sociologie

Cet article résume l’ensemble des théories sociologiques américaines depuis le début des années 1920. Du fait de leur rôle absolument crucial dans l’évolution de cette discipline, il est impératif de les maîtriser pour les oraux d’ESH. Pour être certain(e) de bien comprendre ces concepts, il est important d’avoir lu la première partie qui balaie les débats et les développements généraux en sociologie aux États-Unis, apparus au cours des années 1920.

Le fonctionnalisme

Le fonctionnalisme est un courant de pensée sociologique qui considère la société comme un ensemble d’éléments interdépendants.

Cette approche holiste met l’accent sur la cohérence de l’ordre social. Selon le fonctionnalisme, chaque fait social a un sens et une fonction spécifique visant à maintenir la stabilité sociale. Les sociologues fonctionnalistes s’efforcent d’identifier ces fonctions pour comprendre le rôle de chaque élément dans le maintien de l’harmonie et de l’équilibre au sein de la société.

Parsons et le structuro-fonctionnalisme

Talcott Parsons (1902-1979) est un sociologue connu pour son développement du structuro-fonctionnalisme. Un cadre théorique qui considère la société comme un système complexe composé d’éléments interdépendants. À l’encontre des tendances de la sociologie de son époque, Parsons a cherché à élaborer un modèle de société hautement conceptuel, combinant des fonctions et des sous-systèmes pour comprendre l’ordre social.

Dans la lignée de Max Weber, dont il était le principal traducteur aux États-Unis, Parsons a placé l’action sociale au cœur de son analyse. Selon lui, l’ordre social existe parce que les individus agissent de manière libre et rationnelle tout en intégrant les normes, les valeurs et les rôles sociaux de leur société. Il s’est particulièrement intéressé à certaines institutions, notamment certaines professions et surtout la famille nucléaire américaine, qu’il considérait comme une instance cruciale de socialisation caractérisée par une répartition très marquée des rôles entre le père et la mère.

Cependant, le travail de Parsons a suscité des critiques importantes. Certains ont estimé que sa sociologie était trop abstraite, qualifiant sa théorie de « suprême théorie », selon l’expression de Wright Mills. De plus, ses idées ont été critiquées pour leur américanocentrisme, leur conservatisme et leur légitimation de l’ordre social existant. On reproche également à Parsons d’avoir fait abstraction du modèle de la société noire américaine, en laissant de côté une partie importante de la société dans ses analyses.

Merton et le fonctionnalisme de moyenne portée

Robert King Merton (1910-2003) a développé un fonctionnalisme de moyenne portée dans le domaine de la sociologie, visant à intégrer la théorie et l’empirisme. Dans son ouvrage Éléments de théorie et de méthode sociologique publié en 1949, il a tenté de surmonter la division entre théoriciens et empiristes en proposant une démarche conceptuelle modérée. Sa méthodologie, qu’il a appelée le « fonctionnalisme prudent », se caractérise par trois principales caractéristiques.

Distinction entre les fonctions manifestes et latentes

Merton a introduit la distinction entre les fonctions manifestes (objectifs explicites et conscients des pratiques sociales) et les fonctions latentes (effets secondaires non intentionnels des pratiques sociales).

Par exemple, il a illustré cette distinction en analysant la danse de la pluie chez les Hopis, où la fonction manifeste est d’attirer la pluie. Tandis que la fonction latente est de renforcer les liens sociaux au sein de la communauté.

Renonciation à l’hypothèse de parfaite correspondance entre besoin, fonction et institution

Merton a souligné que plusieurs institutions pouvaient remplir la même fonction, en fonction du contexte social.

Par exemple, la socialisation de l’enfant peut se produire à l’école, dans la famille, dans le quartier ou au sein d’un groupe de pairs, soulignant ainsi la diversité des contextes institutionnels remplissant une fonction similaire.

Renonciation à l’hypothèse que chaque pratique sociale est purement fonctionnelle

Merton a reconnu que chaque pratique sociale pouvait avoir à la fois des aspects fonctionnels et dysfonctionnels en fonction du point de vue adopté. Par exemple, il a examiné la prison, soulignant qu’elle fonctionne à la fois comme un moyen de punition des criminels (fonctionnelle) et comme un lieu propice à la perpétuation de la criminalité (dysfonctionnelle).

