Les délocalisations suscitent des craintes concernant le niveau de l’emploi (chômage), les revenus (risque que le salaire baisse) et le maintien du système de protection sociale. L’image des délocalisations est négative et cela s’explique en raison d’une large couverture médiatique des délocalisations quant aux pertes d’emplois. Mais on ne fait jamais référence aux bénéfices des délocalisations, d’une part, parce qu’ils mettent du temps à apparaître, et d’autre part, parce qu’ils sont plus difficiles à évaluer. De plus, il faut veiller à ne pas assimiler baisse des emplois, en particulier industriels, et délocalisations, car toutes les fermetures d’usines n’en sont pas forcément la conséquence.
Définition
El-Mouhoub Mouhoud, dans son ouvrage Mondialisation et délocalisation des entreprises (2006), apporte une distinction cruciale en ce qui concerne les délocalisations.
Il met en évidence deux types spécifiques : la délocalisation absolue et la délocalisation relative.
La délocalisation absolue
Elle se caractérise par le déplacement d’une unité de production d’un pays A vers un pays B, que ce soit par le biais de filiales ou de sous-traitance.
Dans ce cas, l’entreprise transfère complètement ses opérations d’un territoire à un autre, souvent motivée par des avantages liés aux coûts, à la main-d’œuvre, ou à d’autres incitations économiques.
La délocalisation relative
Elle se produit en revanche lorsque l’entreprise opte pour une augmentation de sa production à l’étranger, alors même qu’elle aurait pu le faire sur son territoire d’origine.
Cette décision découle généralement de considérations stratégiques visant à exploiter des avantages locaux spécifiques à un autre pays tels que des marchés en croissance ou des compétences particulières.
El-Mouhoub Mouhoud identifie également deux stratégies principales de délocalisations : la délocalisation défensive et la délocalisation offensive.
La délocalisation défensive
Elle est principalement liée à la nécessité de faire face à une menace potentielle posée par des entreprises implantées dans des pays à bas coûts de main-d’œuvre. Un exemple illustratif de cette stratégie est l’Accord multifibre signé en 1974 au sein du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).
Cet accord a permis l’instauration de quotas d’importations de produits textiles par pays et par type de produit. Il avait pour objectif de protéger l’industrie textile des pays développés face à l’ouverture progressive des marchés aux produits textiles des pays du Sud, plus compétitifs.
Cet accord a pris fin en 2005, bien que la Chine ait accepté de le prolonger jusqu’en 2008. À la suite de son démantèlement, de nombreuses entreprises européennes ont opté pour la délocalisation pour protéger leurs parts de marché.
La délocalisation offensive
Elle consiste à délocaliser des activités pour gagner des parts de marché. Cette stratégie peut impliquer la spécialisation de l’entreprise dans les activités où elle excelle sur son territoire d’origine, tout en délocalisant d’autres activités. Cela permet à l’entreprise de se concentrer sur ses compétences de base, généralement définies comme son cœur de métier, sur son territoire d’origine.
Un exemple notable est celui des constructeurs automobiles allemands qui ont délocalisé leurs segments d’assemblage dans les pays d’Europe centrale et orientale après les années 1980. Cette décision a accru leur compétitivité grâce à une main-d’œuvre qualifiée et productive, ainsi qu’à des coûts salariaux plus faibles.
Cette augmentation de la compétitivité a permis aux entreprises allemandes d’augmenter leurs marges bénéficiaires, qu’elles réinvestissent pour monter en gamme et gagner en compétitivité sur les marchés internationaux.
Les effets négatifs des délocalisations
Les délocalisations peuvent avoir des effets négatifs importants, notamment en ce qui concerne l’emploi et les salaires des travailleurs peu qualifiés.
Destruction d’emplois
Tout d’abord, la délocalisation absolue, qui implique le transfert complet d’unités de production d’un pays à un autre pour réduire les coûts de production, peut entraîner la destruction d’emplois à court terme. Les travailleurs les plus touchés par ces délocalisations sont généralement les moins qualifiés. Les activités d’assemblage, souvent délocalisées en raison de leur coût moindre, sont particulièrement touchées.
Cette concentration géographique des activités délocalisées peut avoir un impact significatif sur les régions concernées, créant ainsi des déséquilibres territoriaux. Une dynamique de cascade de délocalisations peut se produire, comme le décrit la nouvelle économie géographique (NEG) : une première entreprise délocalise vers une région qu’elle juge avantageuse, devenant ainsi plus compétitive. Cela peut inciter d’autres entreprises à faire de même pour ne pas perdre de parts de marché, et ces entreprises se délocalisent souvent dans la même région pour profiter d’économies d’échelle externes.
