Découvrez l’analyse du sujet d’ESH HEC 2019 :

Introduction

Vous pouvez relire à profit cette analyse publiée sur Major-Prépa L’accroissement des inégalités sociales est-il préjudiciable pour l’économie d’un pays?

Le 8 juillet 2018, Alain Minc, célèbre conseiller des hommes d’Etat, déclare dans le quotidien Libération : “Les inégalités sont trop fortes, nous risquons l’insurrection”. Et pour cause, les inégalités économiques n’ont eu de cesse de s’accroître depuis la crise de 2008, : la richesse des 1% les plus riches a été multipliée par deux depuis cette période. Désormais, d’après l’enquête menée par l’ONG Oxfam, il y aurait 1 % de la population dans le monde qui possède près de la moitié des richesses mondiales.

L’ONG Oxfam affirme également que les écarts de rémunération entre les PDG et les salariés d’une même entreprise ont fortement augmenté sur la même période. Selon eux,  en France, les écarts de rémunération s’aggravent : la rémunération des dirigeants du CAC 40 a augmenté de 45 % depuis 2009, soit plus de deux fois plus vite que la moyenne des salaires de leurs entreprises, et 4 fois plus vite que le SMIC.

Les inégalités économiques, celles que nous venons d’énoncer, ont suscité un sentiment d’injustice sociale, qui risque – comme l’affirme Alain Minc – “[de mener] à une insurrection”. Pourtant, il faut distinguer ces deux notions.

On définit l’inégalité sociale par la différence objective d’accès aux ressources socialement valorisées ; les inégalités sont socialement construites car elles reposent implicitement sur une hiérarchisation des ressources qui dépend des normes et des valeurs d’une société donnée.La justice sociale est définie, elle, par la perception de ces inégalités, la justice est historiquement située tandis que l’inégalité sociale est objective. 

Une inégalité sociale ne conduit pas nécessairement à une injustice sociale : certaines inégalités sont désormais perçues comme injustes socialement, alors même que ce n’était pas le cas dans le passé. Par exemple, les inégalités salariales entre homme et femme n’était pas perçues comme injustes au début du siècle dernier, tandis qu’aujourd’hui elles le sont.

La plupart des PDG interrogés sur ces inégalités sociales, qui conduisent à ce sentiment d’injustice sociale, les justifient en  affirmant qu’elles sont le prix à payer pour obtenir des performances économiques. On peut définir “performances économiques” par le fait de générer de la croissance économique, définie par Kuznet de la manière suivante : “La croissance économique d’un pays peut-être définie comme étant une hausse sur une longue période de sa capacité d’offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques. Cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels et idéologiques qu’elle requiert“.

C’est l’argument qui fut employé par Carlos Ghosn en 2016, lorsqu’une étudiante de l’ESSEC l’interrogea sur les écarts de rémunération entre lui et ses employés : “Ce n’est pas une question de dire “il faut être +fair+ (juste, NDLR), dans un monde d’exigence et de mondialisation, il faut d’abord être performant. Et pour être performant, ça commence d’abord par le talent humain“.

Problématique

L’objectif de performances économiques entre-t-il nécessairement en contradiction avec l’objectif de justice sociale ? Est-il possible d’atteindre un idéal, qui concilierait ces deux objectifs ? 

Partie I – L’objectif de performances économiques n’implique pas de poursuivre l’objectif de justice sociale

1) L’optimum économique ne va pas de pair avec l’optimum social

  • La théorie de la répartition de la richesse chez les Classiques

Que ce soit Adam Smith ou Ricardo, ils considèrent que la croissance économique impliquent une certaine répartition des richesses, qui se fait au détriment des salariés. Le salaire doit se situer au niveau du salaire naturel, le minimum nécessaire à la reproduction de la force de travail.

« Pour un homme très riche, il faut au moins cinq cents pauvres ; et l’abondance où nagent quelques-uns suppose l’abondance de l’indigence d’un grand nombre » (Adam Smith)

  • La théorie de l’optimum économique chez Pareto

Les performances économiques sont conditionnées par l’existence d’un optimum économique. Pareto définit l’optimum comme la situation dans laquelle il n’est pas possible d’augmenter la satisfaction d’un individu sans diminuer celle d’au moins un autre individu.

L’optimum de Pareto ne permet pas de se prononcer sur la répartition (égalité ou pas), un optimum est toujours possible même dans une situation d’iniquité sociale très forte.

Autrement dit, l’optimum économique n’implique pas l’optimum social : ce dernier n’est pas l’objectif poursuivi par l’économie.

