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Cet article constitue la deuxième partie de la fiche de lecture sur l’ouvrage d’Emmanuel Combe, La Concurrence. La première partie est accessible ici !

Chapitre III. La concurrence en action : ses effets micro et macroéconomiques

Il est désormais intéressant de passer en revue les principaux effets de la concurrence.

1 – Les effets sur la demande

a/ L’effet sur les prix et les quantités

L’effet le plus connu et le plus immédiat de la concurrence sur le marché est la baisse des prix par l’ensemble des acteurs présents. Un exemple empirique est celui de l’entrée de Free mobile sur le marché de la téléphonie. Les études ont montré que la simple entrée de l’opérateur sur le marché avait réduit les prix de 21 % sur deux ans.

Dès lors qu’un prix baisse sur un marché, la quantité demandée augmente. Et plus la demande est élastique, plus l’impact de cette variation est fort. Si le prix d’un bien alimentaire baisse beaucoup, les agents ne vont pas forcément en acheter beaucoup plus s’ils mangeaient déjà à leur faim.

b/ L’effet sur la qualité et la diversité des produits

Pour ce qui est de la qualité des produits et des services, l’intuition est que le renforcement de la concurrence oblige les entreprises installées à mieux prendre en compte les attentes de leurs clients. À titre d’exemple, il a souvent été avancé que l’arrivée des VTC sur le marché des transports après 2010 avait conduit les taxis à améliorer la qualité de leurs services.

Dans une étude empirique, D. Matsa (Competition and Product Quality in the Supermarket Industry, 2011) a montré que les rayons de la célèbre entreprise américaine Walmart étaient mieux approvisionnés quand ils étaient soumis à une concurrence forte. Tandis que les autres subissaient souvent des ruptures de stock.

Outre son impact sur la qualité des produits, la concurrence peut également accroître la variété des produits. Ce qui permet à chaque consommateur de « trouver chaussure à son pied ».

2 – Les effets sur l’offre et l’emploi

a/ Le repositionnement de l’offre

Lorsque l’intensité de la concurrence est fortement modifiée sur un marché, notamment à la suite d’un nouvel acteur, les entreprises installées ne vont pas réagir seulement en modifiant leurs prix. Elles vont aussi repositionner leur offre.

Elles peuvent copier le modèle du nouvel entrant pour « jouer à armes égales ». À l’instar d’Orange, Bouygues et SFR qui ont proposé des offres low cost après l’entrée de Free mobile. Et au-delà de la téléphonie mobile, ce repositionnement s’observe dans la plupart des secteurs marqués par l’entrée de compagnies low cost.

Une seconde forme de repositionnement, assez radicale, consiste pour la société historique à « sortir » du marché à l’arrivée d’une autre entreprise si elle n’est plus assez efficace pour suivre le rythme nouveau de la compagnie entrante.

b/ L’effet sur la productivité et l’innovation

La concurrence, en obligeant les entreprises à s’affronter constamment, est une source importante de baisse des coûts sous la forme de gains de productivité. De manière générale, les études sur l’impact de la libéralisation d’un secteur fortement régulé (comme le gaz, l’électricité et les transports) concluent à de fortes hausses de productivité.

Une première cause est interne à l’entreprise. La concurrence exerce une fonction de « discipline » sur les managers, qui doivent en permanence améliorer leurs performances. Une seconde cause est externe à l’entreprise et passe par un processus de sélection des entreprises. Celles qui ont les niveaux de productivité les plus élevés vont progressivement remplacer les moins efficaces.

En France, les études de Ben Hassine (Croissance de la productivité et réallocation des ressources en France, 2019) évoquent, après la crise de 2008, des gains de productivité accrus grâce à une réallocation des ressources vers les entreprises les plus efficaces. Conduisant à la disparition des entreprises les moins productives.

De surcroît, l’approche standard pense la concurrence bénéfique à l’innovation, dans la mesure où les entreprises cherchent à s’extraire de la concurrence pour générer des profits (Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942). Les entreprises, surtout celles proches de la frontière technologique, sont incitées à innover. Ce qui constitue le moteur du capitalisme et de la croissance.

c/ L’effet sur l’emploi

La concurrence est souvent perçue comme un vecteur de destruction d’emplois. L’entrée de nouvelles entreprises vient fragiliser les entreprises en place, qui réduisent leur niveau de production, voire licencient une partie des salariés.

