Cette fiche de lecture t’offre une analyse approfondie des mécanismes de l’innovation et de ses impacts sociaux et économiques. Loin d’être un processus réservé à quelques génies isolés ou à des entreprises leaders, l’innovation est présentée comme un phénomène collectif, diffus et itératif. Ce livre, riche en chiffres et en exemples, invite à repenser l’innovation à l’aune des priorités sociales, environnementales et éducatives.
Innover sur le temps long : une transformation progressive et collective
Les trois types d’innovations et leur impact sur la société
Xavier Jaravel distingue trois types d’innovations : technologiques, organisationnelles et de produits. L’histoire en offre des exemples marquants, comme l’électricité, le fordisme ou le smartphone, qui ont bouleversé les sociétés sur plusieurs décennies.
Toutefois, ces révolutions ne surgissent pas spontanément ni à intervalles réguliers. Loin d’être de simples ruptures soudaines, elles s’inscrivent dans des dynamiques de diffusion et de maturation qui s’étendent souvent sur plusieurs décennies. En moyenne, il faut près de 30 ans pour qu’une innovation déploie pleinement ses effets, comme l’illustrent les progrès continus des infrastructures énergétiques ou des réseaux numériques.
Cette temporalité particulière montre que l’innovation n’est ni instantanée ni linéaire, mais le fruit d’un travail collectif et graduel. Les producteurs conçoivent les solutions, les consommateurs adaptent leurs comportements et les régulateurs définissent des cadres permettant leur déploiement sécurisé. Par essais et erreurs, ces différents acteurs collaborent pour intégrer les innovations dans le quotidien, créant un processus itératif où chaque ajustement nourrit la progression générale.
Du ruissellement au rhizome : un nouveau modèle pour comprendre l’innovation
Si les innovations numériques proviennent souvent d’un nombre limité de secteurs spécialisés, elles possèdent un potentiel d’adoption universel. En effet, elles peuvent être adaptées et appliquées dans des domaines très variés, montrant que l’innovation n’est pas l’apanage d’une élite, mais l’affaire de tous.
Cependant, il serait réducteur de considérer l’innovation comme un simple phénomène de ruissellement descendant, où une idée brillante se diffuserait linéairement du sommet vers la base. En réalité, l’innovation est un processus distribué et horizontal, que l’on peut comparer à une structure rhizomique. À l’image des tiges souterraines des plantes, le modèle du rhizome illustre une dynamique évoluant simultanément dans plusieurs directions, sans hiérarchie ni centralisation.
Chaque acteur, qu’il s’agisse d’un producteur, d’un consommateur ou d’un régulateur, joue un rôle clé dans cette structure. Les avancées spectaculaires ne doivent pas masquer la contribution essentielle des innovations incrémentales, comme un nouveau produit alimentaire ou un service amélioré, qui s’accumulent pour générer d’importants gains collectifs en productivité et en pouvoir d’achat. Comme le souligne l’adage : « L’arbre de l’innovation spectaculaire ne doit pas cacher la forêt des produits innovants. »
Construire un consensus autour de l’innovation : une nécessité pour la diffusion
Pour que ces innovations puissent essaimer et produire leurs effets à grande échelle, elles nécessitent un large consensus social. Faute de quoi, des résistances surgissent, comme celles observées dans les mouvements de rejet des énergies renouvelables (NIMBYisme) ou des vaccins, souvent alimentées par des thèses complotistes.
Ainsi, l’innovation ne peut réussir sans une coopération étroite entre tous les acteurs. Producteurs, régulateurs, citoyens : chacun doit contribuer à créer un environnement favorable où les idées nouvelles peuvent se déployer. C’est dans cette approche collective, progressive et décentralisée que réside le véritable potentiel de l’innovation.
L’innovation et les inégalités : une dynamique ambivalente
Hauts patrimoines et hauts revenus : le rôle de l’innovation dans la concentration des richesses
L’innovation tend à exacerber les inégalités économiques à court terme, notamment par le phénomène du « winner takes all ». Les grandes fortunes contemporaines sont souvent issues d’innovations marquantes : 70 % des revenus du top 1 % proviennent de l’entrepreneuriat. Les effets de réseau amplifient ce phénomène, comme en témoigne la domination des géants de la tech.
Cependant, l’analyse mérite d’être nuancée. Si l’innovation favorise parfois la concentration des richesses, elle est aussi un vecteur de mobilité sociale. Les nouveaux acteurs peuvent remettre en cause les positions dominantes des leaders de marché. L’exemple de la fortune des cofondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page, illustre bien cette instabilité : leur patrimoine est passé de 110 milliards de dollars à 75 milliards après l’arrivée de ChatGPT, une innovation majeure dans le domaine de l’intelligence artificielle.
