Voici le dernier article de la désormais longue série sur l’histoire de la mondialisation financière ! Le précédent article peut être lu ici.

Les années 2000

La décennie 2000-2010 est marquée par l’effondrement de l’épargne américaine et une forte épargne des pays émergents du fait des politiques d’auto-assurance mises en place après la crise asiatique et la crise des pays d’Amérique Latine. Les déficits courants américains se sont amplifiés avec la politique monétaire de la Réserve fédérale menée à l’éclatement de la bulle internet en mars 2000.

Dans Problems of capital formation in underdeveloped countries (1953) Ragnar Nurkse considère que l’endettement extérieur permet de briser le cercle vicieux de la pauvreté issue de la pénurie d’épargne. L’emprunt de l’épargne du reste du monde permettra de financer l’investissement privé et public. L’endettement extérieur est donc, pendant cette période, un substitut à l’insuffisance d’épargne nationale, préalable.

La fin de l’intermédiation ?

Le recul de l’intermédiation stricte…

Le recul de l’intermédiation stricte, c’est-à-dire du financement externe indirect sur le financement externe, est incontestable. Entre 1980 et 2010, ce rapport passe de 60 % à moins de 30 %.

… mais le maintien de l’intermédiation large

L’intermédiation de marché

Pour autant, l’intermédiation large (financement intermédié / financement externe) reste stable. En effet, les banques pratiquent l’intermédiation de bilan et l’intermédiation de marché. En Europe, les banques fournissent 70 % du financement externe des entreprises.

Certes les marchés de capitaux prennent une part croissante dans le financement de l’économie tandis que le crédit bancaire voit sa part décliner.  Le financement externe direct a supplanté le financement externe indirect. Mais, cela n’a pas supprimé les établissements bancaires. En effet, elles ont renouvelé leur rôle. Selon A. Admati et M. Hellwing dans The Bankers’ New Clothes – What’s Wrong with Banking and What to Do about It, elles se sont redéployées dans l’émission de titres, la tenue de marchés (transmission des cotations d’un cours à ses clients ou au marché), l’élaboration de produits financiers de plus en plus sophistiqués, la gestion d’actifs, la banque privée ainsi que le montage de fusion acquisition pour les autres secteurs d’activité.

Le financement par crédit bancaire demeure central

Le financement par crédit bancaire demeure primordial pour les ménages et les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas accès aux marchés de capitaux. Le ratio d’intermédiation financière au sens large a peu diminué. Entre 1995 et 2012, il passe de 66 % à 57 % en France. Entre 1995 et 2012, il passe de 77 % à 67 % en Allemagne. Les banques restent au cœur du financement de l’économie.

Durant cette période, l’endettement reste la caractéristique de l’économie. De fait, l’endettement bancaire a laissé place à un endettement de marché.

La mondialisation des crises financières

Les conséquences de la mondialisation financière

Dans La crise de la finance globalisée (2009), Florence Pisani et Anton Brender écrivent : « Les promoteurs de la mondialisation financière n’ont pas voulu voir les conséquences de l’interdépendance ainsi établie. Cette solidarité rend les Etats coresponsables de la stabilité du système financier global. Lieu de contagions et de contaminations, l’espace financier globalisé devrait logiquement être soumis à des régulations et des normes prudentielles homogènes, homologuées et contrôlées internationalement. »

La réputation des banques de second rang et celle des États sont doublement liées (cercle vicieux souverain-banque). Les institutions bancaires et les institutions financières non bancaires sont les principaux souscripteurs de la dette publique qui représente une proportion importante de leurs actifs, que ce soit pour leur refinancement (banque de second rang) ou pour leurs stratégies (institutions financières non bancaires).

Or la dégradation de la qualité des dettes publiques réalise un risque de marché et donc diminue les actifs des bilans bancaires. Les États ont garanti les banques too big to fail de leur venir en aide en cas de difficulté, ce qui pèse sur la dette publique.  L’insoutenabilité de la dette publique détruit la confiance dans les bilans bancaires ce qui nécessite de nouvelles garanties que l’État ne serait plus capable d’apporter.

Depuis la disparition du système de Bretton Woods (juillet 1944-janvier 1976) et la Grande Inflation, la libéralisation des systèmes financiers domestiques et l’intégration internationale sont allées de pair pour faire place au capitalisme financiarisé. L’influence prépondérante des investisseurs institutionnels imprime sa marque sur la concurrence dans la finance globalisée, sur l’allocation du capital et sur les comportements des entreprises en imposant la shareholder value. Les effets micro-économiques ont des répercussions macro-économiques.

Dans Les dérives du capitalisme financier (2004), Michel Aglietta et Antoine Rébérioux écrivent : « On est passé d’un système régulé par les gouvernements sous le contrôle des mouvements de capitaux à un système mû par les marchés qui a libéré les flux internationaux de capitaux ».

