monétarisme

Le terme « monétarisme » est apparu dans les années 1930 et est souvent associé à l’école de Chicago. Cette école, qui s’est développée à partir de cette période, cherchait à préserver la tradition néoclassique, en réponse à l’essor de l’analyse keynésienne. Pendant longtemps, on a parlé d’orthodoxie monétariste, qui visait à défendre les postulats et les hypothèses de l’école néoclassique. L’école de Chicago a connu un succès particulier dans les années 1950 et 1960, culminant avec le triomphe du monétarisme lors de l’arrivée de Paul Volcker à la tête de la FED, où il était conseillé par Milton Friedman. Depuis les années 1960, divers courants ont émergé, contribuant à la révolution libérale incarnée par les nouveaux économistes. Leur objectif principal était de démontrer l’inefficacité des politiques publiques.

Quels sont les principes de l’analyse monétariste ?

Trois principes fondamentaux guident cette pensée :

  • Les comportements économiques sont déterminés par le jeu des prix et seule la théorie des prix peut expliquer ces comportements.
  • Le marché concurrentiel est la forme d’organisation économique la plus efficace.
  • L’État doit s’abstenir de toute intervention dans l’allocation des ressources.

La pensée monétariste s’est construite sur ces principes avec trois axes directeurs, selon Karl Brunner (l’inventeur du terme « monétariste ») :

  • Pour les monétaristes, ce sont les impulsions monétaires qui déterminent l’évolution de la production, de l’emploi et des prix.
  • L’évolution de la masse monétaire est le meilleur indicateur pour mesurer ces impulsions monétaires.
  • Les autorités monétaires ont la capacité de contrôler l’évolution de la masse monétaire au cours des cycles économiques.

Friedman, le « pape du monétarisme »

La supériorité du marché

Les monétaristes ont élaboré un schéma de régulation économique basé sur ces principes. Ce schéma a été principalement développé par Milton Friedman, souvent considéré comme le « pape du monétarisme ». Lauréat du prix Nobel d’économie en 1976 pour ses contributions à l’analyse de la consommation, à l’histoire et à la théorie monétaire, ainsi que pour sa démonstration de la complexité des politiques de stabilisation, Friedman a affirmé la supériorité des marchés sur toute autre organisation économique.

Il soutenait que les marchés prouvent leur efficacité dans le jeu de l’offre et de la demande, notamment grâce à la flexibilité des prix servant de signaux. Ces prix transmettent l’information essentielle permettant aux agents économiques d’adopter des comportements rationnels, évitant ainsi le gaspillage dans l’allocation des ressources.

Fidèle aux idées de l’école autrichienne ultralibérale, Friedman montrait que le contrôle des prix provoque des distorsions qui sont source d’inégalité et de gaspillage. Par exemple : la fixation des salaires empêche leur alignement sur la productivité marginale du travail, entraînant un gaspillage de la main-d’œuvre. Par ailleurs, la fixation des prix et des salaires est souvent à l’origine de l’inflation, contrairement à l’objectif affiché (les négociations entre partenaires sociaux aboutissent à des indexations des salaires sur les prix, favorisant l’inflation).

L’inflation

Friedman a démontré que l’inflation est un phénomène monétaire. « La cause immédiate de l’inflation est toujours et partout la même : un accroissement anormalement rapide de la quantité de monnaie par rapport au volume de la production. » (1969, Inflation et système monétaire). Il reprenait la théorie quantitative de la monnaie, formulée mathématiquement par Fisher sous la forme MV = PT. Si V (vitesse de circulation de la monnaie) et T (volume des transactions) sont stables à court terme, toute augmentation de la masse monétaire entraîne une hausse des prix.

Contrairement à Keynes, Friedman ne croyait pas que les agents économiques soient soumis à l’illusion monétaire. S’il y en a une, elle est de courte durée en raison des anticipations adaptatives. Friedman montrait que l’inflation peut avoir un effet à court terme sur la production et l’offre de travail, mais que les travailleurs se rendent vite compte de l’érosion de leur salaire réel, les conduisant à se retirer du marché du travail. Il existe un seuil en deçà duquel le chômage ne peut pas descendre, que Friedman appelle le « taux de chômage naturel », résultant naturellement de la régulation du marché sans intervention étatique.

Ainsi, il s’opposait à la courbe de Phillips. Le dilemme entre inflation et chômage n’existe qu’à court terme car, à long terme, la courbe est verticale. Il considérait que le « réglage fin » des politiques économiques est impossible à cause des anticipations et qu’il faut remettre en cause ces politiques.

