Esther Duflo

Deuxième femme de l’histoire à recevoir le prix Nobel d’économie, Esther Duflo a révolutionné la pensée économique, tant dans son approche de l’économie que dans ses sujets de recherche. Dans cet article, nous analyserons ainsi la figure d’Esther Duflo à travers ses différents ouvrages et articles. C’est une autrice que tu pourras réutiliser dans un grand nombre de sujets (clin d’œil au sujet HEC/ESSEC 2024).

Introduction

Son parcours

Après deux ans de prépa B/L à Henri-IV, Esther Duflo rejoint l’ENS Ulm où elle se spécialisera en histoire et en économie. Elle poursuivra son cursus à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), où elle commence à s’intéresser à l’économie du développement. Après avoir obtenu son doctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle y restera pour enseigner.

Un parcours qui ne présage que du bon pour le prix Nobel, donc !

L’obtention du prix Nobel

Comme nous l’avons mentionné précédemment, Esther Duflo est devenue en 2019 la deuxième femme à recevoir le prix Nobel d’économie. Ce prix, qu’elle partage avec Abhijit Banerjee et Michael Kremer, récompense ses travaux sur les solutions innovantes pour réduire la pauvreté à travers des expérimentations de terrain. Son approche, à la croisée de la recherche empirique et de l’engagement humanitaire, a transformé la manière dont les politiques publiques abordent les problématiques liées au développement.

À ce titre, nous évoquerons sa pensée et sa méthode autour de deux grands points majeurs : son approche méthodologique de l’économie (I) et sa pensée concernant la lutte contre la pauvreté et la question des inégalités (II).

Une approche méthodologique de l’économie

L’économie comme science : les RCT

Esther Duflo est reconnue pour avoir popularisé l’utilisation des essais randomisés contrôlés (ERC) en économie (tu croiseras surtout le terme RCT, de l’anglais Randomized controlled trials) . Cette méthode, empruntée à la recherche médicale, consiste à diviser une population cible en deux groupes : un groupe test, qui bénéficie d’une intervention, et un groupe de contrôle. Cette approche permet d’isoler les effets d’une politique ou d’une intervention, et de déterminer de manière rigoureuse son efficacité.

Dans Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way to Fight Global Poverty (2011), coécrit avec Abhijit Banerjee (avec qui elle partage son prix Nobel), Duflo expose notamment la philosophie sous-jacente à cette méthode et sa volonté de repenser le combat contre la pauvreté.

En définitive, Duflo cherche donc à implémenter des fondements scientifiques rigoureux à la science économique (et ce, pour le plus grand plaisir de Léon Walras qui affirmait, dès le XIXe siècle : « C’est d’affirmations gratuites surtout que nous sommes las, et ce serait surtout de démonstrations rigoureuses que nous aurions besoin. » (Éléments d’économie politique pure, 1874).

Un exemple clé : les taux de vaccination

L’une des études les plus célèbres de Duflo a été menée en Inde. Elle a démontré que l’utilisation de petites incitations, comme des lentilles gratuites, augmentait significativement les taux de vaccination infantile dans les villages reculés.

Trois groupes différents ont donc été créés :

  • Groupe contrôle : dans ces villages, aucune intervention supplémentaire n’était mise en place.
  • Groupe test 1 – sensibilisation : dans ces villages, des campagnes de sensibilisation ont été organisées pour informer les parents sur les bienfaits de la vaccination.
  • Groupe test 2 – sensibilisation et incitation : ces villages ont bénéficié à la fois de campagnes de sensibilisation et d’incitation économique sous la forme de petits cadeaux symboliques, comme des lentilles gratuites, pour chaque enfant vacciné.

 

Les résultats ont révélé des conclusions surprenantes :

  • Groupe contrôle : les taux de vaccination sont restés très bas, confirmant que l’accès gratuit aux vaccins n’était pas suffisant pour motiver les familles.
  • Groupe test 1 – sensibilisation : les campagnes d’information seules ont eu un impact modeste, mais insuffisant pour générer une amélioration significative des taux de vaccination.
  • Groupe test 2 – sensibilisation et incitation : dans les villages où les parents recevaient des lentilles gratuites en récompense, les taux de vaccination ont augmenté de 6 % à 39 %, soit une multiplication par plus de six par rapport au groupe contrôle.

 

En définitive, cette étude a démontré que les incitations économiques, même modestes, pouvaient jouer un rôle déterminant dans le changement de comportement.

Un impact durable sur l’économie

Grâce à l’introduction des RCT en économie, Duflo a contribué à transformer une discipline souvent théorique en une science plus empirique et appliquée. Comme elle le souligne dans une interview : « Nous ne devrions pas avoir peur de traiter l’économie comme une science expérimentale. Si nous voulons vraiment comprendre les comportements humains, nous devons observer ce qui se passe sur le terrain. »

Aujourd’hui, les RCT sont largement utilisés dans de nombreux domaines, tels que l’éducation, la santé et les politiques sociales, contribuant à une prise de décision publique plus informée.