Cette mobilité se manifeste également à travers l’évolution du classement Forbes : moins de 10 % des individus figurant parmi les plus grandes fortunes en 1983 s’y retrouvent encore en 2023, signe d’une forte variabilité et d’une diminution du rôle de l’héritage dans la constitution des grandes richesses. En conséquence, si les innovations accentuent les inégalités à court terme, elles tendent à les réduire sur le long terme en favorisant une redistribution dynamique des positions de pouvoir économique.
Pour qui innovons-nous ?
Les innovations ciblent souvent les besoins des plus riches, limitant les bénéfices pour les classes populaires. Jaravel donne l’exemple des produits bio ou des services comme UberCopter, qui répondent à des marchés en croissance chez les plus aisés.
Cependant, le ruissellement de ces innovations vers les classes moyennes et populaires reste rare. Aux États-Unis, depuis les années 1970, la résurgence des inégalités et la stagnation du pouvoir d’achat des ménages modestes ont conduit à des gains de productivité plus élevés pour les produits destinés aux ménages aisés. Cela a contribué à une augmentation des inégalités de niveau de vie. Entre 2004 et 2018, l’ajustement des divergences d’inflation entre les ménages montre que le niveau de vie des 20 % les moins riches a diminué de 7 %, tandis que celui des 20 % les plus riches a augmenté de 17 %.
Les leviers pour démocratiser l’innovation
L’éducation, clé de la diffusion des innovations
L’éducation est un levier essentiel pour stimuler l’innovation et la productivité d’un pays. Dans les PMA et les PED, le manque d’accès à une formation de qualité freine l’émergence de talents, surnommés « génies invisibles » par P. Gaule et R. Agarwal, et favorise la fuite des cerveaux. Pourtant, l’éducation ne concerne pas seulement les experts, mais également la capacité de toute la population à adopter les nouvelles technologies.
Les écarts de capital humain expliquent 50 % des différences de PIB par habitant. En France, il a contribué à 75 % des gains de productivité entre 1975 et 2020. Aux États-Unis, l’adoption rapide de l’ordinateur entre 1980 et 2000 a été observée dans les secteurs où la main-d’œuvre était la plus qualifiée, soulignant l’importance d’un niveau général d’éducation élevé pour maximiser les bénéfices des innovations.
En outre, l’éducation permet de limiter les effets pervers des technologies (comme l’addiction aux réseaux sociaux) en encourageant une utilisation réfléchie. Cependant, les résultats de politiques éducatives ne se mesurant qu’à long terme, la « tragédie des horizons » constitue un défi pour les décideurs, freinant les investissements nécessaires.
Combattre les discriminations pour stimuler l’innovation
Les inégalités de genre, de milieu social et de territoire freinent considérablement l’innovation. En France, seuls 10 % des brevets sont déposés par des femmes, et les enfants des classes populaires sont largement sous-représentés dans les carrières d’innovation. Si les femmes et les classes populaires s’engageaient dans ces carrières au même rythme que les hommes favorisés, la France compterait trois fois plus d’innovateurs.
Ces disparités sont également géographiques : aux États-Unis, un enfant de Boston ou de San Francisco a quatre fois plus de chances de devenir innovateur qu’un enfant de Fresno, pourtant à seulement trois heures de route.
Réduire ces discriminations pourrait entraîner des gains économiques majeurs. En France, atteindre la parité hommes-femmes dans l’innovation ferait passer le taux de croissance annuel de la productivité de 1 % à 1,8 %, soit un gain de 22 milliards d’euros de PIB par an et 10 milliards de recettes fiscales. À long terme, sur dix ans, le PIB augmenterait de 18 %, générant 305 milliards d’euros de recettes publiques supplémentaires, un montant équivalent aux dépenses actuelles pour les retraites.
L’élimination des barrières sociales aurait un impact similaire, réduisant les inégalités économiques et orientant l’innovation vers des produits répondant aux besoins des classes populaires et des femmes. Aux États-Unis, la baisse des discriminations envers les femmes et les minorités a contribué à 30 % de la croissance économique des 50 dernières années. En France, leur coût est estimé à 14 % du PIB, selon France Stratégie.
Déverrouiller l’innovation en Europe
Renforcer l’accès au marché
L’Union européenne, avec un marché aussi vaste que ceux des États-Unis ou de la Chine, demeure freinée par des rigidités structurelles qui entravent son potentiel d’innovation. La complexité réglementaire et juridique profite principalement aux grandes entreprises établies, formant des barrières à l’entrée pour les jeunes entreprises et les start-up.
Xavier Jaravel propose de contourner ces obstacles en introduisant un « code jeunes entreprises ». Ce code simplifierait les règles du travail, du commerce et de la fiscalité pour les entreprises de moins de huit ans, et serait harmonisé à l’échelle européenne. Cette initiative permettrait d’élargir le marché accessible aux start-up, facilitant leur développement tout en préservant les droits des salariés.
