La croissance est un thème récurrent en classe préparatoire économique. Un thème souvent mal compris ou pas assez maîtrisé, alors qu’il est le fondement de la science économique. Le Bel avenir de la croissance (2018) d’Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat, retrace toute l’histoire de la croissance. Comment elle est calculée, pensée, appréhendée et surtout son avenir incertain mais lumineux, selon les auteurs.
Pour dynamiser le format de cet article, nous le mettrons sous forme de questions-réponses. Ces dernières traiteront les thèmes essentiels de l’ouvrage et ses passages importants. On reprendra dans les réponses les arguments des auteurs.
Cet ouvrage te permettra d’avoir différents points de vue et exemples sur les mécanismes de la croissance et les différentes voies par lesquelles les pays peuvent passer pour se développer.
1/ D’abord, qu’entend-on par « croissance » ?
Par croissance, on entend souvent la croissance économique, alors retiens cette définition plus qu’utile. Pour François Perroux (1966), la croissance est « l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs longues périodes d’un indicateur de dimension ; pour une nation : le produit global brut ou net en termes réels ».
2/ Comment se mesure la croissance économique ?
Le PIB est l’indicateur le plus commun pour apprécier ce développement économique. Il est ramené au nombre d’habitants (en France : multiplié par 10, de 1890 à 2017). La notion de PIB est née dans les années 1930 aux États-Unis avec Simon Kuznets.
Cet indicateur permet d’évaluer le revenu national, soit le résultat final de la production de biens et de services d’une économie sur une période et un territoire donnés. Et la croissance ne fait que comparer ce chiffre à celui de la période précédente.
Seulement, de nombreux économistes pensent que le PIB est un instrument de mesure dépassé, car insuffisant pour mesurer les inégalités, les activités souterraines, le bonheur, la santé, l’éducation.
3/ Quelles sont ses conséquences sur les agents économiques et le système social ?
La croissance et ses fluctuations peuvent avoir des conséquences à la fois positives et négatives sur les agents et le corps social. Mais cet impact sur les agents n’est ni uniforme ni immédiat. Pour autant, tout le monde profite des bénéfices de la croissance ou subit les conséquences de la crise.
Voici quelques exemples
- La période de crise 2008-2009 est la crise économique la plus importante depuis les années 1930, avec taux de croissance négatif de −3 %. Certains agents économiques ont subi la crise de plein fouet. Les ménages les plus pauvres, les agents en CDD et les emplois précaires, mais aussi les détenteurs de titres et d’actifs financiers. Le seuil de pauvreté est passé de 13 % en 2008 à 14,1 % en 2014. L’État a creusé le déficit public avec les dettes souveraines représentant 100 % du PIB pour absorber le choc de la crise. Cet ajustement des finances publiques pèsera sur notre revenu après impôt, sur la santé des entreprises et de là sur nos salaires et nos emplois. Les impôts augmenteront et/ou les dépenses publiques diminueront pour combler le déficit. Et tout le monde subira ces effets.
- La période de forte croissance économique des Trente Glorieuses a généré des effets positifs qui ont permis une amélioration des niveaux de vie. Entre 1950 et 1983, il y a eu une augmentation du pouvoir d’achat de 3,5 % pour plus de la moitié de la population défavorisée, une mise en place du système de protection sociale prévenant les accidents de la vie. On a vu aussi un recul de la pauvreté des retraités avec la multiplication par trois du minimum vieillesse entre 1956 et 1980… Les Trente Glorieuses ont bénéficié à une large partie de la population, même si les effets n’ont pas été uniformes.
Donc, la croissance fluctue et a un impact et des conséquences sur les agents économiques et le système social. Conséquences parfois positives, parfois négatives (avec une baisse de la croissance).
4/ Quel est le lien entre bonheur et croissance à long terme ?
Une partie importante du bonheur relève de caractéristiques individuelles (âge, sexe, génétique, situation personnelle, etc.) sur lesquelles la croissance et l’économie en général n’ont pas de prise.
Pourtant, croissance et bonheur sont liés. Surtout à court terme, car le bonheur est lié au chômage. Les personnes au chômage ont tendance à être moins heureuses que les personnes en emploi. Or, le chômage est lié et suit la croissance avec quelques trimestres de retard. Le bonheur suit le chômage et donc le cycle de croissance, mais seulement à court terme.
À long terme, la relation entre bonheur et PIB est complexe. Alors que le bonheur déclaré reste stable autour d’une moyenne depuis les années 1970, on a un ratio PIB/habitant multiplié par près de deux dans les pays avancés sur cette période. C’est le « paradoxe d’Easterlin ». Ce paradoxe a été constaté dans de nombreux pays, avancés ou non.
