Marx

Au fil des siècles, l’histoire a été le témoin de nombreuses idées et théories qui ont façonné les sociétés et les mouvements de pensée. Parmi ces influences intellectuelles, la pensée de Karl Marx émerge comme un phare dans le panorama des idées politiques et économiques. À l’ère de l’industrialisation, de la lutte des classes et des changements sociaux majeurs, Marx a élaboré des théories novatrices qui ont profondément influencé les discours sur la politique, l’économie et la société.

Maîtriser ses concepts et ses analyses revêt une importance cruciale, en particulier pour les nombreux sujets d’oraux qui peuvent tomber. Que retenir du marxisme ? Ricardo et Marx, doit-on toujours les opposer ? Marx est-il le dernier des classiques ? (ESCP)

Introduction : le cadre analytique

Le cadre analytique fondamental de Marx est le matérialisme historique, qui consiste à comprendre une société en analysant sa base matérielle, également appelée structure économique ou infrastructure. Le mode de production capitaliste se caractérise par la combinaison de deux éléments essentiels : les forces productives et les rapports de production.

Forces productives

Ce sont tous les moyens dont une société dispose à un moment donné pour produire les biens et services nécessaires. Cela englobe non seulement les facteurs de production tels que la main-d’œuvre, les moyens de production (machines, etc.), mais aussi les méthodes de production employées.

Rapports de production

Ces rapports déterminent comment les individus interagissent lors de la production. Dans le mode de production antique, c’était l’esclavage, tandis que dans le mode de production féodal, c’était le servage. Dans le mode de production capitaliste, le rapport dominant est le salariat, où les travailleurs vendent leur force de travail en échange d’un salaire.

Mode de production

Il résulte de la combinaison des forces productives dominantes et des rapports de production dominants au sein d’une société. Il est important de noter que différentes forces productives et différents rapports de production peuvent coexister dans une société à un moment donné. Par exemple, la grande industrie peut coexister avec l’artisanat.

La structure économique (ou infrastructure) détermine ensuite une superstructure, qui comprend les idées, les valeurs, les institutions politiques, juridiques et philosophiques qui reflètent ce mode de production. Cette superstructure influence la manière dont la société pense et fonctionne, contribuant ainsi à maintenir le mode de production en place.

Chaque mode de production est transitoire et connaît un cycle de développement, de contradictions internes et finalement de déclin. Le capitalisme, par exemple, a vu l’augmentation de la taille des entreprises et une prolétarisation croissante, mais ces éléments entraînent également des contradictions internes qui finiront par mettre en péril ce mode de production. Les forces productives en développement contribuent souvent à l’émergence d’un nouveau mode de production qui remplace l’ancien.

Dans son analyse du capitalisme, Marx met en lumière les contradictions inhérentes à ce système qui, inévitablement, conduiront à son effondrement.

Le dernier des classiques

Karl Marx s’inscrit dans la lignée des classiques en termes de développement théorique, ce qui constitue la base de ses travaux. Il justifie la loi de la valeur dans ses écrits tels que Contribution à la critique de l’économie politique (1859) et Le Capital livre I (1867). Profondément critique envers la société capitaliste, Marx considère que l’abolition de la propriété privée des moyens de production est la condition nécessaire pour mettre fin au travail aliéné.

Valeur d’échange et valeur d’usage

Dans la lignée des classiques, concernant la théorie de la valeur-travail, selon Marx, l’économie moderne repose sur l’échange de marchandises, et celles-ci possèdent une valeur d’usage (leur utilité pour ceux qui les achètent) ainsi qu’une valeur d’échange, qui ne coïncide pas toujours avec leur utilité réelle. Par exemple, l’eau et l’or ont des valeurs d’échange très différentes malgré leur utilité respective.

Toutefois, il enrichit cette notion en identifiant trois aspects de la valeur d’usage : l’aspect matériel (la forme physique de la marchandise et son but), l’aspect social (la valeur d’usage est subjective pour l’acheteur, dépendant de ses besoins) et l’aspect de condition nécessaire à l’existence de la valeur d’échange. Ainsi, un bien doit avoir une utilité pour l’acheteur pour être échangé. Cette perspective diffère de celle des classiques, car elle met l’accent sur le caractère subjectif de la valeur d’usage.