2) La révolution industrielle du XIXe, source de grandes performances économiques, s’est accomplie sans qu’il y ait de justice sociale

  • Les très fortes performances économiques au XIXe…

La croissance économique mondiale des années 1850, la plus forte de tout le XIXe siècle, a entraîné un bouleversement industriel, à l’échelle de la planète. En France, elle correspond à la première partie du règne de Napoléon III, appelé aussi Second Empire (1852–1870). Entre 1853 et 1869, la production industrielle française progresse de 50 %, l’activité du bâtiment double et les exportations sont multipliées par 2,6 grâce à la forte croissance dans les autres pays.

  • … n’ont pas nécessité de justice sociale

Cette forte accumulation du capital industriel va générer une augmentation du profit pour les dirigeants des entreprises et un accroissement des inégalités sociales. En France, entre le début de la Révolution industrielle et la fin du XIXe, on constate qu’il y a eu une hausse de 10 points de pourcentage du profit et des inégalités sociales.

On constate alors aucune tendance à la baisse des inégalités entre 1806 et 1873 : les 1% des foyers qui détiennent le plus de patrimoine détiennent la moitié du patrimoine totale ; cette part augmente fortement à la fin du 19ème siècle. En 1914, les 20% les plus riches détiennent plus de 60% des patrimoines.

3) L’injustice sociale est préjudiciable aux performances économiques

Le XIXe siècle est une période historique qui est jalonnée, en France, par un grand nombres de révolutions. Les inégalités sociales sont de moins en moins tolérées et le sentiment d’injustice sociale est accru. De grands auteurs comme Emile Zola ou Victor Hugo se sont attachés à décrire la misère dans laquelle est réduite une immense majorité de la population.

Cette très forte misère sociale est responsable du ralentissement du rythme de la croissance entre le XIXe siècle et 1945.

Transition : La misère sociale est la cause de la très forte instabilité politique de la France vers la fin du XIXe. Non seulement le risque insurrectionnel est omniprésent à cette période, mais il devient également préjudiciable aux performances économiques qui sont en bernes. La nécessité de changer de modèle social devient prégnante : elle est nécessaire à la croissance économique.

Partie II – La redistribution permettrait de concilier performances économiques et justices sociales

1) La théorie keynésienne : les performances économiques sont conditionnées par la justice sociale

Pour Keynes, des inégalités économiques exacerbées ont un effet néfaste sur l’organisation de l’économie. Sa thèse majeure est que la réduction des inégalités économiques permet d’augmenter le PIB, en d’autres termes, la répartition des richesses n’est pas neutre sur la richesse.

Croissance et inégalités : se démarquer grâce à la macro

2) Les Trente Glorieuses : la preuve d’une compatibilité entre performances économiques et justice sociale

Les Trente Glorieuses est une période exceptionnelle de croissance qui profite à quasiment tous les pays industrialisés, durant une trentaine d’années : de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au premier choc pétrolier soit 1945 à 1973.

Les pays de l’OCDE connaissent un taux de croissance annuelle moyenne (TCAM) de 4% par an sur la période (et même de 4,4% pour les cinq premières puissances économiques de l’époque). Pour remettre ce chiffre en perspective, le TCAM est de 0,2% de l’an 0 à 1700, d’environ 1% de 1700 à 1870, puis de 2,5% de 1870 à 1913, de 1,7% entre 1913 et 1950, et enfin de 2,2% de 1973 à 2010. Jamais la croissance économique n’a donc été aussi forte en Occident que pendant les Trente Glorieuses ; elles portent donc bien leur nom !

On explique cette très forte croissance économique, en partie, par la mise en place de l’Etat-Providence qui a amélioré la justice sociale en France. L’Etat providence, que l’on distingue de l’Etat gendarme où l’on assure un minimum d’intervention, offre aux individus un revenu de transfert, d’assistance sociale, etc.  On assiste à un partage équitable de la valeur ajouté sur cette période, comme le préconisait N. Kaldor. L’économiste Thomas Piketty affirme dans Le Capital au XXIe siècle  il apparaît que le travail est plus avantageux que le capital : en effet, le taux de croissance est supérieur au taux de rentabilité du capital, ce qui mécaniquement réduit les inégalités.

