écologie

La planification est un mot qui revient beaucoup actuellement dans le débat économique. Ce concept n’est pas nouveau, mais il s’oppose complètement aux tendances libérales qui ont prévalu lors de ces dernières décennies. Celles-ci rappelant plutôt la situation de la France après la Seconde Guerre mondiale avec un État engagé qui pilote l’avenir de l’économie française.

Mélenchon était le premier à réutiliser ce terme, mais il est maintenant utilisé par de nombreuses personnalités politiques. Y compris par Emmanuel Macron, qui souhaite établir une véritable planification afin de permettre la transition écologique. Le pilotage de la transition est ainsi confié à Élisabeth Borne qui sera assistée par Antoine Pellion, Secrétaire général à la Planification écologique.

Intéressons-nous donc à ce terme et aux enjeux qu’il implique.

Urgence de la situation

Le contexte de la guerre en Ukraine n’a fait qu’aggraver le sentiment d’urgence de la poursuite d’une planification écologique. En effet, la guerre nous a révélé les dangers de la dépendance énergétique, puisque l’Europe est un continent proche de l’épuisement de ses ressources fossiles. La fourniture de l’énergie en France n’est certes pas directement mise en danger par la rupture de nos relations commerciales avec la Russie. En effet, seulement 20 % de nos énergies sont importées de la Russie.

Cependant nombreux sont nos voisins européens qui dépendent des énergies russes, notamment la Pologne et la Bulgarie. Et du fait de la solidarité inhérente à la construction européenne, si une partie s’écroule, tout l’ensemble sera affecté.

En effet, dans notre économie européenne intégrée, les importations permettent d’amortir le choc pour les pays les plus dépendants aux énergies fossiles russes. Mais elles diffusent le choc au reste de la zone par la même occasion. On est donc pleinement concernés par l’urgence de la transition énergétique. Réduire notre dépendance aux énergies fossiles, c’est aussi gagner en souveraineté nationale quant à l’approvisionnement de nos ressources.

Voici un article pour creuser ce sujet.

Historique de la planification

Lorsque le Plan Marshall arrive en Europe en 1948 pour aider à la reconstruction, il est directement pris en charge par la nouvelle Organisation européenne de coopération économique (OECE), un des premiers jalons de l’intégration européenne. L’Europe était alors encore une économie en reconstruction loin de la frontière technologique. Il lui suffisait donc de fonder sa croissance sur l’imitation des technologies existantes dont disposaient les leaders.

Ce type de croissance – une croissance extensive – nécessitait un investissement lourd et ciblé dans le capital et le travail. Par ailleurs, les défaillances du secteur privé faisaient consensus, donc l’État a pris pleinement la relève. On a alors eu en France comme au Japon ce qu’on a appelé le Colbertisme high-tech. C’est un processus par lequel l’État essaie d’appuyer sa croissance sur l’émergence de champions nationaux dans la haute technologie. Et cela passe notamment par le pilotage d’industries stratégiques qui sont centrales dans leur filière. D’où les nationalisations successives de la SNCF en 1937 et de la RATP en 1948.

Les modèles de développement asiatiques comme la Corée du Sud ou le Japon illustrent l’idée qu’un pays éloigné de la frontière technologique a tout intérêt à placer l’État au centre de son processus de développement économique.

Cependant, l’État se désengage progressivement à partir des années 1970 avec le tournant libéral. En effet, le secteur public représente 25 % de la valeur ajoutée en 1985, contre 5 % en 2010.

Critiques de l’État

Si l’économie des Trente Glorieuses a profité du rôle prépondérant de l’État, celui-ci fait l’objet de nombreuses critiques. En effet, l’école des choix publics défend l’idée que l’État peut ne pas détenir l’information pertinente, ce qui l’empêche de faire les bons choix lorsqu’il dirige une économie. Du fait de l’existence d’une information asymétrique, il risque d’y avoir une capture de premier degré. C’est-à-dire que l’État ne va faire bénéficier son soutien qu’à ce qui est visible. Et l’État peut avoir du mal à gérer les échecs. Ainsi, les programmes défaillants qui ont démarré ne peuvent pas être arrêtés. C’est la capture de second degré.

Une autre limite est liée à l’état actuel de notre économie. Plus une économie se rapproche de la frontière technologique, plus son économie est soumise aux changements rapides de la concurrence internationale, et plus les plans établis par la puissance publique risquent de s’avérer inutiles. De plus, le contexte actuel est différent de celui de l’après-guerre. Notre économie est plus mondialisée et intégrée, les marchés sont instables et imprévisibles et le changement technologique est rapide. Ces problèmes d’information sont alors démultipliés.

Outil de demain ?

Hayek fait sa grande critique de l’État en 1944 dans La Route de la servitude. L’État est incapable de saisir la complexité de nos sociétés modernes et n’a que pour seul rôle la garantie des droits de propriété afin que les agents économiques puissent faire leurs calculs maximisateurs librement. C’est cela qui aboutira à un processus d’ajustements nécessaires à la transition écologique. Car les agents prennent en compte leurs erreurs dans leurs calculs maximisateurs et ils s’adaptent aux nouvelles réalités de prix.