Comme l’économiste David Ricardo, Marx conclut que la valeur d’échange est déterminée par la quantité de travail investie dans la production d’une marchandise. Cependant, Marx va plus loin en montrant qu’il faut également tenir compte du travail nécessaire à la fabrication des matériaux et des outils de production pour évaluer la valeur du produit fini. Le travail créateur de la valeur d’échange est un travail abstrait, qui correspond au travail socialement nécessaire dans la société concernée. Marx utilise le « travail simple » comme unité de mesure pour évaluer la valeur du « travail complexe » (c’est-à-dire le travail qui nécessite des compétences spécifiques et des connaissances avancées).

Travail vivant et travail mort

Concernant le travail, Marx reprend la distinction entre travail direct et travail indirect établie par Ricardo, mais utilise les termes « travail vivant » et « travail mort ». Le travail vivant représente le travail réellement accompli par les ouvriers dans le processus de production, tandis que le travail mort se réfère au travail cristallisé dans les matières premières, les machines et autres moyens de production.

La valeur d’échange d’une marchandise dépend de la quantité de travail abstrait, c’est-à-dire de travail socialement nécessaire, incorporé dans sa production. Cette conception abstraite du travail permet de mesurer la valeur relative des différentes marchandises, indépendamment de leurs caractéristiques concrètes.

Mais il s’écarte des classiques à de nombreux égards

Théorie de la répartition

La principale différence entre Marx et les classiques réside dans sa théorie de la répartition. Pour les classiques, la répartition des richesses relève du droit naturel. En revanche, pour Marx, le profit tiré du travail est la plus-value. Cette plus-value n’est pas le résultat d’un vol, comme l’affirment les socialistes utopistes tels que Proudhon, mais plutôt le résultat de l’achat de la force de travail des ouvriers par les capitalistes.

Selon Marx, le contrat de travail est une norme sociale qui permet l’exploitation de la force de travail en la rémunérant en dessous de sa valeur réelle. La plus-value représente la quantité de travail fournie par les travailleurs qui n’est pas rémunérée, ce qui est une mesure de l’exploitation du travail. Cette situation résulte d’une loi historique des sociétés, qui favorise la domination d’un groupe sur un autre.

Plus précisément, Marx explique que les capitalistes achètent des marchandises, des moyens de production et de la force de travail des travailleurs pour créer un bien final (M’) qui sera vendu à un prix supérieur au coût initial. C’est ce qu’il appelle le cycle de métamorphose du capital. La plus-value résulte de l’exploitation de la force de travail des ouvriers, dont la force de travail est vendue aux capitalistes sous forme de salaire. Ce dernier rémunère la valeur de la force de travail, c’est-à-dire la quantité de travail socialement nécessaire pour produire les biens en question.

La plus-value est la différence entre la valeur créée par la force de travail (le produit final) et la valeur de la force de travail elle-même (le salaire). Marx identifie deux mécanismes permettant aux capitalistes d’augmenter leur profit : la plus-value absolue, qui implique d’accroître la durée ou le rythme de travail, et la plus-value relative, qui résulte du progrès technique.

Une conception des lois économiques fondamentalement différente

Une des principales différences entre Marx et les économistes classiques réside dans sa conception des lois économiques. Alors que les classiques considéraient que ces lois étaient naturelles et applicables universellement, Marx les appréhende comme historiques, c’est-à-dire propres au mode de production capitaliste spécifique. Il souligne ainsi que les lois économiques évoluent en fonction des rapports de production propres à chaque époque et société.

Marx identifie une tendance naturelle du capitalisme à accumuler du capital en échangeant la force de travail contre des biens de production et en utilisant le progrès technique. Cependant, cette tendance nuit au taux de profit, ce qui conduit à la loi de baisse tendancielle du taux de profit. Cette loi est à l’origine des crises économiques du capitalisme, résultant de la suraccumulation de capital ou de la surproduction de marchandises.

