Dans cet article, nous te proposons une analyse du sujet d’ESH HEC ESSEC 2025. Cette épreuve compte pour une part importante en termes de coefficients pour l’ESSEC et HEC. Les candidats ont quatre heures pour traiter le sujet en une dissertation de huit pages environ.
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L’analyse du sujet ESH HEC ESSEC 2025
Après des mois de spéculation et de pronostics, on connaît enfin le sujet de ESH HEC/ ESSEC de cette année 2025: « Les fractures sociales affectent-elles la réalisation des équilibres économiques ? ». Ce dernier est typiquement un sujet HEC-ESSEC à la fois exigeant et subtil tout en nécessitant une articulation rigoureuse entre les dynamiques sociales et les mécanismes économiques. En effet l’intitulé imposait au candidat de sortir d’une lecture purement économique pour croiser les apports de la sociologie, des politiques publiques, et de la macroéconomie. Il s’agisait ici de réfléchir au rôle que jouent les inégalités et les tensions sociales dans la capacité des économies à tendre vers des situations d’équilibre (plein emploi, équilibre extérieur, stabilité des prix…).
Le terme « fractures sociales », bien que non directement économique, est suffisamment ancré dans les débats publics pour que l’on puisse l’exploiter rigoureusement. Celui-ci renvoie aux inégalités économiques et sociales de revenus, de patrimoine, d’accès aux biens publics, mais peut tout à fait englober les tensions territoriales, les clivages intergénérationnels, les ruptures éducatives ou culturelles. On peut mobiliser ici, à titre de repère, la distinction classique entre inégalités de l’avoir, du savoir et du pouvoir, proposée par Bihr et Pfefferkorn (Le système des inégalités, 2008) . Il fallait donc penser large mais de manière précise et ne surtout pas tomber dans une dissertation fourre-tout.
Par ailleurs, le candidat devait prendre garde à la formulation au présent de l’indicatif, « affectent-elles ». Cela implique un diagnostic actuel, et donc un regard sur la situation contemporaine des économies avancées, avec, si possible, quelques comparaisons avec les pays en développement. La comparaison avec des contextes économiques passés pouvait être pertinente, en particulier si elle permettait d’en tirer des leçons pour éclairer le présent, mais elle ne devait pas constituer le cœur de la réflexion.
Le terme d’« équilibres économiques » lui est à entendre de manière plurielle : équilibre macroéconomique (au niveau de la croissance notamment), équilibre budgétaire, équilibre du marché du travail, équilibre externe, équilibre des finances publiques, équilibre des marchés (capital, logement, énergie…). Pour les plus aguerris on pouvait aussi mentionner Jean Pisani-Ferry (Leçons de l’économie du XXIe siècle, 2010) en soulignant qu’un équilibre économique ne se limite pas à l’absence de déséquilibres comptables mais suppose également une forme de stabilité sociale et politique, sans laquelle aucune trajectoire économique n’est tenable. Ce champ sémantique très large offrait au candidat l’occasion de montrer sa capacité à organiser un raisonnement clair et structuré.
Problématique : Dans quelle mesure les fractures sociales constituent-elles un frein ou un catalyseur pour la réalisation des équilibres économiques ?
I – Les fractures sociales constituent un frein aux équilibres économiques en nourrissant des déséquilibres structurels persistants
A) Elles limitent le potentiel de croissance via des effets négatifs sur la demande globale
En 2022, le 1 % le plus riche de la population mondiale a capté près de deux tiers des nouvelles richesses créées depuis 2020, soit 26 000 milliards de dollars, tandis que 90 % de la population n’en ont perçu que 10 % (Oxfam,Survival of the Richest, 2023). Dès lors cette concentration extrême des richesses, désormais structurelle dans les économies avancées, réduit la part des revenus revenant aux ménages à forte propension marginale à consommer, ce qui affaiblit la demande globale. Raghuram Rajan (Fault Lines, 2010) souligne en particulier que cette dynamique a alimenté un endettement excessif des classes moyennes, débouchant sur la crise des subprimes de 2008. Joseph Stiglitz, dans Le prix de l’inégalité (2012), insiste également sur les effets délétères de la captation des rentes par les élites économiques, qui freinent la consommation et donc la croissance.
D’après un rapport de la Banque Mondiale publié en 2022, les inégalités d’accès à la santé et à l’éducation dégradent le capital humain et coûtent chaque année entre 1 et 3 % de PIB aux pays en développement. La productivité à long terme donc freine la croissance potentielle dans les économies développées comme dans les pays en développement.
B) Elles alimentent des déséquilibres du marché du travail et creusent les écarts territoriaux
Les fractures éducatives et territoriales engendrent une inadéquation structurelle entre l’offre et la demande de travail. En France, les zones les plus pauvres cumulent à la fois un taux de chômage élevé et aussi une faible attractivité économique (INSEE, 2023), traduisant une sous-utilisation des compétences disponibles. Ce “gaspillage de talents”, dénoncé par Case & Deaton dans Deaths of Despair and the Future of Capitalism (2020), se manifeste de manière dramatique aux États-Unis : en 2018, selon ces derniers, 158 000 personnes sont mortes de “désespoir” (suicides, overdoses), contre 65 000 en 1995. Ces pertes humaines massives, concentrées chez les adultes sans diplôme ni emploi, révèlent une déconnexion croissante entre potentiel individuel et insertion économique, avec un coût élevé à la fois social et macroéconomique.
Le sentiment d’abandon dans les territoires en déclin se traduit par une moindre mobilité géographique, ce qui rigidifie le marché du travail et contribue au chômage structurel (OCDE, Perspectives de l’emploi, 2023).