En réalité, les mécanismes sont bien plus complexes. On aperçoit d’abord un phénomène de destruction créatrice concernant l’emploi. Les emplois sont redirigés vers les entreprises entrantes et plus efficaces. Dans la mesure où le nouvel entrant est plus efficace, il emploie moins de main-d’œuvre. Donc, le volume global d’emplois dans un même secteur va diminuer. Néanmoins, le volume global d’emplois peut être compensé par un impact positif dans les autres secteurs d’activités.

En effet, l’entrée d’un concurrent plus efficace signifie souvent un gain de pouvoir d’achat des consommateurs. Un pouvoir d’achat qu’ils vont liquider pour acheter dans d’autres secteurs, qui eux vont pouvoir employer plus de personnes. Cette réallocation intersectorielle des emplois suppose toutefois que la main-d’œuvre soit mobile entre les secteurs d’activités.

L’effet net de la concurrence sur l’emploi doit donc tenir compte de ces effets directs et indirects. C’est pourquoi il est si difficile à mesurer en pratique.

Chapitre IV. Les obstacles à la concurrence

Comme nous l’avons vu, la dynamique de la concurrence passe principalement par l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché et par le maintien d’une certaine rivalité entre les offreurs déjà présents.

Mais certains obstacles, de nature technologique ou comportementale, peuvent limiter l’intensité de la concurrence.

1 – Les obstacles technologiques

La présence de fortes économies d’échelle ou d’effets de réseau vient limiter le nombre d’acteurs sur un marché et conduit à des situations d’oligopoles ou de monopoles.

a/ Monopole naturel : le rôle des coûts fixes

Dans certaines industries, la production nécessite d’engager de forts coûts fixes (construire une infrastructure par exemple) par rapport aux coûts variables. Ainsi, plus l’entreprise produit, plus son coût moyen diminue, car les coûts fixes sont répartis sur une plus grande quantité de produits. Dans une telle configuration, il peut être intéressant économiquement qu’une seule entreprise approvisionne le marché. On trouve ainsi une situation de « monopole naturel ». On peut citer l’exemple du transport ferroviaire avec le (quasi) monopole de la SNCF.

Cette situation de monopole temporaire pose un dilemme. D’un côté, elle permet au coût moyen de baisser drastiquement. Mais d’un autre côté, l’entreprise peut profiter de sa situation de monopole pour augmenter les prix, au détriment des consommateurs.

Dès lors, plusieurs régulations ont été envisagées par les théories économiques. Si le monopole applique le prix de concurrence (soit le coût marginal qu’on a vu au chapitre I), le coût moyen va être supérieur au coût marginal et l’entreprise va subir des pertes. Une seconde option consiste à appliquer un prix égal au coût moyen. Enfin, une dernière option, le « cost plus » consiste à mettre le prix égal au coût moyen et à ajouter une marge raisonnable pour inciter l’entreprise à produire et vendre.

b/ Au-delà des coûts fixes : les effets de réseau

Les économies d’échelle ne sont pas le seul obstacle de nature technologique qui conduit à des monopoles ou oligopoles « naturels ». On peut également mentionner les effets de réseau. Un effet de réseau désigne le fait que l’utilité qu’un agent économique retire d’un service dépend positivement du nombre d’utilisateurs de ce même service (par exemple les fournisseurs d’électricité).

Les effets de réseau sont propices à l’émergence d’un phénomène de type « boule de neige » par lequel une entreprise capte rapidement l’essentiel des parts de marché.

2 – Les obstacles informationnels et comportementaux

a/ Le coût et la recherche de l’information

Pour que la concurrence puisse jouer entre les acteurs du marché, encore faut-il que les consommateurs aient connaissance des différentes offres disponibles. Dans les faits, l’information peut être coûteuse. Les entreprises vont tirer parti de cette défaillance pour augmenter leurs prix. L’intensité de la concurrence est altérée.

Une solution pour réduire les coûts de recherche d’information est de disposer d’un référentiel de prix pour les produits standardisés. À cet égard, sur les plateformes en ligne, la société Amazon est souvent perçue comme un référentiel de prix. Les consommateurs vont souvent regarder le prix sur Amazon avant d’acheter chez un autre distributeur.

