Augustin Landier et David Thesmar sont deux économistes Français qui ont publié un certain nombre d’ouvrages que n’importe quel élève ayant l’option ESH devrait consulter. Ils s’attaquent, d’une manière incisive et accessible, à un certain nombre d’idées reçues qui sont souvent très (trop, selon eux) répandues en France. Dans leur livre Le Grand Méchant Marché (2007), c’était la méfiance envers les marchés financiers qu’ils remettaient en question. On s’intéressera aujourd’hui à l’un de leurs ouvrages plus concis et plus larges, 10 idées qui coulent la France, où ils entendent démentir les dix mythes économiques qui sont les plus dangereux pour notre économie.
Je considère ce livre très mobilisable aux concours. Pourquoi ? Car il s’attaque, de plusieurs manières différentes, à une doxa très répandue parmi les élèves moyens – celle d’un État bienveillant que l’on devrait laisser faire pour qu’il soigne l’économie de l’égoïsme putride des agents privés !
Le génie des auteurs, c’est aussi de rendre accessible et limpide une notion fondamentale en politique économique, trop peu mentionnée dans le programme d’ESH : les conflits d’intérêts ! Car les mythes économiques ne tombent pas du ciel : le plus souvent, ils sont propagés par des groupes qui y ont intérêt. Alors, la prochaine fois que tu traites un sujet, tu pourras y appliquer ce nouvel angle de réflexion : qui gagne à un recul de la concurrence ? À une BCE plus laxiste ? À une étendue des fonds souverains et du financement public des PME ?
Dernière louange à cet ouvrage : il souligne à plusieurs occasions l’idiosyncrasie de la politique économique Française, souvent archaïque quand on la compare aux politiques Allemandes, Nordiques ou Américaines.
Cet article reprend, de manière linéaire, les dix thèses discutées, en expliquant pourquoi, selon les auteurs, elles sont fausses.
1. Une France sans industrie ? “Ça va être Disneyland”…
Notre nation a fortement besoin de son secteur secondaire pour que l’économie se porte bien : en voilà, une déclaration à la fois commune et difficilement prouvable ! Les auteurs soulignent notamment que, dans l’OCDE, les pays « industriels » ont un PIB par tête en moyenne 3 000 dollars en dessous de celui des pays « à services » ; et qu’aucune étude n’a su établir un lien entre désindustrialisation et faiblesse de la croissance. Cela serait même l’inverse.
En effet, la majorité de notre croissance — précisément, 98 % — vient du domaine des services ! En réalité, l’industrialisation de l’économie est une phase précise du développement — qui a donc un début et une fin ! C’est car, dans sa phase de développement, l’économie a fortement besoin de biens industriels – elle fait des routes, des maisons, des bureaux, etc. Puis, dans ce que les auteurs appellent la « phase II », l’économie se concentre sur les services et n’a plus besoin d’autant de biens industriels. Et ce secteur tertiaire prépondérant est un secteur fortement compétitif, concentre 80% des investissements et 60% des emplois en recherche et développement.
Pire encore, l’obsession pro-industrie qui hante le débat politique Français serait, pour nos deux chercheurs, le résultat non pas d’un bon sens stratégique, mais d’un lobbying de la part de ce secteur. En effet, puisque « sauver l’industrie » est toujours vu comme une idée positive, le secteur a profité d’une quantité exorbitante d’exonérations d’impôts (CICE, Crédit impôt-recherche) et de subventions (pôles de compétitivité). Tout cela correspond à l’argent du contribuable, qu’on lui arrache pour l’investir dans des secteurs qui peinent à embaucher et à innover !
2. Pour sauver l’emploi, il faut sauver l’industrie
Une autre idée reçue pro-industrie qui siphonne l’argent du contribuable : il faudrait subventionner l’industrie pour réduire le chômage. Pour montrer l’absurdité de cet énoncé, il suffit de prouver deux choses : d’une part, l’idée d’un « effet d’entraînement » (une industrie permettrait aux autres secteurs de prospérer) est fausse ; d’autre part, si notre industrie veut subsister, c’est bien avec moins -pas plus- d’emplois qu’elle le fera !
