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Bonne lecture !

Dissertation d’ESH HEC composée le 10 mai 2016 et notée 20/20

Sujet : Les États ont-ils encore à arbitrer entre le chômage et l’inflation ?

L’économie de la zone euro est confrontée à deux problèmes majeurs : d’une part un chômage de masse qui dépasse toujours les 10% de la population active, et d’autre part la menace déflationniste, l’objectif de la BCE de maintenir le taux d’inflation à 2% n’étant pas atteint depuis plusieurs années. Or la théorie économique nous a longtemps expliquée qu’il était possible d’arbitrer entre le chômage et l’inflation ; dès lors ne serait-il pas pertinent de réduire le chômage en augmentant l’inflation ?

D’abord, il est nécessaire d’expliquer le lien entre chômage et inflation. L’inflation, c’est la hausse continue et généralisée des prix. Mesurée chaque trimestre par l’INSEE à l’aide d’un panier de biens et de services représentatifs de la consommation des agents économiques, l’inflation est censée suivre le rythme de la croissance de l’économie, et donc de rester mesurée. Cependant l’inflation a en soi la capacité d’influencer la croissance ainsi que le chômage, en modifiant le choix des agents économiques et la valeur de la monnaie. Le chômage est quant à lui soumis à plusieurs définitions (BIT, pôle emploi) et à plusieurs conceptions (structurel, conjoncturel, naturel, de sous-emploi) qui ont chacune des réponses particulières à l’inflation ; il s’agira de les distinguer. Mais c’est avec la courbe dite de courbe de Phillips-Samuelson élaborée successivement par les deux économistes dans les années 1950, qu’apparaît un véritable arbitrage entre chômage et inflation. En effet, cette courbe nous explique qu’une hausse de l’inflation permet de réduire le chômage et que réciproquement une hausse du chômage réduit l’inflation jusqu’à rentrer en déflation notamment en période de crise. En effet l’inflation agit sur les décisions des agents économiques, et est censée permettre de relancer la demande, augmenter les profits des entreprises, réduire le coût de l’endettement, ainsi que le poids de la dette, et donc a fortiori de faire baisser le chômage. C’est durant « les trente glorieuses » (selon l’expression de Jean FOURASTIÉ) avec l’âge d’or du « fine tunning » et les politiques de « stop and go » que les États ont eu recours à la courbe de Phillips-Samuelson pour véritablement arbitrer entre chômage et inflation.

Alors que le taux de chômage est très élevé et que nos économies développées sont proches ou déjà tombées dans une spirale déflationniste (comme le Japon depuis plus de 20 ans), il paraîtrait judicieux d’arbitrer entre plus d’inflation pour moins de chômage. Mais les États ont-ils encore la possibilité d’arbitrer entre chômage et inflation ? Et quand bien même l’auraient-ils, faut-il utiliser l’inflation pour réduire le chômage ?

Nous verrons tout d’abord que les États n’ont désormais plus les moyens d’arbitrer entre chômage et inflation. Puis nous nous demanderons si les États devraient pouvoir effectuer cet arbitrage, notamment en ce qui concerne la zone euro. Enfin, nous constaterons que cet arbitrage est à la fois problématique et insuffisant tant pour la question du chômage que pour l’enjeu de la déflation.

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Depuis les années 1970, les États ont progressivement perdu la capacité d’arbitrer entre le chômage et l’inflation : d’abord parce que empiriquement ces arbitrages n’en n’ont plus vraiment été car la théorie économique a contesté la possibilité de cet arbitrage, et enfin notamment à travers la constitution de la zone euro où les États ont petit à petit abandonner la possibilité d’agir sur l’inflation.

Avec le choc pétrolier de 1973, la croissance dite des « 30 glorieuses » s’achève, et le chômage ainsi que l’inflation explose. La hausse soudaine du prix des barils ont fait exploser la facture énergétique des pays développées dont la consommation énergétique reposait aux ¾ sur le pétrole. En 1974, le taux d’inflation dans l’OCDE grimpe à 11%, et il sera pour la France autour de ce niveau-là pendant pendant plus de 10 ans. Sur la même période, le chômage grandit lui aussi. En France, de 3% en 1970, il monte à 10% au début des années 1980, dépassant les 12% en 1993. Alors que l’inflation était censée faire baisser le chômage selon la courbe de Phillips-Samuelson celle-ci s’accompagne désormais d’une hausse du chômage. L’arbitrage théorique devient caduque, et les tentatives de relance des gouvernements successifs permises par des dévaluations (qui favorise l’inflation par hausse des coûts des importations) et par des politiques monétaires extensives, ne baissent aucunement le chômage. La « stagflation » a mit fin à l’arbitrage entre le chômage et l’inflation.

