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Analyse sujet 1
Le sujet : Le pouvoir d’achat, instrument ou objectif ?
Le pouvoir d’achat occupe une place centrale dans le débat économique et politique contemporain. À chaque épisode inflationniste ou crise sociale, il revient en tête des priorités gouvernementales, comme l’ont illustré les mobilisations des Gilets Jaunes ou les aides publiques versées lors des chocs économiques récents. Mais que recouvre ce terme ? Le pouvoir d’achat désigne le volume de biens et de services qu’un revenu permet d’acquérir, soit une donnée quantitative directement liée à l’évolution des prix et des revenus. Pourtant, au-delà de cette définition, une ambiguïté persiste : vise-t-on le pouvoir d’achat comme une finalité politique, visant à garantir le bien-être des citoyens, ou comme un outil parmi d’autres dans le pilotage économique ?
La distinction entre objectif et instrument est au cœur des politiques économiques : certains courants, comme les keynésiens, placent le pouvoir d’achat au centre de la relance de l’activité, tandis que d’autres insistent sur des fondements plus structurels, liés à l’offre, l’innovation ou la productivité. Cette tension s’inscrit dans une histoire longue de la pensée économique, de Smith à Keynes, en passant par Schumpeter, Friedman ou les théoriciens contemporains de la croissance endogène. En toile de fond, se dessine une interrogation sur la finalité même de l’économie : produire plus ou vivre mieux ?
On peut donc se demander dans quelle mesure le pouvoir d’achat constitue un objectif en soi ou un instrument au service d’autres objectifs économiques ou sociaux.
Voici une proposition de plan :
I. Le pouvoir d’achat comme objectif central des politiques économiques et sociales
A- Une revendication historique de bien-être et de justice sociale
Dans les sociétés salariales contemporaines, le pouvoir d’achat constitue un indicateur structurant de l’accès des individus aux biens et services essentiels. Il ne s’agit pas seulement d’une mesure statistique, mais d’un révélateur des capacités concrètes des individus à participer pleinement à la vie sociale. En ce sens, Amartya Sen, dans Development as Freedom (1999), propose de dépasser l’approche purement monétaire du bien-être pour y intégrer une dimension qualitative : ce qui compte, ce n’est pas tant le revenu lui-même que ce qu’il permet de faire. Son approche par les “capabilités” insiste sur les libertés réelles dont disposent les individus : avoir un certain pouvoir d’achat permet, par exemple, de choisir une alimentation de qualité, d’accéder à un logement décent ou de financer des études. L’insuffisance du pouvoir d’achat limite donc directement les libertés substantielles.
Dans cette perspective, garantir un pouvoir d’achat minimal ne relève pas uniquement d’une logique économique, mais d’un impératif éthique et politique. Pierre Rosanvallon, dans La nouvelle question sociale (1995), montre que la société post-industrielle, marquée par la montée du chômage et la précarité, a déplacé la question sociale vers celle de l’insécurité économique. Alors que le salariat de masse garantissait un revenu stable et des protections collectives, la généralisation des formes d’emploi instables affaiblit la capacité des ménages à maintenir leur niveau de consommation. L’exigence de pouvoir d’achat devient dès lors une réponse à cette vulnérabilité croissante. Elle traduit une demande de continuité matérielle face à l’intermittence des revenus et au délitement des protections collectives.
Ce cadre théorique éclaire les politiques publiques contemporaines qui visent à préserver le pouvoir d’achat : revalorisation du SMIC, prestations sociales indexées sur l’inflation, aides ponctuelles (comme les chèques énergie ou les indemnités carburant). Ces dispositifs traduisent la reconnaissance, par les gouvernements, d’un impératif de protection des conditions de vie face à des chocs exogènes (crises énergétiques, inflation, pandémie). Le pouvoir d’achat n’est donc pas un simple levier économique, mais bien un objectif normatif, lié à une certaine conception du rôle de l’État et du contrat social.
