À la suite de la Seconde Guerre mondiale, les puissances mondiales cherchent à reconstruire l’économie internationale et à éviter les erreurs du passé. En 1947, le GATT (General Agreements on Tariffs and Trade) est signé pour promouvoir le libre-échange en réduisant les barrières tarifaires et en régulant les échanges commerciaux. Le GATT vise à établir un cadre multilatéral stable pour favoriser la croissance économique et prévenir le protectionnisme, en servant de précurseur à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995.
L’émergence d’un nouvel ordre mondial
Nous pouvons distinguer trois principales raisons qui expliquent la naissance d’un nouvel ordre économique disruptif.
La puissance hégémonique des États-Unis
La puissance hégémonique des États-Unis et la contestation de cette hégémonie par l’URSS fondent un nouvel ordre économique international. Deux blocs étanches se forment (polarisation du monde) : le bloc communiste, avec les démocraties populaires, et le bloc capitaliste, avec les démocraties libérales. Les États-Unis, leaders du monde libre, se sentent investis d’une responsabilité : créer un ordre mondial permettant d’éviter les erreurs du passé et surtout la contamination communiste.
Un compromis keynésien
Il s’instaure dans les pays capitalistes pour concilier la libéralisation des échanges entre les nations et la mise en œuvre de politiques économiques et sociales nationales, autonomes, favorables au plein emploi : l’intervention de l’État devient légitime.
Le souci de l’indépendance nationale et de la préservation de la cohésion sociale demeure central malgré la libéralisation. Ce qui permet de comprendre la virulence des débats et l’importance des dérogations aux accords commerciaux signés après 1945. Encore aujourd’hui, ces débats font rage et limitent la portée des accords négociés entre les pays.
L’émergence d’institutions
Des institutions émergent pour encadrer la coopération économique. Les problèmes à résoudre sont nombreux. Premièrement, celui de la reconstruction et de son financement donnera naissance à la BIRD (banque internationale pour la reconstruction et le développement, qui devient rapidement la Banque mondiale). Ensuite, celui de la stabilité du SMI devient la préoccupation du FMI (1944 à Bretton Woods).
Enfin, celui des échanges commerciaux avec, en 1948, la création avortée de l’OIC (Organisation internationale du commerce) chargée de libéraliser les échanges et de régler les différends entre les nations. Le Président américain a signé, mais le Congrès américain refuse de ratifier la charte adoptée à La Havane en 1948 (congrès à majorité républicaine, soucieuse de l’indépendance étatsunienne, alors que le projet était porté par Roosevelt avant sa mort en 1945).
L’OIC ne voit donc pas le jour, mais pendant la phase de préparation, une conférence intermédiaire en 1947 à Genève s’est terminée par la signature d’un accord : le GATT, signé par 23 pays, dont la Chine jusqu’en 1949, qui représentent 80 % du commerce international à l’époque. Cet accord se voulait transitoire, il devient permanent jusqu’en 1994.
Le GATT est un traité international composé de 38 articles, dont l’objectif est de permettre la conclusion « d’accords visant, sur la base de la réciprocité et d’avantages mutuels, à une réduction substantielle des tarifs douaniers et autres entraves aux échanges et à l’élimination des discriminations dans les relations commerciales internationales ». Pour atteindre ces objectifs, le GATT fixe un code de conduite qui impose aux pays signataires le respect de plusieurs principes.
Les principes du GATT
La clause de la nation la plus favorisée
Tout avantage commercial consenti à un pays signataire du GATT est automatiquement étendu à tous les pays signataires de l’accord.
Le principe de réciprocité
Quand un pays s’engage à baisser ses barrières douanières, ses partenaires commerciaux doivent proposer une mesure équivalente. Ces deux premières règles favorisent fortement l’abaissement multilatéral des obstacles aux échanges. Cette baisse explique pourquoi de plus en plus de pays vont signer le GATT à partir des années 1960. Ces derniers veulent bénéficier de la baisse des tarifs avec tous les pays.
62 pays au premier cycle de négociations. Au début des années 1970, 102 pays et, au début des années 1990, lors du dernier cycle de négociations : 123 pays.
Le principe de non-discrimination
Non-discrimination des États et des produits étrangers sur le marché national : pas de différence de traitement avec des États et des produits nationaux. La concurrence s’exerce à armes égales.
La règle de consolidation
Il est interdit de revenir en arrière sur les efforts d’ouverture qui ont déjà été faits, on ne peut pas remettre en cause les avantages déjà consentis. Il en découle donc un climat de confiance. Ces deux principes permettent de limiter les incertitudes, d’empêcher les replis protectionnistes et assurent un cadre sécurisant qui facilite les échanges. Lors de la crise des années 1970, bien qu’il y ait un ralentissement de la croissance sous l’effet des chocs pétroliers, ces deux principes vont empêcher les réflexes protectionnistes, les replis nationalistes comme dans les années 1930 : le GATT est un fort amortisseur des crises.
Au contraire, dans les années 1970, le nombre de pays qui vont signer l’accord va augmenter de manière spectaculaire. D’une soixantaine de pays signataires à la fin des années 1960 à 102 en 1973 : la moitié des pays de la planète et l’essentiel du commerce international. En effet, les pays cherchent à se protéger du retour du protectionnisme en temps de crise.