A la constatation empirique de l’échec de la courbe de Phillips-Samuelson s’ajoute une critique théorique. Elle viendra d’abord de Milton FRIEDMAN qui élabore sa propre courbe de Phillips, expliquant pourquoi l’inflation ne fait plus durablement baisser le chômage et pourquoi l’inflation grimpe. Il est à noter que l’économiste considère que le chômage est naturel, et qu’il est le fruit d’un calcul coût-avantage qui fait que certaine personne préfère être au chômage et vivre des allocations plutôt que de travailler. Une hausse de l’inflation va permettre à court terme de faire baisser le chômage, les individus étant victime de l’illusion monétaire, voient le résultat de leur calcul coût-

avantage être modifié, la valeur nominale du salaire proposé étant avantageuse. Mais à moyen terme l’illusion s’estompe et le salaire réel n’étant pas suffisant, ces individus retournent au chômage (On a ainsi le passage de 1 à 2 puis à 3).

Or, l’inflation qui a permis à court terme de réduire le chômage persiste à long terme. L’inflation est en effet un processus qui a tendance à s’auto-entretenir. Comme l’expliquent STERDINYAK et DEBONNEUIL, dans La boucle prix-salaire dans l’inflation, les salaires souvent indexés sur l’inflation encouragent encore la croissance du rythme de l’inflation et ainsi de suite. D’où l’émergence d’une spirale inflationniste dévastatrice économiquement. De plus, Robert LUCAS dans Exepectations and the neutrality of Money (1972) sont apparut les « anticipations rationnelles » qui sont émises par tous les agents économiques. Dès lors les individus ne sont plus victimes de l’illusion monétaire, autrement dit, les agents économiques anticipent parfaitement l’inflation et les conséquences qu’elle aura sur la divergence des valeurs nominales avec les valeurs réelles, remettant totalement en cause la pertinence et l’efficacité de la courbe de Phillips-Samuelson.

On assiste donc à partir des années 1980 à une remise en cause virulente de la politique monétaire des États. Seulement capable d’accélérer l’inflation sans réduire aucunement le chômage, les États ont été confronté à une crise tant d’efficacité que de légitimité. L’école de la « public choice » avait déjà souligné l’incapacité des États à aller vers l’intérêt général. Dans Rules rather than Discretion (1977) KYDLAND et PERSCOTT critiquent les politiques monétaires des États qui ne visent pas suffisamment à combattre l’inflation. Pour eux il faut « lier les mains des politiques » et confier la politique monétaire à des institutions indépendantes qui cherchent, plutôt que d’être réélu, à respecter une orthodoxie monétaire. C’est dans cette critique de la politique monétaire des États que se construira la zone euro et la BCE. Avec la monnaie unique, les États membres perdent la possibilité d’agir sur l’inflation grâce à la politique monétaire. Sans possibilité d’agir sur les taux directeurs, ni sur le taux de change et encore moins sur la création monétaire, l’État perd quasiment tout contrôle de l’inflation. Ce contrôle revient à la BCE qui de plus a l’obligation constitutionnelle de la maintenir à 2% environ. La croissance et le chômage ne relevant officiellement pas de ses prérogatives, il apparaît même que l’idée d’arbitrer entre chômage et inflation ait disparu dans la zone euro, les deux phénomènes étant institutionnellement déconnectés. Il apparaît donc clairement que les États ont perdu la capacité d’arbitrer entre le chômage et l’inflation.

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Si l’outil qu’est l’inflation s’est avéré inefficace et dangereux lors de la stagflation, le contexte économique actuel étant différent, il serait peut-être judicieux de se demander si l’inflation ne pourrai pas être un moyen pour réduire le chômage, qui plus est lorsqu’il y a une menace déflationniste. Sans répéter les erreurs du passé, il peut être aujourd’hui utile pour les États d’utiliser l’inflation pour tenter de réduire le chômage.