B- Une priorité structurante des politiques publiques dans les économies salariales
L’inscription du pouvoir d’achat au cœur de l’agenda politique contemporain ne procède pas uniquement d’un souci économique, mais aussi d’une nécessité de légitimation politique. Dans les démocraties de masse, marquées par une forte sensibilité des citoyens aux conditions de vie matérielles, la capacité à maintenir ou améliorer le pouvoir d’achat constitue un critère fondamental d’évaluation de l’action publique. Cette dimension a été particulièrement visible lors des périodes de forte inflation, où l’érosion du pouvoir d’achat alimente directement le mécontentement social. La crise des Gilets Jaunes, déclenchée fin 2018 en réaction à la hausse des taxes sur les carburants, en est une illustration paradigmatique : elle révèle que toute atteinte au pouvoir d’achat, notamment dans les catégories populaires et les zones périurbaines, est immédiatement perçue comme une forme d’injustice fiscale et sociale.
L’économie politique contemporaine confirme cette lecture. Thomas Piketty, dans Le capital au XXIe siècle (2013), souligne que l’un des défis majeurs des économies avancées est de maintenir une progression des revenus pour la majorité de la population. Or, la désynchronisation observée depuis les années 1980 entre les gains de productivité et l’évolution des salaires réels a contribué à une stagnation, voire à un recul du pouvoir d’achat pour les classes moyennes et inférieures dans de nombreux pays de l’OCDE. Cette situation a nourri un sentiment de déclassement et renforcé la polarisation politique. Dès lors, répondre à cette stagnation devient une obligation politique autant qu’économique : il s’agit de restaurer la promesse de progrès matériel qui fonde historiquement le pacte démocratique.
Ce lien entre pouvoir d’achat et légitimité politique explique la multiplication des mesures visant à compenser les pertes de revenu réel : gel des prix (notamment dans l’énergie ou les transports), exonérations de charges sociales, baisses ciblées d’impôts, primes ponctuelles, ou encore indexation des prestations sociales sur l’inflation. Ces politiques témoignent d’un déplacement des priorités, où l’État devient garant d’une stabilité du niveau de vie, même en dehors de la sphère productive. Comme le montre Claus Offe, dans Le travail comme catégorie sociologique (1982), la politique économique moderne doit de plus en plus répondre à des attentes de type “post-matérialistes” (qualité de vie, équité) tout en maintenant un socle de satisfaction des besoins fondamentaux. Dans ce contexte, le pouvoir d’achat fonctionne comme un point de convergence entre logique économique et exigence sociale.
Ce traitement prioritaire du pouvoir d’achat par les gouvernements ne relève donc pas simplement de la recherche de croissance, mais d’une fonction de pacification sociale et de préservation du consentement démocratique. Il s’impose comme un objectif en soi, tant il est structurant pour la cohésion sociale, la perception d’équité et la stabilité politique.
II. Le pouvoir d’achat comme instrument des politiques économiques et sociales
A- Un levier de la demande dans les politiques conjoncturelles
Dès lors que le pouvoir d’achat est appréhendé non comme une finalité mais comme un vecteur de soutien à l’activité économique, il devient un instrument clé de la politique conjoncturelle. Cette approche repose sur une lecture keynésienne du fonctionnement macroéconomique : selon John Maynard Keynes, dans La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), l’économie ne tend pas spontanément vers le plein-emploi, et l’équilibre peut s’établir durablement à un niveau sous-optimal. Dans ce contexte, l’intervention de l’État pour stimuler la demande effective est non seulement légitime, mais nécessaire. L’un des moyens privilégiés est le soutien au pouvoir d’achat des ménages, qui alimente la consommation – composante majeure du produit intérieur brut.
Ce mécanisme passe notamment par l’effet multiplicateur : une augmentation initiale de la dépense (par exemple une hausse de transferts sociaux ou une baisse d’impôts) génère une augmentation plus que proportionnelle du revenu national. Le pouvoir d’achat agit donc comme un canal de transmission entre les mesures de politique économique et l’activité productive. Cette logique a inspiré de nombreuses politiques de relance dans l’histoire contemporaine : on peut penser au New Deal aux États-Unis dans les années 1930, mais aussi à la relance française de 1981, qui visait à réactiver la croissance par la consommation des ménages via l’augmentation des salaires et des prestations sociales.