Merton a également contribué à plusieurs concepts majeurs en sociologie, notamment le groupe d’appartenance (le milieu social d’origine qui socialise et influence les individus), le groupe de référence (le groupe auquel l’individu aspire à appartenir et auquel il aligne ses normes et ses valeurs) et la socialisation anticipatrice (l’adoption des valeurs et des normes du groupe de référence plutôt que du groupe d’appartenance). Il a utilisé ces notions pour expliquer les résultats de l’étude de Stouffer sur les soldats, démontrant comment les attentes de promotion différaient en fonction des groupes d’appartenance et de référence des individus.

En outre, Merton a emprunté le concept d’anomie à Durkheim, l’utilisant pour décrire le déséquilibre entre les objectifs sociaux proposés à un individu et les moyens disponibles pour les atteindre. Il a développé une typologie des modes d’adaptation individuelle en se basant sur ce concept de décalage entre les buts et les moyens.

L’interactionnisme de la Nouvelle école de Chicago

Erving Goffman et la société comme une pièce de théâtre

Erving Goffman (1922-1982) a consacré ses premiers travaux à l’analyse de la vie quotidienne. Dans son ouvrage La Mise en scène de la vie quotidienne (1953), il a appliqué la méthode interactionniste pour examiner les microrelations du quotidien, mettant en lumière les « rituels d’interaction ». L’objectif sous-jacent était de réussir à faire « bonne figure », c’est-à-dire concilier l’affirmation de soi avec la reconnaissance des autres. Un exemple concret se trouve dans le cadre d’un dîner mondain, où la salle à manger représente la scène avec des décors arrangés par la maîtresse de maison, tandis que la cuisine agit en tant que coulisses où elle peut se relâcher.

Goffman a également exploré la fragilité de l’identité sociale dans son ouvrage Asiles (1961), axé sur les institutions totales. En tant qu’observateur participant dans un asile, en tant qu’infirmier, il a cherché à contester le fonctionnalisme en démontrant qu’il subsiste une marge de liberté pour l’acteur, même dans une institution totale. Il a identifié deux façons d’adapter son comportement. L’adaptation primaire, consistant à s’approprier les finalités de l’institution et à les légitimer, et l’adaptation secondaire, permettant de prendre une certaine distance par rapport au rôle assigné. Cela est illustré par les patients en asile, participant aux séances thérapeutiques plus pour impressionner le personnel que pour leurs effets thérapeutiques.

Dans Stigmates (1963), Goffman a examiné les interactions entre les individus porteurs de stigmates et ceux considérés comme « normaux ». Les stigmates peuvent être visibles, nécessitant un contrôle accru de l’interaction, ou invisibles, obligeant l’acteur à réguler les informations relatives à ces stigmates. Il a défini le stigmate comme toute caractéristique individuelle qui, si elle était connue de l’interlocuteur, pourrait faire baisser le statut de la personne.

La sociologie de Goffman peut être caractérisée comme une sociologie d’élucidation. Son objectif était de mettre en évidence les pratiques de la vie quotidienne que les individus adoptent souvent de manière inconsciente, les considérant comme naturelles.

Becker et son analyse de la déviance

Howard Becker (1928-2023) a apporté une contribution significative à l’analyse de la déviance à travers son ouvrage Outsiders (1963). Son approche remet en question le fonctionnalisme qui considère la déviance comme le symptôme d’une désorganisation sociale. Il s’éloigne également de ceux qui voient la déviance comme le résultat d’une maladie mentale ou d’une pathologie. Selon Becker, la déviance n’est pas une caractéristique inhérente à l’individu, mais plutôt un label ou une étiquette attribuée par la société. Ainsi, la déviance découle de l’interaction entre un acte spécifique et le regard que la société porte sur cet acte, conduisant à une typologie particulière.

Becker souligne que l’individu ne devient véritablement déviant qu’à partir du moment où il est désigné comme tel par autrui. Ce processus d’étiquetage contribue à la création de l’unité sociale en mettant en pratique le système normatif de la société.

Il introduit également le concept de « carrière déviante ». Une fois étiquetés comme déviants, les individus risquent de se conformer à leur rôle de déviants, rendant difficile le retour à la normalité. Ils peuvent être entraînés dans une carrière de déviance qui se construit graduellement, considérant même la criminalité comme un métier qui s’apprend. Cette carrière peut éventuellement conduire à l’intégration dans un groupe organisé de déviants, comme illustré par l’exemple des fumeurs de marijuana.