Greenflation

Dans la zone euro, les prix de l’énergie ont bondi de 26 % en 2021 – contribuant à près de la moitié de l’inflation observée dans la zone (2,5 points de pourcentage sur un taux d’inflation annuel de 5,1 %, selon Eurostat). La hausse des coûts des matières premières semble donc alimenter l’inflation de manière préoccupante, d’autant que les économies occidentales n’en sont qu’au début de la transition environnementale.

Définition

Le terme greenflation signifie littéralement green-inflation, c’est-à-dire inflation verte. Pour rappel, l’inflation renvoie à l’augmentation soutenue, durable, cumulative et autoentretenue du niveau général des prix, généralement mesuré à l’aide de l’indice des prix à la consommation (IPC ou IPCH).

Le phénomène de greenflation renverrait donc à l’aggravation de la hausse des prix des matières premières et de l’énergie liée à la transition écologique. En somme, il s’agit des coûts entraînés par la transition énergétique. Mais dès lors, de quelle nature sont ces coûts ? La greenflation pourrait-elle être une entrave à la transition écologique ? Dès lors, comment lutter contre une telle forme d’inflation ?

Comme le montre Thomas Grjebine dans l’article « Greenflation : les enjeux de la première crise de la transition écologique » (2022) , la greenflation est d’abord liée à la transition écologique de nos systèmes productifs. Comme le montre le rapport annuel de l’OFCE, « L’économie européenne 2023-2024 », en Europe, cette transition écologique est notamment incitée par l’Union européenne avec l’introduction du paquet « Fit for 55 » de 2021 visant à réduire les émissions de l’UE d’au moins 55 % d’ici à 2030.

Ainsi, dans le secteur de l’énergie, le recours au charbon est réduit sans que des alternatives viables soient trouvées. Face à la baisse de la quantité d’énergie produite, en vertu de la loi de l’offre et de la demande, les prix augmentent mécaniquement. C’est la situation que traverse l’Allemagne avec sa tentative de sortie programmée du charbon. Attention, donc, il ne faut pas conclure hâtivement que c’est la transition écologique qui crée de l’inflation, mais plus précisément l’absence d’alternatives soutenables lorsque l’on réduit la production d’énergies fossiles.

Une sous-catégorie de l’inflation

La greenflation permet donc de catégoriser une des origines de l’inflation. Il est clair que le poids de la greenflation dans l’inflation totale est de plus en plus fort en raison du poids de la destruction de l’environnement sur l’économie et également du mouvement de transition énergétique amorcé récemment.

Voici un graphique (source : Eurostat) qui permet de comprendre la part de la hausse des prix de l’énergie dans l’inflation totale en zone euro depuis 1996. Notons notamment le phénomène de brusque hausse depuis le début de la guerre en Ukraine.
Greenflation par rapport à l'inflation totale

Quels sont les risques d’une telle inflation ?

Les autorités nationales et internationales se montrent de plus en plus préoccupées par les conséquences d’une telle forme d’inflation qui s’annonce durable. En effet, en 2020, la Commission européenne a publié un rapport, intitulé « Towards an inclusive energy transition in the european union », demandant aux États « d’atténuer le choc social » de la hausse des prix.

Plus encore, en 2022, le « fonds social pour le climat » inscrit dans le Pacte vert a fait figurer la définition de la pauvreté énergétique. 

Le poids social de la greenflation

En effet, le premier risque d’une telle inflation repose sur les ménages les plus fragiles. Il existe un risque important pour les classes défavorisées et les classes moyennes quant à leur pouvoir d’achat. Dans « L’économie européenne 2023-2024 », l’OFCE montre que ces ménages sont en proie à un « eat or heat dilemma ». C’est-à-dire que ces derniers doivent de plus en plus choisir entre manger et se chauffer.

C’est pourtant dès 1991 que Brenda Boardman pose le problème de précarité énergétique, dans son ouvrage Fuel poverty. Aujourd’hui, 12 % des ménages français sont touchés par la précarité énergétique. C’est-à-dire que plus de 10 % de leurs revenus sont alloués aux dépenses énergétiques.

Désincitation de la transition énergétique

Tout aussi préoccupant : face à la hausse des prix, la greenflation désincite la transition écologique, la première phase de la transition écologique qui consiste en la baisse de production d’énergie fossile, mais l’absence de moyens de production d’énergie de remplacement entraîne une greenflation.

Ainsi, une nation peut être tentée de ne pas favoriser la mutation de son système productif vers un système plus vert et de revenir en arrière vers des énergies fossiles. Comme le rappelle l’OFCE, dans « L’économie européenne 2023-2024 », il convient d’être bien conscient des causes de cette greenflation, qui doivent plutôt inciter les autorités à poursuivre la transition écologique plutôt que de revenir en arrière.