Cette approche a retrouvé une grande actualité dans les politiques économiques récentes. Après la crise de 2008 puis celle du Covid-19, de nombreux États ont mis en place des plans de relance massifs centrés sur le soutien au pouvoir d’achat : subventions directes, allocations exceptionnelles, baisse ciblée de la fiscalité. En France, le plan de soutien à la consommation de 2020-2021, chiffré à plus de 100 milliards d’euros, a permis un redémarrage rapide de l’activité dès la levée des restrictions sanitaires. Ces mesures montrent que le pouvoir d’achat constitue un outil d’ajustement réactif dans les phases de contraction, car il permet de réenclencher le cercle vertueux consommation → production → emploi.
Ainsi, le pouvoir d’achat agit ici comme un vecteur d’action publique dans le cadre d’une stratégie de stabilisation macroéconomique : ce n’est plus une fin en soi, mais un moyen de préserver l’activité, de réduire le chômage ou de limiter les effets d’une crise.
B- Un indicateur au coeur des arbitrages macroéconomiques
En tant qu’agrégat synthétique de revenu réel, le pouvoir d’achat constitue une variable de pilotage majeure des politiques économiques. Son évolution renseigne non seulement sur la situation des ménages, mais aussi sur l’efficacité de la régulation économique en matière d’équilibre entre croissance, inflation, emploi et soutenabilité budgétaire. Dans cette optique, il est souvent au cœur des arbitrages effectués par les pouvoirs publics.
Un premier arbitrage classique oppose l’inflation et le pouvoir d’achat. Comme l’a montré Milton Friedman dans The Role of Monetary Policy (1968), une politique monétaire trop accommodante peut stimuler temporairement la demande, mais au prix d’une accélération de l’inflation, qui finit par éroder les gains de pouvoir d’achat réels. Cette critique des politiques keynésiennes a été largement reprise dans les années 1970, lorsque les chocs pétroliers ont entraîné une stagflation (stagnation + inflation), mettant en évidence les limites des politiques de relance basées sur la consommation. L’exemple de la relance Chirac de 1975, marquée par une hausse des dépenses publiques sans effet significatif sur la croissance ni sur l’emploi, illustre l’échec de certaines tentatives de soutien au pouvoir d’achat en période de tensions sur l’offre.
Arthur Cecil Pigou avance qu’en cas de déflation, les encaisses monétaires réelles – c’est-à-dire la valeur de la monnaie détenue sous forme liquide ou sur des comptes bancaires – voient leur pouvoir d’achat augmenter mécaniquement. En effet, un euro placé à la banque lorsque le niveau général des prix est à 100 conservera sa valeur nominale si les prix chutent à 10 : en termes réels, ce capital aura décuplé son pouvoir d’achat. Ce phénomène, en renforçant la valeur réelle de l’épargne, peut selon Pigou entraîner une reprise spontanée de la consommation, et donc une relance de l’activité sans intervention directe de l’État.
(III. Repenser le pouvoir d’achat à l’aune des impératifs sociaux et écologiques ou idée d’ouverture)
Dans un contexte de défis environnementaux et d’inégalités sociales croissants, le pouvoir d’achat ne peut plus être appréhendé uniquement en termes de capacité de consommation individuelle. Il doit être repensé pour intégrer des considérations plus larges, telles que la durabilité des modes de consommation et leur impact social. Cela invite à passer d’une approche purement quantitative, centrée sur les revenus et les prix, à une vision plus qualitative prenant en compte le bien-être, l’accès aux services essentiels et la responsabilité écologique. En tant que futurs économistes et managers, les étudiants doivent explorer comment les politiques publiques et les stratégies des entreprises peuvent concilier efficacité économique, durabilité environnementale et justice sociale.
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