L’obligation de participer aux négociations commerciales multilatérales (NCM) ou round
Des rounds de négociations sont organisés dans le cadre du GATT : huit entre 1947 et 1995. Ces rounds réunissent tous les pays signataires, afin de négocier des abaissements de tarifs douaniers. Ils constituent le cœur du multilatéralisme, de la négociation collective.
Les décisions se prennent par consensus, sur le principe démocratique, un pays représente une voix, peu importe sa taille, et l’accord est entériné quand il y a unanimité. Les décisions sont prises par consensus, cela veut dire qu’une mesure est adoptée quand elle ne soulève plus d’objections. Bien loin des organisations favorisant la loi des plus puissants. C’est d’ailleurs pour cela que les États-Unis n’apprécient pas énormément ces institutions. Étant la puissance hégémonique, ils négocient plus facilement lors d’accords bilatéraux, car les rapports de force jouent en leur faveur.
Le GATT prévoit des dérogations, car ces cinq principes peuvent être contraignants, rendant notamment les négociations difficiles. De facto, ces dérogations expliquent la longévité du GATT et des accords signés.
Les acquis de cet accord historique
La baisse des tarifs douaniers qui a contribué à l’extension du commerce international après la Seconde Guerre mondiale
Les tarifs douaniers étaient de 40 % en 1947, contre 4 % en 1997 et encore aujourd’hui. Ces résultats ont été obtenus lors d’une série de huit rounds entre 1947 (Genève) et 1993 (Uruguay). Les rounds ont impliqué un nombre croissant de pays : 23 au 1er, puis 123 pays lors de l’Uruguay round (1986-1993).
Lors du premier round en 1947, les 23 pays représentent 80 % du commerce international, et ces derniers s’entendent pour baisser les tarifs douaniers de 35 % en moyenne, les faisant passer de 40 % à 26 % après le round. Puis une baisse progressive jusqu’à 4 % a été décidée (tarif moyen seulement sur les marchandises).
Un nombre croissant de pays intégrés aux échanges internationaux
En 1947, le GATT comptait 23 pays signataires, contre 123 en 1995 (164 dans l’OMC aujourd’hui).
Le maintien de l’ouverture, même pendant les crises
Dans les années 1970, malgré le ralentissement de la croissance et même plus tard avec le retour des cycles avec des crises et des périodes de récession, le GATT limite les tentations protectionnistes, comme dans les années 1930.
Il n’y a eu aucun repli protectionniste global jusqu’à la crise de 2008.
C’est le cas lors du Tokyo round (1973-1979) : six années de négociations, moins ambitieuses que les précédentes, pour déboucher sur des accords qui proposent une baisse des tarifs douaniers.
Lors du Tokyo round, arrive sur la table des négociations la question des barrières non tarifaires, à un moment où la croissance ralentit et où ces dernières se développent.
Des limites au GATT
Les accords visant à abaisser les barrières douanières ne concernent pas tous les produits
Avant l’Uruguay round, seuls les produits manufacturés étaient concernés par les accords du GATT, et non les produits agricoles et les services, qui créent des conflits lorsqu’ils sont mis sur la table des négociations (Uruguay round). De même, de nombreux produits manufacturés échappent aux accords.
Lors du Kennedy round, de nombreux produits échappent aux accords à la demande de certains pays : produits textiles, acier, TV, machines-outils, avions sont évincés. D’où l’existence de pics tarifaires qui persistent pour certains produits, qui peuvent être taxés très fortement (importations de camions aux États-Unis et au Royaume-Uni, respectivement 20 % et 12 % de taxes après le dernier round).
Le commerce intrafirme échappe au GATT
Les accords du GATT régulent les échanges entre entreprises de nationalité différente et ne prennent pas en compte le cas particulier des firmes multinationales et des échanges filiales/maison-mère.
La difficulté de poursuivre la libéralisation des échanges à partir des années 1970
Dans les 1970, les pays sont en crise et les signataires sont de plus en plus nombreux, de fait les négociations deviennent plus âpres. Les pays sont moins enclins à fournir des efforts et le néoprotectionnisme se développe sous la forme de barrières non tarifaires.
Dès 1973, le Tokyo round tente d’intégrer les BNT, mais il est décevant : engagement sur la transparence des normes, mesures antidumping et code de bonnes conduites sur les subventions. Mais les pays et les États arrivent à dissimuler. Le succès n’est pas au rendez-vous. De plus, il y a de plus en plus de pays signataires du GATT et de plus en plus de produits sont concernés, ce qui rend difficiles les négociations.
Conclusion
Notons que dans les années 1970, les États-Unis commencent à accuser un déficit de leur balance commerciale, pourtant excédentaire durant les Trente Glorieuses, et ce, malgré la dépréciation du dollar. Ils durcissent ainsi leur politique commerciale avec la section 301 et plus tard la section super 301, en violant souvent l’esprit du GATT.
Notons que le GATT n’est pas une organisation internationale, mais juste un traité. Il n’est pas doté d’un organisme chargé de veiller au respect des accords par les pays signataires. En cas de non-respect des accords, chaque pays décide unilatéralement de la sanction appliquée. C’est ce que font les États-Unis avec la section 301 notamment. Une forme de fédéralisme international permettrait ainsi de réguler davantage le commerce mondial. La naissance de l’OMC en 1995 va ainsi dans ce sens.