Il y a donc deux principaux risques causés par la greenflation. Le premier sur le porte-monnaie des ménages et le second sur la poursuite de la transition énergétique. Or, ces deux risques peuvent remettre en cause la poursuite de la transition énergétique. Dès lors, comment lutter face à cette greenflation ?

Comment lutter face à la greenflation ?

Il existe de multiples moyens de lutte contre la greenflation, et ce, à plusieurs échelles. Distinguons par exemple le rôle de l’État (plutôt atypique dans le cas d’une analyse de premier plan du phénomène d’inflation) de celui des institutions monétaires classiques, dont le rôle de lutte contre l’inflation n’est plus chose nouvelle.

Favoriser des énergies renouvelables

Comme le montre Grjebine, il revient aux gouverneurs de favoriser la transition écologique mais plus précisément de fournir les moyens de cette transition. C’est-à-dire de favoriser l’émergence de nouveaux secteurs énergétiques d’avenir. En effet, nous avons déjà vu que c’est avant tout le manque d’alternatives qui est à l’origine du phénomène de greenflation. Il convient donc d’investir massivement dans les énergies renouvelables, même si, à court terme, en raison du manque d’alternatives, la hausse des prix induite par une telle mutation peut fragiliser la société (comme l’a montré le mouvement des Gilets jaunes).

Voici un article qui détaille précisément les solutions mises en place par l’Allemagne pour promouvoir la transition énergétique depuis le début de la guerre en Ukraine.

Finalement, les institutions monétaires essayent d’estimer le rôle de la greenflation dans l’inflation suivant plusieurs hypothèses. Par exemple, taxation ou non du carbone. Voici une étude réalisée par la Banque de France dans sa note intitulée Transition vers la neutralité carbone : quels effets sur la stabilité des prix ? (2023), qui cherche à évaluer les conséquences des différentes politiques en matière d’inflation. 
Conséquences des choix économiques en matière de greenflation

Outil budgétaire

De plus, l’outil budgétaire peut permettre d’alléger la pression de la hausse des prix pour les ménages les plus fragiles. En France, la ristourne sur le prix à la pompe illustre un tel engagement de l’État pour soutenir les ménages.

Son voisin allemand a par exemple dépensé 58 milliards d’euros en 2022 en mesures budgétaires pour lutter contre la crise énergétique, dont 44 milliards en aides directes aux ménages (75 %).

Dans la foulée, citons notamment la baisse de la TVA sur le gaz naturel de 19 % à 7 % ( d’octobre 2022 à mars 2024 ), ou la mise en place d’un bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité de mars 2023 à avril 2024. 

Rôle des banques centrales

Faire face à cette greenflation suppose donc de réfléchir à la capacité à agir d’institutions diverses, en passant par l’État mais également par les autorités monétaires, dont la capacité à agir contre l’inflation est indiscutée, notamment à travers le taux d’intérêt directeur (mécanisme à connaître).

En effet, si nous avons ici insisté sur la capacité à agir face à la greenflation, il ne faut pas oublier que cette greenflation s’inscrit entièrement dans l’inflation et donc que les autorités monétaires disposent des outils classiques pour lutter contre une telle inflation (politique monétaire conventionnelle et non conventionnelle).

Les difficultés d’une telle lutte

Le budget : un outil pertinent ?

Alors que l’outil budgétaire a pour but d’alléger le poids de la greenflation, les aides aux ménages peuvent alimenter à leur tour l’inflation, produisant alors l’effet inverse de celui escompté.

Il s’agit ici de mobiliser les conséquences inflationnistes d’une politique de relance keynésienne.

Un juste milieu dans la lutte contre la greenflation

Les décideurs politiques sont donc sur un chemin de crête. Comme l’affirment les économistes de l’OFCE, dans « L’économie européenne 2023-2024 » : « Si les mesures qu’ils [les pouvoirs publics] prennent doivent être conçues de manière à ne pas réduire les incitations à diminuer les émissions de carbone, ils doivent en même temps prémunir les classes moyennes et les milieux modestes de hausses de prix qui les pénalisent fortement. »

La greenflation : une opportunité ?

Plus qu’un poids à subir, il convient donc peut-être de voir les conséquences sociales de la greenflation comme une opportunité, nous poussant à accélérer la transition énergétique face à la crainte d’une fracture sociale.

Par exemple, Bruxelles considère la transition écologique comme une opportunité. Les programmes massifs d’investissement et l’adoption de technologies plus efficaces et plus vertes pourraient ainsi stimuler la croissance économique, les salaires et la demande globale. Les fruits de cette croissance devraient alors être redistribués aux « perdants » de ce processus de transition. D’où l’idée d’un Fonds social pour le climat visant à garantir une « transition socialement équitable » [Commission européenne, 2021]. Tel est le point de vue de l’OFCE, loin d’être la conséquence de la transition énergétique, le mouvement des Gilets jaunes témoigne de la trop lente transition énergétique dont la première conséquence a été la hausse du prix à la pompe.