Cette incitation à la délocalisation augmente à mesure que d’autres entreprises se joignent au mouvement. Ces délocalisations entraînent également la délocalisation d’autres acteurs de la filière, comme dans l’industrie textile à la fin des années 1970, où la filature du coton a automatisé sa production pour rester compétitive face à la délocalisation des fabricants de textiles.
Baisse des salaires
De plus, les délocalisations qui nécessitent un travail peu qualifié peuvent avoir des effets négatifs sur les salaires des travailleurs peu qualifiés. Cela peut expliquer en partie la baisse des salaires des travailleurs moins qualifiés, en particulier aux États-Unis, où le salaire minimum est relativement bas, à 7,25 $ de l’heure (bien que certains États puissent le relever ou le maintenir à ce niveau).
Cette situation peut être liée à un effet de type Stolper-Samuelson, qui est une extension du théorème de l’avantage comparatif d’Heckscher-Ohlin-Samuelson. Stolper et Samuelson ont étudié l’impact de la spécialisation sur la répartition des revenus des facteurs de production, à savoir le capital et le travail, en tenant compte du fait que la main-d’œuvre n’est pas homogène (qualifiée, peu qualifiée, etc.) et que la spécialisation peut varier en termes de valeur ajoutée.
Les pays spécialisés dans des activités à forte valeur ajoutée nécessitant une main-d’œuvre qualifiée peuvent voir la demande pour cette main-d’œuvre augmenter, tandis que les pays spécialisés dans des activités à faible valeur ajoutée nécessitant une main-d’œuvre moins qualifiée peuvent voir leur demande diminuer. Cela peut avoir des effets négatifs sur les salaires, creusant les inégalités et montrant les effets adverses de la mondialisation.
Les effets négatifs peuvent être compensés
Les délocalisations, malgré leurs effets négatifs, peuvent souvent être plus que compensées par plusieurs facteurs bénéfiques.
Sauvegarde des emplois nationaux
Tout d’abord, les délocalisations défensives peuvent permettre de sauvegarder des emplois nationaux qui seraient autrement condamnés.
Lorsque les entreprises se voient contraintes de délocaliser pour réduire leurs coûts de production, elles peuvent néanmoins maintenir des emplois complémentaires liés aux activités délocalisées, préservant ainsi des emplois nationaux.
Création d’emplois dans certains secteurs
De plus, les délocalisations offensives, visant à accroître la compétitivité de l’entreprise et à gagner des parts de marché, peuvent également entraîner la création d’emplois. Lorsqu’une entreprise délocalise pour réduire ses coûts de production, elle peut ajuster ses prix à la baisse, ce qui lui permet de gagner des parts de marché et d’augmenter sa profitabilité.
Cette croissance peut conduire à la création de nouveaux emplois, en particulier dans les secteurs qualifiés. Un exemple pertinent est la stratégie offensive de délocalisation adoptée par le groupe Seb, qui a délocalisé ses modèles bas de gamme tout en développant des modèles haut de gamme, notamment en France, créant ainsi des emplois qualifiés.
Les délocalisations peuvent également engendrer la création d’emplois dans deux types d’activités principales. D’une part, dans les secteurs liés à l’approvisionnement des entreprises et à la gestion de la fragmentation géographique du processus de production des entreprises. D’autre part, les entreprises de conseil aux entreprises peuvent également bénéficier de la demande croissante de services liés aux délocalisations.
De plus, l’augmentation des revenus dans les pays de délocalisation peut générer de nouveaux emplois. Les entreprises multinationales offrent souvent des salaires plus élevés que les entreprises locales, ce qui peut attirer de la main-d’œuvre qualifiée. À moyen terme, cela peut stimuler la demande, qui peut se tourner vers des biens fabriqués par le pays d’origine des délocalisations. Si les revenus dans ces pays augmentent, cela peut entraîner une augmentation des exportations des pays d’origine.
Enfin, les coûts de production réduits dans les pays d’origine des délocalisations peuvent se traduire par une hausse du pouvoir d’achat des citoyens, conformément à la loi d’Engel. L’augmentation de la demande pour les biens et services nationaux peut stimuler la production et la création d’emplois.