La France des Trente Glorieuses

3) Le problème de la redistribution : réduction de l’offre de travail et baisse des performances économiques

  • Les critiques de la justice sociale : Hayek contre Keynes

Hayek est un auteur néolibéral et fondateur de la société du Mont Pèlerin. Il distingue deux ordres :
1) Ordre spontané/naturel (ou « cosmos ») : formé au prix du temps par sélection naturelle , qui ne fournit aucun processus conscient (sans volonté). Il donne de nombreux exemples d’ordre formé spontanément : les langues, les institutions, etc.
2) Ordre taxis : qui lui, est prédéterminé et le fruit du constructivisme social (décisions politiques,…)
Il s’oppose à toute idée de justice sociale car pour lui, elle serait la route vers la servitude, et la mise en place d’un totalitarisme
– L’État amène la servitude (ce qui s’oppose à une société libre), c’est inéluctable avec la justice redistributive car on traite les individus différemment et on fait preuve d’arbitraire, sans respecter les libertés individuelles
– L’État doit rester aux fonctions régaliennes et ne pas intervenir : les mécanismes de marché sont suffisants pour la régulation
Dans son ouvrage intitulé La Constitution de la Liberté, Hayek encourage : la privatisation ; la fin de la protection sociale, la diminution du pouvoir syndical, etc.

  • Les échecs de l’Etat-Providence

Il faudrait développer les idées suivantes :

(1) La redistribution est néfaste pour l’accumulation du capital physique et humain : elle perturbe le marché du capital

(2) La redistribution est néfaste pour l’offre de travail et sa qualité : elle perturbe le marché du travail

(3) La redistribution est néfaste pour l’État : elle accroît l‘endettement public

Partie III – Le système méritocratique garantit l’efficience des performances économiques

1) La théorie de l’égalité des chances

Le principe de liberté défendu par les libertariens comme Hayek se heurte à l’objection suivante : pour les individus qui vivent en-deça d’un seuil minimal, la liberté accordée n’a aucun sens. Que vaut la liberté préconisée par Hayek si celle-ci ne peut être effective à cause de l’excès des inégalités ? C’est la question que pose John Rawls, philosophe du XXe, qui pose deux principes universel de justice dans son ouvrage The Theory of Justice publié en 1971.

Rawls fonde rationnellement une théorie de la justice en posant l’hypothèse d’une situation originelle où les individus auraient quatre caractéristiques : (1) rationalité : ils sont rationnels ; (2) sociabilité : ils désirent vivre en société ; (3) indifférence : ils sont indifférents les uns aux autres ; (4) ignorance / voile de l’ignorance : ils ignorent la position sociale qu’ils occuperont en société. De la rationalité des individus découlent deux principes universels de justice : (1)chacun doit avoir un droit égal à la liberté fondamentale la plus étendue qui soit compatible avec une liberté identique pour autrui  ; (2) Les inégalités économiques et sociales doivent être établies de telle sorte que a) elles soient au plus grand avantage des plus défavorisés, b) qu’elles soient attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous sous des conditions équitables d’égalité des chances.

L’égalité des chances doit être le principe de justice essentiel de toute société. 

2) … doit permettre une meilleure allocation des ressources…

  • Une faible mobilité sociale, qui indique l’absence d’égalité des chances, va de paire avec de faibles performances économiques (voir Phillipe Aghion au Collège de France)

Citer Aghion comme un pro avec sa conférence “Les énigmes de la croissance”

  • Cela remet radicalement en cause l’héritage, qui n’est pas vecteur de performance économiques.

Contrairement à ce qu’affirme Carlos Ghosn, ceux qui occupent les positions économiques les plus élevées doivent cette position à la reproduction sociale et non nécessairement à leur talent (voir la théorie de la reproduction sociale chez Bourdieu).

Seule une société qui garantirait l’égalité des chances permettrait de mettre en lumière les meilleurs talents, ce qui garantirait de fortes performances économiques.  «Il serait absurde de sélectionner l’équipe olympique de 2020 en sélectionnant les fils ainé des médaillés de l’an 2000 ». (Warren Buffet).

3) … et limiter les effets de cycle macroéconomique

Dans son ouvrage Le prix de l’inégalité, Stiglitz s’appuie sur des études menées par le FMI pour montrer que les inégalités sont la variable qui explique de mieux la croissance car elles prédisent très fortement la volatilité du PIB. Selon lui, la redistribution, en réduisant les inégalités va limiter les fluctuations macroéconomiques et permettre une croissance du PIB plus régulière.

Loin d’être inconciliables, l’objectif de performances économiques est conditionné par l’objectif de justice social : nos institutions doivent être alors réformées pour que la justice sociale augmente, et par-là, les performances économiques également.

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