Ces crises sont inéluctables et, bien qu’elles ne conduisent pas nécessairement à l’effondrement du capitalisme, elles mettent en évidence les contradictions inhérentes à ce système. Ces crises peuvent être temporairement surmontées par des mécanismes de rétablissement du taux de profit, mais elles créent également une « armée de réserve industrielle » de travailleurs excédentaires. Ce qui renforce la précarité de l’emploi et les tensions sociales.

L’après Marx

Vers les années 1860, la production industrielle a connu une croissance rapide, confirmant certaines prédictions de Marx concernant l’émergence du prolétariat en tant que classe ouvrière importante dans l’organisation des sociétés. Cela a marqué l’âge d’or du mouvement ouvrier et du marxisme, car les idéologies concurrentes telles que le proudhonisme ont décliné. À cette époque, de grands théoriciens marxistes ont développé leurs travaux, tels que Kautsky, Bernstein, Mehring, Rosa Luxemburg en Allemagne, Hilferding, Max et Friedrich Adler en Autriche, Georges Sorel en France et Antonio Labriola en Italie. Ces marxistes ont étendu la pensée marxiste à tous les domaines de la vie sociale et économique, imposant leur domination dans de nombreux champs d’analyse.

Toutefois, des contradictions sont apparues dans la pensée ouvrière. Notamment avec l’émergence de la sociale démocratie, qui a réussi à s’imposer face aux marxistes, grâce à des politiques telles que celles de Bismarck en Allemagne, qui ont mis en place des lois sociales à la fin du XIXe siècle. Cette concurrence dans la représentation de la classe ouvrière et les discours politiques a créé des tensions entre les deux mouvements. Les marxistes qualifiant la sociale démocratie de « social chauvinisme ».

Une nouvelle interprétation du capitalisme marxiste a émergé avec l’analyse de l’impérialisme

Lénine et Rosa Luxemburg ont souligné l’apparition d’un capitalisme monopoliste au début du XXe siècle, caractérisé par l’alliance entre l’industrie et la finance pour former une « oligarchie financière » dominant le monde par l’exportation des capitaux. Cette période a également vu l’essor du colonialisme et des investissements dans les pays émergents. Ces analyses de l’impérialisme ont été influencées par l’ouvrage d’Hilferding, Le Capital financier (1910), qui a évoqué la possibilité d’un « ultra-impérialisme » caractérisé par des ententes entre grandes entreprises, conduisant à une planification capitaliste internationale.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle présentation de l’analyse marxiste a émergé, qualifiant la période des Trente Glorieuses de « capitalisme monopoliste d’État ». Cette thèse, qui prévalait dans l’après-guerre, considérait que l’État fixait les règles du jeu économique en faveur des monopoles industriels et financiers. Des courants tels que le régulationnisme, influencés par Keynes et Schumpeter, ont également intégré des éléments marxistes dans leur analyse de la domination structurelle.

Cependant, la chute des économies de l’Est et l’émergence de la Chine ont contribué à un recul général des thèses marxistes

Néanmoins, on peut toujours trouver une actualité des théories marxistes, notamment dans des ouvrages anglo-saxons qui analysent les liens entre mondialisation et impérialisme. Certains auteurs mettent en avant le rôle de la force militaire américaine dans la domination impériale, tandis que d’autres soulignent l’importance de l’État dans le cadre de la mondialisation.

De nouveaux mouvements, tels que l’altermondialisme, ont également émergé, reprenant en partie des éléments du discours internationaliste marxiste sur la mondialisation et les rapports internationaux.

Conclusion

L’héritage de Marx a donné lieu à des évolutions et à des interprétations variées du marxisme au fil du temps. Bien que certaines de ses prédictions aient été remises en question par les évolutions du capitalisme et des sociétés, l’analyse marxiste continue de susciter des débats et des réflexions dans la sphère scientifique et sociologique. Son influence a également été perceptible dans certains mouvements sociaux et politiques contemporains, même si elle est souvent mélangée à d’autres courants de pensée.