La crise de 2008 a eu trois conséquences qui plombent encore actuellement l’économie mondiale, et notamment européenne. Une hausse du chômage, une hausse de la dette publique et une tendance déflationniste dangereuse. Contrairement aux décennies précédentes, l’inflation était faible et maîtrisée : entre 1 et 2% pour la zone euro entre 1999 et 2009. De plus ces dernières années ont révélés une menace déflationniste dont les conséquences peuvent être désastreuses comme l’a démontré Irving FISHER dans The Debt-Deflation Theory of Great Depression (1933). Pour justement éviter la spirale et la crise des années 1930, les Banques Centrales ont mené politiques dites « non conventionnelles » pratiquent du « quantitative easing » générant une création monétaire importante accompagnée d’une baisse des taux directeurs. Cette politique a permis d’éviter la spirale déflationniste ainsi que la déflation par la dette. Il apparaît alors qu’encourager l’inflation va dans le sens d’une logique orthodoxe de l’économie. Cependant, l’arbitrage entre inflation et chômage ne pose pas de problème pour l’inflation qui doit être soutenu, cette hausse permettra-t-elle de réduire le chômage ?

Le chômage peut en effet être qualifié de chômage de masse actuellement et représente, malgré les prérogatives actuelles de la BCE un enjeux qu’elle ne peut négliger. Michel AGLIETTA et Thomas BRAND dans Un New Deal pour l’Europe (2012) soutiennent la pertinence d’une baisse du chômage par une hausse de l’inflation. Il faudrait modifier les prérogatives de la BCE pour commencer, afin de retrouver le lien institutionnel entre l’inflation et le chômage, et de donner à la BCE le rôle d’un État arbitrant entre chômage et inflation, le sens de l’arbitrage étant actuellement évident. Il faudrait encourager l’inflation à hauteur de 3-4% en permettant aux États de se financer auprès de la BCE. L’inflation aurait alors plusieurs vertus. Tout d’abord elle encouragerait la reprise du crédit, tant pour l’investissement que pour le crédit, en effet l’inflation réduit le coût réel de l’endettement. De plus, l’inflation permettrait de monétiser la dette, et ainsi permettre aux États de pratiquer des relances budgétaires intelligentes à moindre frais, qui en relançant la croissance et en finançant des politiques de formation des chômeurs pourrait a fortiori réduire le chômage. Enfin, l’inflation créerait mécaniquement une baisse de la valeur de la monnaie qui améliorerait la compétitivité prix des entreprises résidentes, et qui, en accord avec la fameuse « Courbe en J » permettrait là aussi à terme de créer des emplois. Il existe donc une série de leviers qui justifient l’idée que l’inflation peut réduire le chômage, du moins celui de sous-emploi est conjoncturel. Il est donc aujourd’hui possible, voire nécessaire de favoriser l’inflation pour réduire le chômage.

Il existe cependant un problème propre à l’Europe. La zone euro regroupe des pays qui ont des situations très hétérogènes actuellement, l’Allemagne par exemple est en quasi plein-emploi et connaît une inflation modérée qui lui convient parfaitement, tandis que des pays comme la France, l’Italie ou la Grèce font face à un chômage de masse et sont très endettés (la dette publique de la Grèce a doublé depuis 2007 pour atteindre les 198% du PIB) et sont pour certain déjà en situation de déflation. Cette hétérogénéité des situations nécessiterait des réponses et des politiques monétaires différentes, ce qui est impossible dans le cadre de la zone euro. Dès lors, l’idée de redonner aux États l’arbitrage entre inflation et chômage peut paraître pertinente. L’État est l’acteur qui est le plus à même de répondre à cet arbitrage de manière efficace par rapport à ses défis économiques. Ainsi il apparaît que le moyen de l’inflation pour lutter contre le chômage semble pertinent, et que le contexte est plus proche de la déflation que de la spirale inflationniste avec un chômage élevé. Les États sont finalement les acteurs les plus à même de réaliser cet arbitrage. L’exemple de la BCE et de l’hétérogénéité croissante de la zone euro souligne l’intérêt que pourrait avoir un pays à retrouver l’autonomie de sa politique monétaire. Les États semblent finalement devoir arbitrer entre le chômage et l’inflation.