5/ Qu’est-ce que le paradoxe d’Easterlin ?
Easterlin a montré que dans les pays développés, le niveau de bonheur moyen ne semble pas augmenter avec le niveau du PIB/habitant au-delà d’un certain seuil.
Au cours du temps, le niveau de développement moyen influence le bonheur de chaque individu, mais avec un impact de moins en moins fort, au fur et à mesure de l’augmentation du niveau de développement. Plus il y a développement dans un pays, moins l’impact sur le bonheur est important. Le gain peut finir par devenir marginal, ce qui explique le constat d’Easterlin sur les pays industrialisés. Le bonheur n’augmente plus avec la croissance au bout d’un certain temps, car les attentes des consommateurs, de la population en général, augmentent en continu.
Cependant, Daniel Sacks montre que la satisfaction (le bonheur) moyenne est plus forte dans les pays en croissance et d’autant plus forte que cette croissance est forte. Il veut montrer que le bonheur arrive quand une opportunité amenée par la croissance s’approche. Ainsi, on peut faire corréler bonheur et croissance.
6/ La croissance est-elle condamnée par les limites environnementales ?
La croissance actuelle n’est pas soutenable. Au cours du XXᵉ siècle, les émissions de CO2 ont augmenté parallèlement à la croissance. Du fait de notre mode de consommation énergétique basé sur les énergies fossiles en grande partie. La croissance économique et notre mode actuel de consommation entraînent la dégradation de la biodiversité et de l’environnement naturel, la pollution et le réchauffement climatique.
D’ici la fin du XXIᵉ siècle, il est prévu que la température mondiale augmente de 4 voire 5 °C par rapport à la fin du XIXᵉ siècle. De plus, il n’y a pas de consensus au niveau mondial quant à la réglementation et la taxation du CO2. Il n’y a pas d’institution internationale de l’environnement et du climat.
Pour autant, la croissance ne semble pas condamnée par les limites environnementales de notre planète
De nouvelles technologies plus économes en énergies fossiles naissent. On peut citer l’exemple du secteur aéronautique. La consommation de carburant/passager/km a été réduite de moitié grâce à l’amélioration des moteurs.
Cependant, les nouvelles technologies sont insuffisantes par rapport aux enjeux climatiques, mais montrent que la croissance et l’environnement ne sont pas incompatibles. La croissance peut devenir plus économe en énergies fossiles et moins polluante. De plus, le développement de ces technologies moins polluantes est source de croissance. Il faut alors des investissements en R&D, puis des investissements pour acquérir des nouveaux équipements intégrant ces nouvelles technologies.
Il n’y a pas d’incompatibilité radicale entre croissance et environnement. Mais il y a besoin d’une prise de conscience et de politiques adaptées dans tous les secteurs pour favoriser la soutenabilité environnementale de la croissance et la transition énergétique.
7/ Comment rendre compatibles croissance économique, respect de l’environnement et limitation des inégalités économiques ?
Afin de rendre compatibles la croissance économique, le respect de l’environnement et la limitation des inégalités, des économistes comme Philippe Aghion, Peter Howitt ou encore Jean Tirole prônent l’importance et le rôle de politiques adaptées. Ces politiques favorisent une croissance plus soutenable par le biais d’investissements en R&D et l’innovation. Ils préconisent des stratégies pour contourner les limites environnementales et sociales de la croissance économique.
Il faudrait des politiques engagées qui, par un système de prix adapté, pourraient orienter l’allocation des facteurs et les efforts de R&D de façon compatible avec la soutenabilité de la croissance et par exemple le respect de la biodiversité.
Selon Philippe Aghion, les politiques économiques et la réglementation peuvent accélérer des investissements en R&D et donc l’innovation. Ce qui permettrait d’assurer une croissance économique plus soutenable et respectueuse de l’environnement. Il faudrait, selon lui, un système fiscal pénalisant les énergies sales qui pousserait les entreprises à se réorienter vers des innovations plus propres. Et ce qui créerait ainsi un cercle vertueux de l’innovation, dont bénéficient les autres entreprises du même secteur.
Pour Jean Tirole, un consensus au niveau mondial sur la taxation et la réglementation du CO2 permettrait de limiter la pollution et le réchauffement climatique. Cela permettrait aussi de créer des revenus pour financer les investissements en R&D et l’innovation.
L’évolution de nos modes de consommation peut également favoriser une croissance plus respectueuse de l’environnement. Comme on le voit avec le développement des produits bio.