Ces coûts de recherche d’information peuvent être naturels (géographie), mais aussi artificiels, montés par les entreprises, afin de réduire la concurrence entre elles. Elles peuvent volontairement complexifier leurs grilles tarifaires par exemple.

b/ Les biais comportementaux des consommateurs

À supposer que les consommateurs aient accès à toute l’information disponible, il n’est pas certain qu’ils tirent parti des profits de la concurrence, dans la mesure où leur jugement est faussé par des biais. Un premier biais est le « statu quo ». Les individus n’aiment pas le changement et remettent facilement au lendemain leurs décisions.

Un deuxième biais est celui de la « surconfiance ». Les consommateurs vont avoir tendance à choisir des offres plus onéreuses, car ils surestiment leur consommation réelle.

Un troisième biais est celui de la « myopie ». Les acteurs n’anticipent pas le coût d’un bien sur toute la durée de sa vie.

3 – Les obstacles stratégiques : les pratiques anticoncurrentielles

a/ La tentation du cartel

Dans le chapitre I, nous avons vu qu’en concurrence, les entreprises présentes exerçaient toutes une pression à la baisse sur les prix. On comprend ainsi que les entreprises en oligopole soient spontanément incitées à s’entendre. En concluant un accord explicite, on appelle ça un cartel.

Un premier cas est le « cartel offensif », consistant à s’entendre avec ses concurrents dans le but d’augmenter les prix. Un cartel parfait permet de recréer une situation de monopole.

Un second cas est le « cartel défensif » qui consiste à s’entendre pour que les prix ne baissent pas sur le marché, à la suite de l’arrivée d’un nouveau concurrent.

Comme dans le cas d’un monopole, les cartels se traduisent par une perte de bien-être, dans la mesure où certains clients renoncent à acheter le produit, du fait de son prix plus élevé. De plus, on perçoit une inefficacité dynamique. Comme les entreprises ne sont plus soumises à l’aiguillon de la concurrence, leur incitation à innover baisse.

b/ Les pratiques de dissuasion et d’éviction

Une entreprise en situation de monopole sur le marché peut avoir intérêt à mettre en œuvre une stratégie de dissuasion à l’entrée.

Une abondante littérature économique s’est développée dans les années 1960 pour étudier les conditions de la faisabilité d’une telle stratégie de dissuasion à l’entrée. Elle en retire que le coût de la dissuasion doit être faible et que cette dernière doit être crédible. Le monopole ne doit pas se contenter de menacer l’entrant. Il doit engager une dépense irréversible pour montrer sa détermination.

Chapitre V. Les politiques pro-concurrentielles : entre renforcement et régulation de la concurrence

L’intensité de la concurrence ne dépend pas uniquement de facteurs propres aux entreprises ou aux consommateurs. Elle dépend également du cadre légal qui autorise ou interdit l’accès au marché et contrôle certains comportements des entreprises.

La concurrence est souvent contrôlée par les pouvoirs publics, en favorisant l’intensité de la concurrence par différentes manières. Lutter pour la transparence des prix, réduire les coûts de sortie, ouvrir les marchés à la concurrence, lutter contre la concurrence déloyale, etc.

Mais ces politiques sont extrêmement difficiles à mettre en œuvre, dans la mesure où elles se heurtent à la résistance des opérateurs installés.

1 – Les obstacles politiques aux réformes pro-concurrentielles

a/ Une asymétrie fondamentale entre gagnants et perdants

Toute réforme pro-concurrentielle entraîne des effets redistributifs, en faisant des gagnants et des perdants. Du côté des gagnants, on trouve principalement les consommateurs qui voient les prix baisser et l’accès au marché facilité. Du côté des perdants, on trouve les opérateurs installés et leurs salariés, qui voient leur salaire baisser ou perdent leur emploi.

Le problème est que les gains ne sont pas perçus de la même manière par les gagnants et les perdants. Les gains d’un renforcement de la concurrence sont souvent sous-estimés. Les consommateurs n’ont pas forcément conscience du montant total des gains résultant de la concurrence, dans la mesure où les gains sont répartis sur un très grand nombre d’entre eux.

b/ Restreindre la concurrence : une tentation forte mais coûteuse

D’un autre côté, l’entreprise ressent fortement la baisse des prix, car elle en vend en grande quantité. Il est donc logique que les entreprises se positionnent contre les réformes pro-concurrentielles. Tandis que les consommateurs ne peuvent pas s’organiser, car ils ne constituent pas une entité. Les entreprises en place peuvent en particulier invoquer le spectre tangible de licenciements ou d’une faillite avec toutes ses conséquences sociales.