La politique monétaire

Pour Friedman, la politique monétaire n’est pas neutre et pour retrouver cette neutralité, il faut que la masse monétaire croisse à un taux fixe, sans variation en fonction des cycles économiques. Une autre règle qu’il préconisait était l’équilibre des finances publiques, avec éventuellement une réduction des dépenses.

Sur le plan international, Friedman était favorable à un système de change flexible dès les années 1960, critiquant le système de Bretton Woods basé sur des parités semi-fixes. Il estimait que les systèmes de change fixe imposaient des contraintes monétaires fortes et limitaient les actions intérieures. Dans un système de change flexible, les problèmes de liquidité disparaissent, car les réserves de devises deviennent inutiles, tout le monde pouvant obtenir des liquidités sur le marché. Après 1971, à la suite de la décision de Nixon de détacher le dollar de l’or, Friedman a poussé à la mise en place de ce système de change flexible, favorisant la libéralisation des capitaux.

L’analyse des cycles

Friedman remettait en cause l’analyse des cycles et des crises préconisée par Keynes, contestant l’idée que la consommation soit sensible à court terme aux augmentations de revenu. Pour lui, la consommation dépend essentiellement du revenu permanent et est donc peu sensible aux variations à court terme.

Il soulignait le caractère monétaire des crises, notamment celle de 1929, qu’il attribuait à une contraction inadéquate de la masse monétaire par les autorités monétaires, amplifiant les effets récessionnistes et déflationnistes. Friedman rejetait les explications keynésiennes d’insuffisance de la demande globale ainsi que les explications financières basées sur l’endettement, imputant la crise à une politique monétaire inadéquate.

Les différentes formes de monétarisme

Il existe plusieurs variantes du monétarisme, chacune avec ses propres théories et implications économiques. Voici les principales.

Monétarisme standard

Milton Friedman est le principal défenseur de cette forme de monétarisme. Il est à l’origine des concepts d’anticipation adaptative, de revenu permanent, de consommation permanente et de chômage naturel.

Selon Friedman, la politique monétaire doit être stable et prévisible, et l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire.

Monétarisme métalliste

Jacques Rueff est le principal théoricien de cette école. Il pense que la seule façon de réduire l’inflation est de rétablir l’étalon or, ce qui garantirait un lien direct entre la finance et l’économie réelle.

Rueff soutient que l’étalon or impose une discipline monétaire rigoureuse.

Monétarisme budgétaire

Karl Brunner et Allan Meltzer sont les figures marquantes de ce courant. Ils partagent avec Keynes l’idée que le déficit budgétaire influence la production et les prix, mais en tirent des conclusions différentes.

Ils préconisent la limitation du déficit budgétaire et de la pression fiscale pour maintenir une croissance économique saine.

Monétarisme autrichien

Friedrich Hayek est associé à cette variante. Il se concentre sur les effets microéconomiques des distorsions causées par l’inflation.

Hayek soutient que l’inflation tend à maintenir des secteurs obsolètes et à pénaliser l’innovation et l’efficacité des marchés.

Monétarisme des anticipations rationnelles

Ce courant est défendu par John Muth, Robert Lucas, Thomas Sargent et Neil Wallace. Contrairement à Friedman, ils rejettent l’idée de revenu permanent et d’adaptation progressive. Ils croient en l’efficience immédiate des agents économiques, sans illusion monétaire, même à court terme.

Selon eux, les agents économiques perçoivent la réalité économique et y réagissent instantanément, rendant inefficaces les politiques économiques discrétionnaires.

Contexte historique et triomphe du monétarisme 

La crise des années 1970 a marqué un tournant décisif, mettant en évidence les limitations du keynésianisme. Durant cette période, le monétarisme a gagné en popularité pour plusieurs raisons :

  • Éclatement du système monétaire international (SMI) : la transition vers un système de change flexible a modifié la dynamique monétaire mondiale.
  • Libéralisation des marchés des capitaux : la globalisation financière a accru l’influence des idées monétaristes.
  • Montée en puissance de leaders politiques comme Margaret Thatcher et Ronald Reagan : leur adhésion aux principes monétaristes a conduit à des politiques économiques axées sur la réduction de l’inflation et la limitation de l’intervention étatique.

Ces événements ont fortement influencé la pensée économique de l’époque, contribuant à la prédominance des idées monétaristes dans les politiques publiques et économiques, souvent décrite comme la « pensée unique ».