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Si l’inflation est effectivement un moyen de réduire le chômage, celle-ci n’est malheureusement pas la panacée et en réalité le chômage ne peut être exclusivement résolu par l’inflation, tant il est dépendant de problèmes structurels plus profonds.

Il est tout d’abord nécessaire de relativiser le terme « d’arbitrage » entre chômage et inflation. Les liens qui unissent ces deux phénomènes sont pluriels et variables, chaque économie verra son taux de chômage plus ou moins élevé influencé par l’inflation. La confiance, la demande, le degré d’ouverture économique, le degré d’illusion monétaire, sont autant d’éléments qui font varier la capacité d’une institution à « arbitrer » entre chômage et inflation. Or, il apparaît actuellement un problème de taille : la création monétaire et les facilités de crédits concédés par les banques centrales et censées alimenter l’inflation et se répandre sur l’économie réelle ne produit que peu d’effet. C’est ce que constate Patrick ARTUS et Marie-Paul VIRARD dans plusieurs ouvrages : La folie des Banques Centrales et La liquidité incontrôlable. Les liquidités mondiales rapportés au PIB mondial passées de 6% en 1990 à 30% en 2015. Avec un taux de croissance annuel moyen de la masse monétaire de 14% pour l’ensemble des grandes Banques Centrales, l’inflation aurait du grimper, or celle-ci reste timidement positive. Il y a une incapacité à créer de l’inflation, et à accroître la création monétaire pour l’économie réelle. Les liquidités restent coincées dans la sphère financière et n’améliorent pas la croissance. L’arbitrage se révèle caduque. De plus il y a un danger à pratiquer ce genre de politique monétaire expansionniste. Les Banques Centrales apparaissent comme des « pompiers pyromanes » encourageant la formation de bulles financières et ne parvenant pas à relancer l’investissement et la croissance, levier principal de réduction du chômage.

Il se cache en réalité des problèmes structuraux plus profonds qui empêchent tant une dynamique positive de l’inflation, qu’un chômage important à l’aube d’une stagnation séculaire. En effet, Lawrence SUMMERS estime qu’il y a un surplus d’épargne dans le monde, et que l’investissement ne pourra pas repartir tant que nous serons dans cette situation de « trappe à liquidité ». L’inflation ne pourra apparaître même avec une création monétaire importante. Le chômage lui non plus ne répondrait plus aux stimulations artificielles. Dans Changer de Modèle, Gilbert CETTE, Elie COHEN et Philippe AGHION soulignent l’ensemble des facteurs qui font que le chômage reste haut. C’est donc des réformes profondes du marché du travail, et ce en modifiant et réformant profondément l’ensemble du modèle économique français que le chômage pourra véritablement se réduire. Il faudrait en effet distinguer les différentes natures du chômage pour que celui-ci soit mieux combattu. L’inflation n’étant qu’un moyen artificiel supplémentaire, mais en aucun cas essentiel pour agir sur le chômage, il paraît clair que les États devrait avoir d’autres priorités politiques que celles d’arbitrer entre chômage et inflation. Cet arbitrage est relatif à chaque économie, et ne semble actuellement plus être suffisant pour être effectif.

De plus, avec Robert GORDON et son dernier ouvrage The Rise and the fall of American Growth (2016), l’idée d’une stagnation séculaire semble prendre du poids. Dans cette perspective inédite, la question du chômage serait plus difficile à résoudre, et l’inflation apparaîtrait comme clairement insuffisante.

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On a donc vu que progressivement les États ont perdu la capacité à arbitrer entre chômage et inflation, et que cette perte se justifiait théoriquement. Puis, que dans un contexte nouveau où l’arbitrage entre plus d’inflation et moins de chômage semble idéal, il était peut-être nécessaire de favoriser l’inflation pour réduire le chômage, et ce d’autant plus si l’État lui-même avait à opérer cet arbitrage, répondant au mieux à ses besoins économiques. Enfin nous avons constaté que l’usage de politique générant de l’inflation était inefficace voire dangereuse, et que de toute façon le chômage ne pourrait être résolu seulement par l’inflation et ce d’autant plus dans une perspective de croissance faible.

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