Voici un article non exhaustif présentant les arguments majeurs pour répondre à un sujet liant finance et croissance. Il se concentre sur des données et des faits récents, à partir de la financiarisation de l’économie dans les années 1970/80. Afin d’établir un plan cohérent et complet, il est également possible de prendre un point de vue historique en mentionnant, par exemple, le rôle de la finance dans le développement économique du XIXe et XXe siècle, ainsi que sa responsabilité dans les crises récentes, du fait d’une absence de régulation.
Avant 2008, un certain consensus
Des travaux montrent le lien entre finance et croissance
De manière générale, jusqu’en 2008, les recherches ont démontré une relation étroite entre la finance et la croissance économique. Depuis les années 1990, les travaux pionniers de King et Levine (dans leur article « Finance and growth: Schumpeter might be right » de 1993) ont mis en évidence un lien solide entre le développement financier et la croissance économique. Les contributions de Levine, influentes dans le domaine, ont largement inspiré certains aspects du consensus de Washington. Ce consensus prône la libéralisation des secteurs financiers des PED car, à l’époque, toute segmentation du système financier était perçue comme un obstacle au développement et à l’efficacité allocative. L’objectif était d’encourager ces pays à ouvrir leurs marchés de capitaux.
Plus récemment, selon Yongseok Shin dans son article « Financial markets: An engine for economic growth », publié par la Federal Reserve of St. Louis en 2013, il est pertinent de se demander s’il existe un lien entre le développement financier et la productivité du travail, car une productivité du travail plus élevée entraîne généralement une croissance économique plus forte. Il observe que plus une économie utilise le système financier pour financer ses activités, plus son niveau de productivité est élevé. Ce qui conduit à une croissance accrue. En effet, plus de financement se traduit par plus de capital productif (comme des machines), ce qui augmente le capital par tête, la productivité, et donc la croissance économique. Les pays les moins avancés (PMA) souffrent de fortes contraintes de liquidités, ce qui entraîne une productivité faible.
Cependant, il est important de noter que cette corrélation entre le développement financier et la productivité ne signifie pas nécessairement une causalité. Il est possible que ce soit parce qu’un pays est très développé en matière de productivité et qu’il dispose de systèmes financiers très développés.
Des comparaisons entre secteurs
Dans leur étude de 1998 intitulée « Financial Dependence and Growth », Raghuram Rajan et Luigi Zingales démontrent une relation étroite entre la dépendance au financement externe et la croissance des entreprises ainsi que des secteurs d’activité. Aux États-Unis, certains secteurs aux faibles perspectives de croissance, comme ceux en déclin ou jugés nuisibles tels que le tabac, peinent à obtenir des investissements externes et doivent s’autofinancer.
Ces secteurs ont du mal à attirer des financements externes en raison des risques perçus ou des réticences éthiques des investisseurs. En revanche, les secteurs qui dépendent largement des financements externes, comme la pharmacie, affichent des taux de croissance plus élevés. Grâce à ces capitaux, ces secteurs peuvent innover davantage, renforçant ainsi leur croissance. Cependant, dans les pays en développement (PED), les secteurs très dépendants des financements externes connaissent une croissance plus faible en raison des contraintes de financement et de l’insuffisance des investissements.
Finance et théories de la croissance endogène
Des recherches menées par Aghion, Howitt et Mayer-Foulkes, synthétisées dans l’article « Croissance et finance » (Aghion, 2007), explorent la relation entre le développement financier et la proximité à la frontière technologique. Cette distance est mesurée par le ratio de productivité d’un pays par rapport à celle du pays leader technologiquement, les États-Unis pour la période étudiée.
Les pays de l’OCDE, proches de la frontière technologique définie par les États-Unis, bénéficient du développement de financements risqués, tels que le capital-risque, permettant de financer des activités innovantes. Cela crée un effet de convergence et permet à ces pays d’attirer du capital et de se rapprocher de la frontière technologique. Comme les pays scandinaves qui ont rapidement rattrapé les États-Unis.
En revanche, les pays éloignés de la frontière technologique, confrontés à des contraintes de financement, ne parviennent pas à mobiliser suffisamment de ressources pour investir dans l’innovation. Ce qui creuse l’écart avec les pays avancés. Cela entraîne un effet de divergence, où les pays les moins avancés s’éloignent encore plus de la frontière technologique. La mondialisation a permis à certains pays, comme l’Afrique du Sud et le Mexique, de dépasser ce seuil et de rattraper leur retard. Cependant, pour les PMA, les capitaux continuent de manquer, empêchant ces pays de profiter pleinement des avantages de la mondialisation.
Une remise en question
Pour la première fois depuis les années 1970, une crise financière frappe le cœur même du système financier mondial. Jusqu’à la crise financière de 2008, les crises financières étaient principalement confinées aux pays émergents, dont les systèmes financiers étaient fragiles et caractérisés par une forte spéculation, comme en témoignent la crise asiatique et la crise russe.
Cependant, la crise de 2008 a marqué une rupture en frappant directement le cœur du système financier américain. Démontrant ainsi la vulnérabilité même des économies les plus développées face aux turbulences financières.