Les inégalités économiques
En ce qui concerne les inégalités économiques, la croissance peut s’accompagner d’une montée des inégalités comme dans les années 1990 et 2000 aux États-Unis. Ou alors d’une diminution de celles-ci, comme pendant les Trente Glorieuses. Une croissance qui ne serait pas inclusive créerait des inégalités, donc une montée des extrêmes et amènerait à des crises financières. Ainsi, les inégalités peuvent être un frein à la croissance et favoriser même des crises financières. Comme la crise des subprimes de 2008-2009, comme le disait Krugman dans Pourquoi les crises reviennent toujours ? (2008).
La montée des inégalités peut être contrecarrée par différents types de politiques économiques ou sociales. Par exemple, celles favorisant la mobilité sociale et en particulier les politiques de formation, ou les politiques fiscales et redistributives. Pour autant, Philippe Aghion et Peter Howitt montrent qu’il pourrait être préjudiciable à la croissance de réduire par la politique fiscale les rentes d’innovation. La moindre incitation à innover qui en résulterait pourrait à plus long terme réduire la croissance de la productivité. Et donc affaiblir le moteur essentiel de la croissance.
Ainsi, le rôle des politiques est essentiel pour concilier croissance économique, respect de l’environnement et limitation des inégalités dans une perspective de développement durable.
8/ Quelles sont les principales limites auxquelles se heurte la mesure du PIB ?
Le PIB a été pensé comme une mesure de l’activité économique. Il a été créé dans les années 1930 par Kuznets à la demande du Congrès américain pour mesurer les effets de manière plus précise de la Grande Dépression et justifier des plans de relance. Défini par Keynes et Kuznets, c’est un résultat uniquement quantitatif. Il n’a pas pour objectif d’évaluer le bien-être, l’environnement, la santé, l’éducation…
De surcroît, il ne comptabilise pas de nombreuses activités dites « souterraines », car il ne peut pas les évaluer (trafics de drogue, travail clandestin…). Il ne comptabilise pas non plus les tâches domestiques (ménage, etc.).
Enfin, il lui arrive de prendre en compte positivement des externalités négatives. Par exemple, un feu de forêt qui se déclenche va être comptabilisé positivement dans le PIB, car il engendre des achats et des activités. Or, c’est un drame au niveau environnemental et du bien-être.
9/ La croissance comme addition des facteurs de production, en prenant en compte leur productivité ?
Une première approche de la croissance consiste à additionner les différents moyens contribuant à la production, « les facteurs de production », en prenant en compte leur productivité. Pour produire et vendre sa production, une entreprise aura besoin de travail (main-d’œuvre) et de capital (infrastructures et immobilisations matérielles ou immatérielles). Du point de vue économique, une entreprise est perçue comme une « usine » qui transforme deux facteurs de production en un bien final. Pour combiner ces deux facteurs, exprimés dans des unités différentes, il faut donner un poids à chacun d’entre eux et remettre le résultat à l’échelle.
Hypothèse 1
La contribution de chacun des facteurs de production doit être égale à la part que représente leur coût dans la valeur ajoutée de l’entreprise. Exemple : si la masse salariale correspond à deux tiers de la valeur ajoutée, on affecte un poids de deux tiers au facteur travail. Cela donne un poids relatif au travail et au capital dans la production.
Hypothèse 2
Possibilité de substituer les deux facteurs de production sans affecter le processus de production. Soit, qu’il y ait un coût associé à ce remplacement. À long terme, on suppose souvent que le processus de production pourra s’adapter à une évolution de la part de chacun des facteurs. Notamment par le renouvellement du tissu productif.
Enfin, il faut déterminer quels sont les rendements d’échelle liés à l’augmentation conjointe des deux facteurs de production. Lorsque l’on augmente tous les facteurs de production de x %, la production va-t-elle augmenter dans les mêmes proportions ? → Oui, rendements d’échelle constants = augmentation de même proportion de la production et de ses facteurs.
La combinaison des facteurs de production peut être plus ou moins efficace. La différence entre la croissance de la production et la contribution à cette croissance du capital et du travail est la PGF, ou « productivité globale des facteurs » → Il s’agit d’un résidu qui capture la part de la croissance inexpliquée dans la croissance de ses facteurs.
La PGF reflète ainsi les différentes étapes de la contribution du progrès technique à la production. Ce résidu intègre toutes les erreurs de mesure dans le calcul de la contribution des facteurs de production. Il a donc besoin de connaître les informations indisponibles ou mal mesurées et difficiles. La contribution de la qualité des facteurs éducation, expérience pour le travail, intégration des nouvelles technologies pour le capital est seulement estimée. Tous ces éléments se retrouveront dans la PGF qui agrège de nombreux facteurs hétérogènes. C’est « la mesure de notre ignorance ».
La suite de l’ouvrage sera fichée dans les deux prochaines parties de cet article ! Voici le lien pour accéder à la deuxième partie !