Voici la troisième et dernière partie de la fiche de lecture sur l’ouvrage Le Bel avenir de la croissance. La première partie se trouve ici et la deuxième partie peut être lue ici.
13/ En quoi l’exemple du Chili nous informe-t-il sur la relation entre croissance et démocratie ?
L’histoire du Chili montre l’importance du rôle de la démocratie dans la croissance économique. Le Chili est un des pays d’Amérique latine considérés comme étant l’un des plus avancés économiquement. Le niveau relativement élevé du PIB/habitant en 2016 (proche de celui du Portugal, de 20 000 $/habitant) est le résultat d’une augmentation de la croissance amorcée au milieu des années 1980, et accélérée dans les années 1990. Et ce, malgré une dictature militaire dirigée par Pinochet entre 1973 et 1990.
La dictature a permis d’expérimenter des théories économiques néolibérales des économistes de Chicago (surtout M. Friedman), mises en œuvre par les « Chicago Boys ». D’importantes réformes libérales ont été mises en œuvre comme la privatisation massive d’entreprises, la mise en place d’un système de retraite par capitalisation ou encore la suppression des droits de douane. Certaines de ces réformes ont pu contribuer au décollage de la croissance, mais également renforcer les inégalités.
Le lien entre démocratie et croissance
L’exemple chilien pose nécessairement la question du lien entre démocratie et croissance. Un système autoritaire permet de s’affranchir du coût politique de réformes importantes. Mais, en l’absence de contre-pouvoirs, notamment judiciaires, les systèmes autoritaires sont particulièrement propices au népotisme, à la corruption et à l’accaparement des richesses par une étroite frange de la population. Et ce, au détriment du développement économique. Les exemples les plus flagrants de stagnation ou régression économiques des pays les moins avancés sont également le fait de dictatures.
Le retour de la démocratie s’est fait en 1990 avec une succession de gouvernements qui ne sont pas revenus sur les réformes de la dictature. Ils ont poursuivi la logique libérale en ouvrant davantage l’économie chilienne sur le monde. Mais en y ajoutant des réformes sociales permettant de réduire les inégalités et de diminuer la pauvreté. La croissance du pays a sensiblement augmenté dans les années qui suivirent. Ainsi, le retour de la démocratie a permis au Chili de conserver et d’accentuer sa croissance déjà en marche, en prenant en compte considérablement le volet social. Ce qui a diminué les inégalités et la pauvreté, freins à la croissance.
Barro a tenté de voir l’impact de la démocratie sur la croissance. Il conclut, en 1997, après avoir analysé une centaine de pays, que « plus de droits politiques n’affectent pas la croissance. La première leçon est que la démocratie n’est pas la clé de la croissance économique ».
Cette vision a fait consensus pendant plusieurs années
Jusqu’à ce que d’autres études viennent la remettre en cause, à l’aide de mesures plus précises du « niveau de démocratie d’un pays » et d’arguments techniques. Ces dernières défendent l’idée qu’une transition démocratique s’accompagne d’une augmentation rapide du taux de croissance du PIB/habitant. Malgré ces récentes contributions, qui semblent aller dans le sens d’une corrélation positive entre démocratie et croissance, la question du lien entre croissance et démocratie est encore largement débattue.
14/ Les recettes chinoises de la croissance
Les réformes de 1979 ont permis de faire entrer le pays progressivement dans une économie de marché. La Chine a connu une croissance importante et durable, grâce à son ouverture au commerce international. Ce qui a permis d’augmenter considérablement les IDE, qui ont porté la croissance annuelle chinoise à des niveaux d’environ 9 % par an. En 2017, elle était la seconde (ou même première, selon différentes estimations) économie mondiale.
D’où viennent les recettes chinoises de la croissance ?
La Chine a su s’imposer comme un pays d’accueil d’IDE, avec des politiques économiques attractives pour de nombreuses multinationales. Un exemple est la création de « zones économiques spéciales », bénéficiant de droits de douane et de taux d’imposition très faibles pour les investisseurs.
De plus, le cadre institutionnel a aussi été indispensable à la croissance chinoise et à sa convergence par rapport aux pays occidentaux. Le cadre est favorable au commerce, avec une grande stabilité politique, un capital humain important et une espérance de vie plus élevée. Ces éléments ont permis à la Chine de devenir le centre industriel du monde.
Mais cette croissance exceptionnelle chinoise semble compromise
La Chine possède un PIB comparable à celui des États-Unis, mais sa population quatre fois supérieure lui confère un PIB/habitant encore très éloigné de celui des pays avancés. La valeur de PIB nécessaire pour que la Chine converge vers les pays occidentaux en termes de PIB/habitant est de l’ordre de 50 000 milliards de dollars. Soit 3/4 du PIB mondial actuel.