Un effet de seuil
Joseph Stiglitz, dans son livre The Price of Inequality publié en 2012, examine les différents facteurs qui contribuent à l’augmentation des inégalités dans les pays de l’OCDE et les conséquences économiques de ces inégalités. Il met en avant l’existence d’un effet de seuil. Au-delà d’un certain point, le développement du secteur financier commence à produire des effets négatifs sur la croissance des autres secteurs. En d’autres termes, une fois ce seuil dépassé, les effets parasitaires du développement financier l’emportent et ralentissent la croissance économique.
En 2015, J.-L. Arcand a quantifié cet effet de seuil, estimant que lorsque le crédit au secteur privé dépasse 110 % du PIB, les effets négatifs du développement financier commencent à se manifester. Cela signifie qu’à partir de ce niveau de crédit, l’expansion du secteur financier peut devenir un frein plutôt qu’un moteur de la croissance économique.
Une étude menée par S. Cecchetti et E. Kharroubi en 2012, intitulée « Reassessing the impact of finance on growth », examine l’impact du développement financier sur la croissance économique dans 50 pays avancés et émergents sur la période 1980-2009. Cette recherche, conduite au sein de la Banque des règlements internationaux (BRI), se concentre sur l’analyse des crédits accordés au secteur privé en pourcentage du PIB et leur relation avec la croissance économique. Elle montre également qu’à partir d’un certain seuil, le développement financier limite, voire réduit la croissance économique.
Une allocation du capital inefficiente ?
Puisque les marchés sont censés être efficients, les perspectives de croissance à long terme devraient être plus importantes dans les pays en développement (PED), et donc le capital devrait naturellement s’y diriger. Cependant, ce phénomène est rarement observé, soulevant une interrogation posée par Robert Lucas dans son « paradoxe de Lucas » : Why doesn’t capital flow from rich to poor countries?, publié en 1990.
Depuis les années 1990 et 2000, on observe des flux croissants de capitaux, mais ceux-ci sont concentrés sur certains pays émergents. Les pays pauvres restent relativement exclus et les flux globaux sont principalement entre pays avancés. Par exemple, la Chine, le Brésil, la Thaïlande et le Mexique ont reçu environ 50 % des flux nets de capitaux privés entre 1990 et 1997. Tandis que 140 des 166 pays en développement ont reçu ensemble moins de 5 % du total des flux de capitaux.
Plusieurs explications peuvent être avancées pour cette situation
Les risques politiques et économiques jouent un rôle crucial, tout comme l’importance du niveau de qualification de la main-d’œuvre, des infrastructures et de la taille du marché intérieur. Ce paradoxe est également lié à la faible qualité des systèmes financiers des pays pauvres, qui découragent les flux d’investissement. Ces pays ont une faible capacité d’absorption des capitaux en raison de problèmes qualitatifs et non quantitatifs.
De même, en 2007, il a été observé que les pays en développement (PED) à forte croissance, tels que la Chine et l’Inde, recevaient des flux de capitaux entrants relativement plus faibles que les PED à croissance faible. Ces observations, mises en évidence par Prasad, Rajan et Subramanian, montrent que l’entrée de capitaux étrangers n’assure pas nécessairement une croissance économique. Par exemple, entre 1970 et 2004, les pays à croissance moyenne ont reçu environ deux fois plus de capitaux que ceux à forte croissance, mais ont enregistré un taux de croissance inférieur de 2,5 points.
Cette anomalie est connue sous le nom de « l’énigme de l’allocation », une notion explorée par Gourinchas et Jeanne en 2007. Selon eux, cette énigme reflète le paradoxe selon lequel les capitaux ne se dirigent pas nécessairement vers les pays à plus forte croissance, où ils seraient théoriquement les plus productifs. Au lieu de cela, les capitaux ont tendance à affluer vers les économies déjà développées, accentuant ainsi les déséquilibres globaux.
Une rente financière et une mauvaise allocation des talents ?
Dans son ouvrage de 1984, On the efficiency of the financial system, James Tobin avançait que les rendements sociaux du secteur financier étaient inférieurs à ses rendements privés. Il soulignait que le secteur financier présentait une rentabilité élevée pour les institutions financières, mais que cette rentabilité ne se traduisait pas par des effets externes positifs pour les autres secteurs de l’économie.
Cette analyse résonne toujours aujourd’hui, comme le souligne Joseph Stiglitz. Nous observons actuellement un phénomène de capture et de constitution de rentes dans le secteur financier. Il se traduit par le fait que les institutions financières accaparent l’essentiel des bénéfices du développement financier. En conséquence, elles sont incitées à soutenir des politiques qui vont à l’encontre de l’intérêt général, ce qui peut conduire à des dynamiques non soutenables à long terme, telles que le surendettement des ménages et l’aggravation des inégalités de revenu.
Les frais financiers importants contribuent à cette situation en permettant aux secteurs financiers d’être très rentables. Et ces bénéfices sont généralement distribués aux salariés du secteur financier ainsi qu’aux actionnaires. Cette concentration des bénéfices au sein du secteur financier peut donc se faire au détriment des autres secteurs de l’économie. Ce qui soulève des préoccupations quant à l’équité et à la durabilité à long terme de notre système financier.