C) Elles fragilisent la stabilité macroéconomique et politique
Les inégalités excessives alimentent aussi bien l’instabilité sociale que la défiance envers les institutions, ce qui nuit à la conduite efficace des politiques économiques. En ce sens Alesina et Perotti (1996) montrent que les sociétés les plus inégalitaires sont les plus instables politiquement et débouche toujours sur une réduction de l’investissement privé. Angus Deaton (La grande évasion. Santé, richesse et origines des inégalités, 2013) souligne aussi le risque que les élites capturent les institutions et bloquent les réformes nécessaires. : “Par le passé, il est déjà arrivé que les elites riches et puissantes asphyxient la croissance et elles pourraient le refaire si on leur permet de saper les instiutions dont dépend la croissance”.
Cette défiance nourrit des politiques économiques inefficaces voire contre-productives : montée des discours populistes et protectionnistes (Brexit, guerre commerciale Trump/Chine), entravant la coopération économique et l’ajustement des déséquilibres extérieurs.
II – Les fractures sociales, en révélant les déséquilibres, peuvent susciter des réponses correctrices propices à une meilleure stabilité économique
A) Les fractures peuvent justifier des politiques de redistribution favorables à l’activité
Une fiscalité plus progressive et des transferts sociaux bien ciblés peuvent stimuler la consommation des ménages modestes, qui ont une propension marginale à consommer plus élevée, ce qui relance la croissance ( exemples : plans Biden,American Rescue Plan, 2021). A ce titre par exemple Anthony B. Atkinson, dans Inequality. What Can Be Done? (2015), propose ainsi une tranche marginale d’imposition à 60 % et un héritage minimum pour les jeunes adultes.
L’investissement public dans l’éducation, la santé ou les infrastructures en zone défavorisée permet une montée en compétences et une meilleure insertion économique, contribuant à rééquilibrer le marché du travail (thèse du social investment state, Morel, Palier, Palme, 2012). Gøsta Esping-Andersen insiste dans Trois leçons sur l’État-providence (2008) sur l’importance de l’investissement social précoce pour favoriser l’égalité des chances.
B) Les tensions sociales agissent comme révélateurs de déséquilibres latents à corriger
Dani Rodrik, dans Straight Talk on Trade (2017), défend l’idée que les tensions sociales, lorsqu’elles s’expriment dans un cadre démocratique, peuvent forcer les institutions à réagir et à corriger des déséquilibres latents, ouvrant la voie à une trajectoire économique plus inclusive et durable.
Les mouvements sociaux ont permis de mettre à l’agenda des réformes structurelles : en France à titre d’exemple, le mouvement des gilets jaunes a contribué à une revalorisation de la prime d’activité et à des politiques plus attentives aux mobilités territoriales. Selon l’INSEE ces mesures ont eu un effet positif sur la croissance française marquée par une estimation à l’époque d’une augmentation de 0,3 point de PIB en 2019, compensant ainsi le ralentissement économique observé à la fin de 2018. (“Les mesures d’urgence économique et sociale arrachées par les gilets jaunes au gouvernement devraient faire gagner 0,3 point de croissance en 2019.”)
III – Dès lors, c’est moins la présence de fractures sociales que leur gestion politique et institutionnelle qui détermine leur effet sur les équilibres économiques
A) La qualité des institutions et des politiques publiques est déterminante
Acemoglu et Robinson (Why Nations Fail, 2012) plaident pour l’inclusivité des institutions qui permettent de tirer parti des tensions sociales en compromis durable et générateur de prospérité alors que les institutions extractives créent des inégalités, des rentes et bloquent toute dynamique d’ajustement économique. Ces derniers donnent l’exemple de la Corée du Sud et de la Corée du Nord pour illustre ce contraste : malgré un passé commun la Corée du Nord est restée prisonnière d’un système politique autoritaire et extractif, fondé sur la centralisation du pouvoir et l’absence de droits de propriété, tandis que la Corée du Sud, grâce à ses institutions plus inclusives (notamment après les réformes des années 1960), a pu investir dans l’éducation, l’innovation et l’industrialisation, assurant ainsi croissance et résilience économique.
Pour Dani Rodrik (Straight Talk on Trade, 2017), la politique économique doit être couplée à la politique démocratique : les compromis politiques sont au cœur d’un dispositif de gestion des chocs de l’économie à l’aide d’institutions réactives et transparentes, des conditions nécessaires pour éviter que les tensions sociales ne s’embrasent en crises politiques.
B) Une approche préventive et structurelle des fractures sociales est la condition d’un équilibre économique durable
Vincent Vicard (Faut-il réindustrialiser la France ?, PUF, 2024) montre que les politiques de reconversion industrielle peuvent transformer les fractures sociales en leviers d’adaptation productive et durable quand elles sont menées à échelle des territoires, comme celles de la vallée de l’Arve qu’il inspire, et insiste sur la nécessité d’un maillage territorial fin et d’un pilotage public renforcé pour éviter que certains territoires ne restent « (…) hors des dynamiques de l’économie nationale. »
Lionel Fontagné (L’économie mondiale 2023, CEPII) ajoute que la transition énergétique et industrielle ainsi que le changement climatique peuvent permettre de corriger certaines inégalités territoriales, si les investissements sont ciblés et les formations professionnelles appropriées. Au lieu de concevoir les équilibres sous un angle strictement budgétaire, il récuse le champ dans une optique plus intégrative, et qui tienne compte des dimensions sociales et spatiales. Par exemple, le plan France 2030 prévoit 30 milliards d’euros pour soutenir l’innovation industrielle et favoriser les reconversions régionales.
Toutes les informations relatives au concours BCE sont disponibles sur la page Inside Concours BCE. Le sujet de l’épreuve est disponible sur le site.