Atteindre un tel niveau nécessitera encore de nombreuses années de croissance forte. Pour ce faire, le pays devra éviter le piège du revenu moyen. En restructurant son économie de façon à générer de la croissance via la consommation intérieure et l’innovation, plutôt que via les investissements étrangers. Cela, en passant d’une croissance tirée par le « capital deepening » à une croissance tirée par la productivité.
Or, la productivité globale des facteurs a justement ralenti ces dernières années en Chine. Ce qui témoigne de la nécessité de mener de nouvelles réformes pour améliorer la productivité. En particulier en améliorant le système de financement bancaire des entreprises, en adaptant les régulations industrielles et en réduisant la corruption qui demeure importante.
15/ Comment les TIC impactent-elles la productivité du travail ?
Les TIC (soit les innovations de la troisième Révolution industrielle : les technologies de l’information et de la communication) peuvent dynamiser la productivité du travail par trois canaux.
La production de TIC elle-même
Les gains de productivité dans la production de TIC sont importants, et cette production élève donc les gains de productivité moyens. Pour autant, la faible part de ce secteur de production des TIC dans l’ensemble de l’économie aboutit à une contribution moyenne qui demeure mesurée.
David Byrne, Stephen Oliner et Daniel Sichel, trois économistes spécialistes de l’impact des TIC sur l’économie, ont ainsi évalué cette contribution aux États-Unis à 0,72 point de pourcentage en moyenne par an sur la période 1995-2004.
L’augmentation de l’intensité en capital de la combinaison productive
La baisse du prix des TIC par rapport au prix des autres biens a comme conséquence qu’une même dépense nominale d’investissement en TIC permet de s’équiper en matériel avec des performances productives qui sont croissantes.
Chacun connaît bien ce phénomène quand il s’équipe en achetant un ordinateur personnel. La même dépense correspond d’année en année à un matériel plus performant. C’est ce que l’on appelle communément la loi de Moore.
Les externalités
Les dépenses en TIC d’une entreprise élèvent non seulement sa propre productivité du fait du canal précédemment évoqué, mais aussi la productivité d’autres entreprises.
Cependant, les deux derniers canaux nécessitent une mesure satisfaisante du prix des TIC, mais c’est difficile à estimer au niveau statistique. Donc, il y a beaucoup d’erreurs. De plus, Byre, Oliner et Sichel montrent que cette mesure sous-estimerait malgré tout de façon importante la baisse du prix des TIC sur les dernières années. Par exemple, pour les semi-conducteurs.
16/ La stagnation séculaire comme résultat de facteurs d’offre et de demande ?
Le très fort ralentissement de la productivité observé depuis le début du XXIᵉ siècle dans tous les pays développés du monde apporte du crédit à l’analyse de Robert Gordon. Ce dernier envisage une longue période de faible croissance en raison d’une productivité peu dynamique.
Nous entrerions progressivement dans une période de stagnation séculaire. Autrement dit de croissance réduite pour une période longue. Sinon pour toujours, du fait d’une faiblesse de l’impact des innovations actuelles sur les modes de vie et la croissance. Innovations qu’il qualifie d’innovations gadgets.
La secular stagnation
Alvin Hansen, en 1939, utilise le terme de secular stagnation pour qualifier les risques qu’il percevait alors d’une faible croissance des États-Unis. Leur faible croissance serait, selon lui, due à un essoufflement des tendances démographiques du côté de l’offre, mais aussi à une insuffisance de la demande. Mais Hansen semblait s’être trompé. La Seconde Guerre mondiale s’est traduite aux États-Unis par une très forte dynamisation de la demande. Et, du côté de l’offre, par une accélération sans précédent de la productivité du travail liée à la mise en œuvre accélérée d’innovations antérieurement faites.
Récemment, le terme de « secular stagnation » a été repris par Summers pour caractériser ce même risque de croissance faible du fait d’une insuffisance de la demande sur la période actuelle. Cette insuffisance serait liée à l’impossibilité de la dynamiser. Pour les banques centrales, du fait de l’inflation trop faible qui bride l’action de la politique monétaire (zero lower bound). Et pour les États, du fait de la situation déjà dégradée des finances publiques, qui limite les marges de manœuvre budgétaires.
L’expression de stagnation séculaire a connu depuis un succès très rapide. Elle est souvent utilisée dans les approches évoquant une croissance pouvant être durablement faible, du fait d’une insuffisance tant de la demande que de l’offre.
17/ Les gains de productivité peuvent-ils repartir ?