La transition écologique, si elle doit avoir lieu, doit ainsi se faire naturellement par le biais des choix individuels des agents. C’est ainsi que l’information véhiculée par le prix sera conforme à l’optimum social qui est décidé ex-post et non ex-ante de manière centralisée. Le marché des quotas par exemple est un exemple d’intervention justifiée dans ce cadre libéral. Car il s’agit d’internaliser les externalités puis de laisser jouer les vertus de la coordination marchande. Toute tentative de manipulation de l’activité par l’État risque de provoquer des distorsions de marché, notamment à cause des rigidités inhérentes aux entités constituantes de l’État.

Malgré ces critiques, des approches plus néokeynésiennes défendent un rôle de l’État plus important du fait de l’incertitude radicale. Or, dans des situations d’incertitude radicale où les esprits animaux au sens de Keynes dominent, la fonction d’information du prix est moins efficacement remplie. Les agents peuvent se montrer excessivement prudents dans ce cadre et avoir une préférence pour les actifs sûrs plutôt que de financer les investissements futurs cohérents avec la transition écologique.

Le problème de Path Dependence

Les entreprises préfèrent mettre en œuvre des changements mineurs à la marge qui permettent de maintenir le même modèle plutôt que de transformer complètement leur processus productif. Ce qui est plus coûteux et risqué, et cela alors même que de meilleures alternatives existent. Gaffard défend bien l’idée qu’un cadre de confiance où l’avenir est lisible est nécessaire pour que les entreprises puissent développer des technologies innovantes. Cela est possible avec une planification qui dessine une voie sécurisante pour les entreprises et les incite à investir dans un cadre plus confiant.

Mazzucato (Mission-oriented innovation policy, 2017) défend la conception d’un État qui va au-delà de la correction des défaillances de marché en intégrant des objectifs sociaux dans ses politiques. L’Energiewende en Allemagne a en ce sens permis le retrait du charbon nucléaire et le passage à un modèle plus soutenable et moins énergivore avec une meilleure part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique.

Une planification écologique pour une transition juste

Les plans qui visent la transition écologique doivent être attentifs à ne pas creuser les inégalités. Il est ainsi important d’accompagner les pays, les industries et les entreprises qui vont le plus souffrir de la poursuite de cette transition. Le projet de Biden « Rebuild Better » a ainsi été refusé par les représentants du secteur du charbon justement car il aurait été trop destructeur pour leur industrie.

De même, les mesures de prix du carbone doivent être attentives aux populations les plus négativement touchées. Ces dépenses représentent un poids plus important pour les plus bas revenus en pourcentage de leurs revenus. Donc, si on vise plus de sobriété, on doit déjà s’assurer de l’existence de substituts et assurer des compensations pour les ménages les moins fortunés.

Je te renvoie vers la note du CAE qui développe cette idée.

La dimension de justice sociale doit donc être centrale dans la perspective de planification écologique

Pour Éloi Laurent, cet exercice ne consiste pas seulement à chercher l’efficacité économique, mais à sortir de la contrainte sociale actuelle sous laquelle notre société se trouve. Où nos comportements sont encadrés par l’idéologie néolibérale productrice d’inégalités.

Il propose d’échanger cette contrainte par celle de la planète. Il s’agirait de garantir le bien-être de chacun dans les limites de la biosphère. Pour cela, il faudrait nous détacher de la théorie des préférences néoclassiques pour nous aider de la sociologie, afin de comprendre comment les choix sont structurés.

Les mesures actuelles allant dans le sens de la planification écologique

Au-delà des engagements des Accords de Paris, les États-Unis viennent d’adopter un plan (dans le cadre de l’Inflation Recovery Act) en faveur de la transition énergétique. Ce dernier prévoit de mobiliser 369 Mds destinés à réduire les émissions de GES de 40 % d’ici 2030 par rapport à celles de 2005. La loi prévoit de nouvelles dépenses pour augmenter la capacité de fabrication d’éoliennes, de panneaux solaires, des crédits d’impôt pour renforcer l’efficacité énergétique des sites industriels.

En parallèle, la loi européenne sur le climat de 2021 a fixé comme objectif la baisse des émissions de GES par rapport à 1990 de 55 % d’ici 2040. La coopération semble ici essentielle pour réussir la transition écologique. Ainsi, une planification à l’échelle régionale semble envisageable pour ce qui concerne la poursuite de certains objectifs environnementaux.

Conclusion

Le mot planification peut faire peur, en cela qu’il fait penser aux planifications communistes et à un État qui fait obstacle aux initiatives individuelles. Un État qui risque de se tromper et qui n’a pas la connaissance adéquate pour piloter la production.

Cependant, dans ce cadre incertain, une forme de planification semble inévitable. Une planification sûrement différente de celle que la France a connue après la guerre, avec une dimension de justice sociale plus forte.