Déjà, l’effet d’entraînement est un mensonge : les régions les plus désindustrialisées en France sont celles qui ont connu la meilleure croissance. Et, notre industrie ne peut plus se permettre d’embaucher des salariés non compétitifs – puisqu’elle compte déjà trop sur une valeur travail, ce qui la rend archaïque face à ses concurrents étrangers. Un seul chiffre pour le prouver : en 2011, pour 10 000 employés, notre industrie comptait 120 robots – contre 350 au Japon et 260 en Allemagne !
Tout cela permet de comprendre pourquoi les emplois créés aujourd’hui le sont presque entièrement grâce au secteur des services. C’est le cas depuis longtemps – et les auteurs affirment cela pour les quatre millions d’emplois créés depuis 1980.
3. Un ingénieur, un vrai, ça travaille dans une usine
On s’attaque ici à un phénomène étrangement spécifique à l’économie Française. Nous avons de moins en moins de chercheurs scientifiques, de plus en plus d’exils d’ingénieurs et de chercheurs, nos scientifiques sont mal payés et nos étudiants ne trouvent plus le courage de poursuivre ces filières.
Tout cela est lié à une croyance, spécialement française : les ingénieurs et les scientifiques devraient faire leur travail, pas pour un salaire à la hauteur de leurs compétences, mais par passion pour la connaissance. Ceux qui osent aller dans le domaine des services (pire encore, de la finance !) ne sont pas de vrais scientifiques, et bon vent s’ils vont travailler pour une entreprise étrangère !
Toutes ces croyances, et les salaires trop faibles accordés aux scientifiques dans notre économie a causé, et continuera de causer, une économie moins compétitive, et moins innovante que les autres. Cette aversion envers la technologie semble même culturelle : 82 % des Américains pensent que le progrès technique est une bonne chose, contre 44 % des français !
On retiendra une phrase lourde de sens prononcée par les auteurs : « Dans l’économie de la connaissance, la créativité scientifique se paie cher ».
4. Il nous faut un État stratège !
Voilà un mythe relativement récent : nos champions industriels, les grandes entreprises qui ont construit la France, auraient toutes été créées par un État stratège. C’est là un discours hérité de l’euphorie des Trente Glorieuses, mais bien loin de la réalité.
Au-delà des nombreux échecs de la création par l’État de champions industriels – on peut se souvenir de l’échec de l’ordinateur Bull – cette rhétorique est dangereuse car elle soutient la dépense sans fin dans une politique industrielle peu efficace. Bien évidemment, ce « saupoudrage opaque », comme le qualifient les auteurs, n’est pas exempt de copinage et de conflits d’intérêts ! Bref, l’une des idées qui coulent la France est cette propension tenace à dépenser l’argent du contribuable dans des programmes de « redressement productif » dont on ne voit pas la fin.
Alors, comment dépasser ces subventions aveugles pour dresser une politique industrielle cohérente au XXIe siècle ? Les auteurs nous fournissent une fiche de route : il faut s’en tenir aux enseignements des sciences économiques, et n’intervenir que quand (i) il y a un cas d’externalités, donc un effet que le marché ne prend pas en compte, comme pour le domaine de la rechercher et quand (ii) on est dans une situation de monopole naturel, pour que l’entreprise détenant le monopole ne se comporte pas de manière prédatrice.
Ainsi, au lieu d’agir de manière « positive », c’est-à-dire d’établir quantité infinie de plans industriels qui semblent tenir la route, on se contenterait d’agir de manière « négative », c’est-à-dire quand les critères du bon fonctionnement du marché ne sont pas remplis.
Enfin, la deuxième direction de cette feuille de route serait des conditions moins hostiles pour ceux qui veulent faire des affaires en France – donc une fiscalité plus avantageuse et l’arrêt des nationalisations arbitraires.
La suite de l’ouvrage sera traitée dans la seconde partie de cet article !