Critiques de ce modèle

Gaël Giraud (La Théorie des jeux, 2004) affirme que les essais aléatoires menés au MIT sont extrêmement coûteux et donnent des résultats qui varient trop selon le lieu et l’époque pour en déduire une loi générale. Il dénonce également le fait que le MIT n’a pas de réflexion approfondie sur l’éthique de l’expérimentation sur des êtres humains.

De plus, Angus Deaton (La Grande évasion, 2016) explique que les RCT n’ont qu’une valeur limitée, puisqu’ils se concentrent sur de très petites interventions dépendantes du contexte. Il remet en question le caractère random de la sélection du groupe qui sera divisé au hasard en groupe d’étude et en groupe témoin. Les populations étudiées, trop petites, sont sujettes à une distorsion due à des valeurs aberrantes, de sorte que le lien de causalité dans une situation donnée peut ne pas se retrouver dans une autre situation.

La pensée d’Esther Duflo

La lutte contre la pauvreté

Duflo critique vivement les approches globalisantes et descendantes souvent adoptées par les institutions internationales. Dans Économie utile pour des temps difficiles (2019), elle insiste sur l’importance de comprendre les besoins spécifiques des populations locales avant de concevoir des politiques publiques pour procéder non plus à une approche top-down, mais bottom-up.

Dépasser les idées reçues

Duflo rejette certaines croyances tenaces sur la pauvreté, comme l’idée selon laquelle les pauvres manqueraient de motivation ou seraient incapables de prendre de bonnes décisions. Elle affirme d’ailleurs rejoindre Piketty sur le fait que « les pauvres ne sont ni stupides ni irresponsables. Ils agissent en fonction des contraintes économiques et sociales auxquelles ils font face ».

Changer les politiques à grande échelle

Les travaux de Duflo ont eu un impact direct sur les politiques publiques dans de nombreux pays. Ses recherches sur les microcrédits, les programmes alimentaires et les systèmes éducatifs ont influencé des organisations comme la Banque mondiale et l’UNICEF, qui adoptent de plus en plus une approche basée sur des données empiriques.

Duflo souligne également, dans ce même livre, que chaque problème nécessite une solution sur mesure : « Les solutions universelles ne fonctionnent pas. Nous devons partir des réalités locales pour concevoir des interventions efficaces. »

La lutte contre les inégalités de genre

Les inégalités de genre occupent une place centrale dans les recherches d’Esther Duflo. Elle considère que l’autonomisation des femmes est essentielle pour atteindre un développement durable, non seulement pour des raisons éthiques, mais aussi pour des raisons économiques.

Dans une étude menée en Inde, Duflo a examiné l’impact des quotas réservés aux femmes dans les conseils municipaux. Elle a constaté que ces quotas augmentaient significativement les investissements dans des domaines prioritaires pour les femmes, comme l’eau potable et l’éducation des filles. Cette expérience a démontré que l’inclusion des femmes dans les sphères décisionnelles bénéficie à l’ensemble de la communauté.

L’influence des femmes dans les ménages

Dans un article publié dans Econometrica, Duflo explore comment l’augmentation des revenus féminins modifie les dynamiques au sein des ménages. Elle conclut que, lorsque les femmes ont un plus grand contrôle sur les finances, elles priorisent l’éducation et la santé des enfants, entraînant des bénéfices intergénérationnels.

Une approche intersectionnelle des inégalités

Duflo ne se contente pas d’étudier les inégalités de genre de manière isolée. Dans Women and Development (2014), elle montre comment les discriminations liées au genre interagissent avec d’autres formes d’inégalités, comme la pauvreté ou l’accès à l’éducation : « Éliminer les inégalités de genre est un prérequis pour réduire durablement la pauvreté. »

Les inégalités sont donc bien vues comme une notion cumulative.

Conclusion

En définitive, Esther Duflo a considérablement contribué à l’économie, non seulement par son approche, mais également par son application des sciences au service des questions de développement (inégalité et pauvreté notamment).

Voici quelques sujets dans lesquelles tu pourras mobiliser ses ouvrages :

  • HEC/ESSEC 2024 : « Pourquoi et comment évaluer les politiques publiques » accorde une place fondamentale à Esther Duflo. Tu pourras non seulement expliquer la méthode RCT dans le « comment » et dans le « pourquoi », tu pourras parler de son application à la question du développement économique (pas de I – Pourquoi et II – Comment, évidemment, tu lieras les deux questions dans chacune de tes parties).
  • Ecricome 2022 (2) : « Inégalités et croissance » pour montrer que le niveau d’inégalité influence la croissance économique.

 

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