Lorsque des réformes pro-concurrentielles sont néanmoins adoptées, elles prennent souvent la forme de « petits pas ». L’objectif est de les rendre acceptables. À titre d’exemple, la loi Macron (2015) a voulu favoriser l’entrée de diplômés notaires exerçant à titre libéral, elle n’a pas instauré d’installation totale.

2 – L’ouverture à la concurrence des industries de réseau

Si les réformes pro-concurrentielles sont difficiles à mettre en œuvre, elles ne sont pas toujours impossibles. À cet égard, il peut être constaté que l’Union européenne a réussi à engager depuis les années 1990 un profond mouvement d’ouverture à la concurrence des industries de réseau, qui étaient jusqu’ici en situation de monopole.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre III, en général, les industries de réseau sont souvent en situation de « monopole naturel ». Pendant longtemps, la plupart des pays ont fait le choix d’attribuer à une seule et même entreprise la gestion de l’infrastructure de réseau.

Toutefois, ce schéma du monopole verticalement intégré a été remis en question à partir des années 1980. En effet, le périmètre du « monopole naturel » porte en réalité sur l’infrastructure d’interconnexion et non sur le service. S’il est inefficace de dupliquer un réseau d’oléoducs, des lignes à haute tension ou des voies ferrées, rien n’empêche en revanche de mettre la concurrence en aval dans le service qui utilise ces infrastructures de réseau.

En France, les industries de réseau ont progressivement été rouvertes à la concurrence. La téléphonie fixe (1998), l’électricité (1999), le gaz (2000), les TGV domestiques (2020). Ce sont bien les services donnés qui sont soumis à la concurrence, pas les infrastructures (exemple, tous les trains empruntent les mêmes voies).

3 – La régulation du marché par la politique de la concurrence

Les politiques pro-concurrentielles ne consistent pas seulement à ouvrir des secteurs à la concurrence, en accompagnant l’ouverture par une régulation sectorielle. Elles consistent aussi à s’assurer, lorsque le marché est ouvert, que les entreprises ne limitent pas artificiellement la concurrence au moyen de pratiques anticoncurrentielles.

a/ Le contrôle ex post des comportements : l’antitrust

L’activité antitrust consiste à lutter contre les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante. Pour ce qui est des ententes, elles sont prohibées lorsqu’elles ont pour seul objet de restreindre la concurrence. En particulier, des pratiques telles que des cartels sont considérées comme illicites et sont sévèrement sanctionnées.

Le deuxième volet de l’antitrust concerne l’abus de position dominante. La lutte contre ces pratiques suppose la possibilité de les détecter, ce qui s’avère particulièrement difficile en pratique. Ainsi, nombre de pays mettent en œuvre des mesures de « clémence » : abaissement des sanctions si un des membres du cartel se dénonce et dénonce les autres entreprises.

La détection suppose aussi la preuve que le trust est présent dans le seul objectif de réduire la concurrence et monter les prix. Une fois détectée, l’infraction doit être sanctionnée, principalement au moyen de sanctions pécuniaires. Sanctions qui ont fortement augmenté en Europe depuis les années 2000, reflétant une sévérité accrue des autorités de la concurrence.

b/ Le contrôle ex ante des structures : le contrôle des concentrations

À la différence de l’activité antitrust, le contrôle des concentrations intervient avant que le processus ne se fasse. Cette méthode rend a priori l’évaluation des effets d’un rapprochement difficile, puisqu’il s’agit d’anticiper les conséquences probables d’une opération qui n’a pas encore eu lieu.

Le risque est double pour les autorités de la concurrence. Elles peuvent soit interdire une fusion qui aurait été favorable à la concurrence en réalité, ou autoriser une fusion ultérieurement dommageable à la concurrence.

C’est la fin de cette fiche de lecture, j’espère que le livre t’aura aidé·e à balayer toutes les grandes idées de ce pilier du programme qu’est la concurrence !