La thèse de Hansen en 1939 évoquait une stagnation séculaire par manque d’opportunités d’investissements. Peut-être ne s’est-il pas trompé ? En effet, pendant les Trente Glorieuses, l’investissement a pu repartir grâce aux nombreuses avancées technologiques, l’avènement d’une plus large société de consommation, notamment dans l’électroménager. Néanmoins, les opportunités d’investissements semblent s’essouffler.
Axelle Arquié évoquait dans sa tribune dans l’Économie mondiale 2022 du CEPII des opportunités d’investissements dès à présent dans des technologies propres, au service de l’environnement. Ce qui pourrait être profitable à l’environnement comme à l’économie. Ces opportunités pourraient potentiellement permettre de dépasser cette phase actuelle de stagnation.
18/ L’emploi peut-il disparaître sous l’effet de la révolution numérique ?
Les effets sur l’emploi de la révolution numérique sont sujets à de nombreux débats qui soulèvent de nombreuses inquiétudes. Deux types d’anxiétés émergent : une quantitative et une qualitative.
La quantitative consiste à avancer que les développements technologiques en cours vont réduire la qualité du travail et des emplois. Du fait des gains de productivité qui leur sont associés.
La qualitative possède deux variantes. L’une consiste à associer la troisième Révolution industrielle et la révolution numérique à une polarisation de l’emploi. Les transformations induites par cette révolution aboutiraient à une baisse de la part des emplois intermédiaires dans l’emploi total et à l’augmentation des emplois, soit peu qualifiés et peu rémunérés, soit au contraire fortement qualifiés et mieux rémunérés.
L’autre variante évoque que la nature même des emplois serait modifiée. Au travail, un salarié se substituerait à un travail indépendant. Les travailleurs étant directement mis en relation avec leur clientèle via des plates-formes numériques. Dans cette dernière vision, les garanties et les protections sociales des travailleurs, essentiellement construites dans une logique d’emploi salarié, seraient menacées. Pour utiliser une expression devenue commune, nous serions à l’aube d’une « ubérisation » complète de l’économie.
L’anxiété quantitative concerne, elle, les pertes d’emplois potentiellement associées aux TIC et à l’économie numérique.
De nombreux économistes ont réitéré cette crainte au cours du temps
Pour certains, la contraction du travail nécessaire à la production des biens et services aboutirait à la baisse considérable de la durée travaillée. Ainsi, Keynes écrivait en 1930 que « 100 ans plus tard, 15 heures de travail hebdomadaires devraient suffire à produire les richesses nécessaires à l’homme ».
Keynes avait en partie raison. Dans les pays développés, les gains de productivité prodigieux réalisés durant le XXᵉ siècle ont bien permis de financer à la fois une extraordinaire augmentation du niveau de vie moyen et une réduction de la durée moyenne de travail (réduite de plus de moitié depuis la fin du XIXᵉ siècle). Mais concernant l’emploi, les craintes d’une évaporation ont à chaque fois été démenties par les évolutions économiques constatées. Depuis, certaines professions disparues sont au demeurant généralement peu gratifiantes. Et leur disparition participe de l’amélioration des conditions de travail comme « les porteurs d’eau ».
Les craintes liées aux nouvelles technologies
Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que cette anxiété concernant les destructions d’emplois du fait des TIC et du développement de l’économie numérique est très forte, à une époque où les gains de productivité sont particulièrement faibles.
Mais des analyses récentes ont évalué que de nombreux métiers sont en effet menacés par la diffusion des nouvelles technologies. Des études au Royaume-Uni et aux États-Unis évoquent la possibilité qu’environ la moitié des emplois aux États-Unis (entre 30-40 % au Royaume-Uni) pourraient être remplacés par des ordinateurs ou des algorithmes au cours des 10 à 20 prochaines années.
Finalement, non, l’emploi ne semble pas disparaître sous l’effet de la révolution numérique, mais change radicalement dans sa structure. Des analyses de l’OCDE dans l’Avenir de l’emploi (2016) montrent que 16 % des emplois pourraient être remplacés par les machines dans les 10 prochaines années.
Cependant il y a une différence à établir entre les technologies optimistes et pessimistes. On a trop peu d’informations sur l’effet de la révolution numérique sur l’emploi dans l’avenir. Il ne semble donc pas que l’emploi puisse disparaître sous l’effet de la révolution technologique, mais sa structure en demeurera néanmoins affectée.
C’est la fin de cette fiche de lecture sur l’ouvrage Le Bel avenir de la croissance. Une œuvre dense et riche, te permettant d’alimenter bon nombre de tes copies !