sur le dollar pour sanctionner BNP Paribas après que la banque a brisé l’embargo avec Cuba et l’Iran. C’est pourquoi on observe chez les pays rivaux des États-Unis une volonté de trouver des substituts au dollar. Par exemple, en 2014, les banques centrales russe et chinoise ont trouvé un accord entérinant l’ouverture d’une ligne de swap entre les deux pays qui leur permet notamment de commercer en roubles et en yuans et plus nécessairement en dollars.

Un intérêt partagé par le leader hégémonique ?

Cependant, certains économistes affirment aussi que les États-Unis pourraient trouver un intérêt dans une forme de dédollarisation, sinon au moins dans un rééquilibrage du SMI. C’est la thèse que défendent Klein et Pettis dans Les Guerres commerciales sont des guerres de classes, en 2020.

Les deux auteurs montrent qu’il existe un appétit très important des investisseurs étrangers pour le dollar. La demande d’actifs en dollars est donc très soutenue et vigoureuse. Or, le système financier américain cherche à répondre à cette demande par la vente massive d’actifs en dollars et parfois même grâce à l’innovation financière. Cela a pour conséquence que les États-Unis doivent absorber un surplus d’épargne conséquent qui provoque des déséquilibres. Notamment, ce surplus d’épargne est utilisé pour financer l’endettement public, ce qui explique la présence des « déficits jumeaux » des États-Unis (déficit public en raison de leur facilité à se financer et déficit commercial puisqu’ils absorbent l’épargne des autres pays).

Les auteurs pensent aussi que les déséquilibres engendrés par ce surplus d’épargne peuvent participer à des phénomènes comme le chômage ou la désindustrialisation. Ils expliquent que le SMI actuel profite beaucoup à Wall Street, mais que les déséquilibres qu’il provoque sont en réalité néfastes pour les Américains moyens. Ainsi, les États-Unis pourraient trouver un intérêt dans un rééquilibrage du SMI, ce qui nécessite l’apparition de substituts au dollar. De fait, on voit aujourd’hui que les États-Unis ont adopté une position plus individualiste à l’international et se soucient relativement moins des externalités générées par leurs politiques.

De manière générale, un SMI qui échoue à remplir certaines fonctions

La question d’une dédollarisation se pose aussi, car il existe un certain nombre de dysfonctionnements dans le SMI actuel. Tout d’abord, on peut simplement constater qu’il existe des mésalignements des taux de change (le dollar est par exemple considéré comme surévalué, il fut un temps où le renminbi était sous-évalué). Ces mésalignements peuvent découler des politiques publiques comme en Chine dans les années 2000. Dans un tel cas, on ne peut pas directement affirmer que le SMI est défaillant.

Cependant, il existe aussi des mésalignements durables qui découlent du marché, comme l’appréciation continue du dollar au cours des années 1980. Il y a notamment dans cette période une déception par rapport aux systèmes de changes flexibles qui n’ont pas permis les ajustements souhaités.

Par ailleurs, le SMI actuel est si déséquilibré qu’il en devient inéquitable

Au-delà même des puissances rivales des États-Unis, tous les pays subissent les externalités des politiques monétaires de la Fed. C’est pourquoi certains, comme l’ancien ministre des Finances brésilien Mantega, ont parlé de « guerre des monnaies ». En effet, le quantitative easing pratiqué par les Américains à la suite de la crise des subprimes est couplé à un taux d’intérêt au plancher. Ainsi, la rentabilité des placements en dollars est très faible et selon la théorie de la parité des taux d’intérêt (Keynes, A Tract on Monetary Reform, 1923), les capitaux se dirigent donc des États-Unis vers les autres pays, et notamment vers les pays en développement.

Le dollar a donc tendance à se déprécier, alors que les monnaies des PED ont au contraire tendance à s’apprécier. Or, cette appréciation des monnaies nuit à la compétitivité des PED, qui dénoncent cette situation. L’annonce de la fin du quantitative easing a participé à un déplacement des capitaux vers les États-Unis et donc, toujours selon la même théorie, à une dépréciation de la monnaie des PED. Ainsi, le SMI n’est pas seulement inéquitable, mais il est un système dans lequel l’instabilité des changes est assez forte.