La délibération citoyenne et l’évaluation des politiques d’innovation
Pour que l’innovation soit durable et bénéfique pour l’ensemble de la société, il est crucial d’adopter un « tournant délibératif », en impliquant davantage les citoyens dans les décisions relatives à la technologie et à son financement. Le processus d’innovation ne doit pas se limiter à une élite technocratique, mais doit inclure les préoccupations de l’ensemble de la population. Les « conférences de citoyens » en France, comme celle organisée en 1997 sur les cultures transgéniques, ont montré l’importance de cette approche. En impliquant les citoyens dans la réflexion sur l’avenir technologique, les choix deviennent plus inclusifs et mieux adaptés aux attentes sociales.
De plus, la question de l’allocation des fonds publics en faveur de l’innovation nécessite une évaluation systématique. Aujourd’hui, les dispositifs de soutien à l’innovation, comme ceux du Plan France 2030, représentent une part significative des ressources publiques, mais leur efficacité reste souvent mal mesurée. Les citoyens doivent également être impliqués dans la réallocation des fonds, en prenant part à des processus décisionnels transparents. Cela garantirait que l’innovation bénéficie aux secteurs les plus prometteurs et à ceux qui répondent aux besoins sociaux.
Conclusion : l’innovation au service de tous
Xavier Jaravel propose une vision ambitieuse et inclusive de l’innovation. Pour lui, il ne suffit pas de soutenir les technologies émergentes ou de réduire les inégalités ponctuelles : il faut repenser en profondeur les structures éducatives, économiques et politiques pour démocratiser l’accès à l’innovation. Ce projet, bien que complexe, pourrait transformer durablement les sociétés en rendant l’innovation accessible à tous et bénéfique pour le plus grand nombre.
Pour mettre en pratique ces connaissances et pouvoir le réutiliser le jour du concours, je te propose deux sujets dans lesquels je te montre comment utiliser ce livre.
Sujet 1 : « L’innovation est-elle nécessairement synonyme de progrès ? »
Axes de réflexion
1. La contribution de l’innovation au progrès économique (augmentation de la productivité, création de nouveaux marchés).
- Les trois types d’innovations identifiés par Xavier Jaravel (technologiques, organisationnelles, de produits) ont transformé les sociétés sur le long terme (ex. : électricité, fordisme, smartphone).
- Ces innovations peuvent générer des gains collectifs en productivité et en pouvoir d’achat grâce à une accumulation d’innovations incrémentales.
2. Les limites de l’innovation comme facteur de progrès universel (renforcement des inégalités, concentration des richesses).
- Les innovations guidées par les envies des plus riches (UberCopter) augmentent les inégalités au lieu de démocratiser les bénéfices de l’innovation.
3. L’innovation comme processus collectif nécessitant consensus et coordination.
- La métaphore du « rhizome » montre que l’innovation est un processus distribué, horizontal, où chaque acteur joue un rôle dans son adoption et sa diffusion.
Plan possible
- I. Les innovations, moteurs historiques et contemporains du progrès économique.
- II. Les dérives des innovations modernes : inégalités et fragmentations sociales.
- III. L’innovation au XXIe siècle : vers un progrès inclusif et durable ?
Sujet 2 : « La lutte contre les inégalités est-elle compatible avec une dynamique d’innovation ? »
Axes de réflexion
1. Les inégalités peuvent freiner l’innovation.
- Les discriminations de genre, de classe sociale et de territoire réduisent considérablement le nombre d’innovateurs potentiels (seulement 10 % des brevets déposés par des femmes en France).
- La sous-représentation des classes populaires et des minorités freine le développement d’innovations pertinentes pour l’ensemble de la société.
2. Les risques d’une innovation inégalitaire.
- Certaines innovations ciblent les besoins des plus riches (UberCopter, produits bio), creusant les inégalités de niveau de vie entre riches et modestes (+ 17 % vs – 7 % entre 2004 et 2018 aux États-Unis).
- Les effets du « winner takes all » accentuent la concentration des richesses dans les mains d’un petit nombre.
3. Des réformes possibles pour concilier innovation et justice sociale.
- Éliminer les discriminations de genre ou de classe multiplierait le nombre d’innovateurs, augmentant la productivité et le PIB (en France, cela pourrait générer 22 milliards d’euros par an).
- Une innovation inclusive peut aussi répondre aux besoins des classes populaires, améliorant ainsi la justice sociale et le pouvoir d’achat global.
Plan possible
- I. Une innovation historiquement génératrice d’inégalités.
- II. Les limites d’une innovation inégalitaire sur le long terme.
- III. Vers une dynamique d’innovation inclusive comme levier contre les inégalités