De plus, on a desserré les contraintes de balance de paiement et soumis les mouvements financiers internationaux à la contingence des conjonctures économiques et des comportements des acteurs privés. Les déficits courants sont alors financés par le crédit bancaire international et par l’émission de titres de dette. Les contraintes passent par les jugements des investisseurs financiers sur la soutenabilité des dettes extérieures

Dans le même temps, les mécanismes financiers de plus en plus sophistiqués véhiculent les flux de capitaux et tissent l’intégration financière. La diversification des instruments de placement et d’emprunt, l’apparition de marchés dérivés sont des processus qui puisent leur source dans la mutation des systèmes financiers domestiques.

Quelles causes de la mondialisation des crises financières ?

Première cause : les crises ont été alimentées non pas par un excès d’intégration financière mais par une mauvaise et incomplète intégration des marchés de capitaux. Dans A Proposal for International Monetary Reform (1978), James Tobin propose d’introduire des grains de sable dans les rouages bien huilés de la finance à court terme pour éviter l’instabilité des taux de change.

Deuxième cause : C’est aussi l’ampleur des déséquilibres courants est à l’origine de la finance internationale. En effet, s’il n’y avait pas de possibilité de se financer auprès du reste du monde il n’y aurait pas de possibilités d’avoir des déséquilibres courants (X-M=S-I+T-G).

Troisième cause : Dans La Globalisation financière : une aventure obligée (1990) Michel Aglietta, Anton Brender et Virginie Coudert considèrent que l’ouverture du compte financier est une étape inévitable pour les pays en développement. En effet, le vieillissement démographique (Japon, Allemagne) devait avec des agents en capacité de financement financer le reste du monde avec un surplus d’épargne dans le cadre de pays vieux dans le cadre de la théorie du cycle de vie. Toutefois, la Chine est déjà en phase épargnante alors que sa population n’est pas encore âgée. En 2018, le taux d’épargne est de 46 %. Pourquoi ? Parce que la Chine ne dispose pas d’une monnaie internationale, elle n’a de marchés de capitaux assez liquides, profonds et donc assez développés pour apporter une signature aussi appréciée que celle américaine. Elle ne dispose pas des institutions monétaires et financières assez importantes.

La multiplicité des crises financières

L’apport d’épargne d’abord des pays du Nord vers les pays du Sud puis des pays du Sud vers les pays du Nord a été gâché Anton Brender et Florence Pisani selon La crise de la finance globalisée (2009). Mais il ne faut pas oublier que la mobilité internationale du capital est indissociable de la prolifération des crises financières. C’est la contrainte de soutenabilité de l’endettement intérieur et extérieur souvent source de crises de confiance qui a pris le relais de la contrainte d’équilibre extérieur.

On note alors que la mondialisation financière a remis les crises sur le devant de la scène (crise de la dette de l’Amérique Latine, la crise du Mexique en décembre 1994, la crise de l’Asie du Sud-Est 1997, Russie mai 1998, Brésil 1999, Argentine 2002, la Grande récession, crise des dettes souveraines). Depuis les accords de la Jamaïque (janvier 1976) qui ont déployé la mondialisation financière en renonçant aux changes fixes et en conservant l’autonomie de la politique monétaire, la fréquence des crises financières est 2 fois plus élevée qu’elle ne l’était lors du système de Bretton Woods (juillet 1944-janvier 1996), du Gold exchange standard (avril-mai 1922 – 1933), ou du gold standard (1870-1914) parce

L’ampleur des crises de changes, c’est-à-dire des crises constituées de brusques variations des taux de change nominaux, accompagnées de pertes massives de réserves de changes, peuvent être expliquées par le volume des suddens stops, c’est-à-dire la réduction rapide et massive des flux de capitaux entrants et sortants de 5% du PIB en un an après un volume important d’entrées de capital étranger. En cas de régime de change fixe, elles se traduisent par une forte dévaluation ou par le flottement d’une monnaie. En cas de régime de change flottant impur, elles se traduisent par une dépréciation violente et subite. Aussi, les crises de change ont changé de nature. Dans Preventing Currency Crisis in Emerging Markets  (2001) Sebastian Edwards & Jeffrey A. Frankel distingue 2 types de crise de change :

  • Les old-style crisis sont liées à des distorsions de taux de change réels et à des déséquilibres extérieurs insoutenables
  • Les new-style balance sheet crisis répondent surtout à des facteurs de fragilité bancaire : crises jumelles, qui combinent des crises bancaires combinées aux crises de change

Par ailleurs, les crises des dettes souveraines, c’est-à-dire une crise de balances des paiements courants, une crise de la dette privée déguisée en crise de la dette publique dont le caractère procyclique de la finance vient accentuer les déséquilibres et la volatile des capitaux, ont été plus nombreuses pendant cette période.

Les pays développés, les Etats-Unis en chef, ont réagi aux pressions déflationnistes des pays qui épargnent et mettent en place des politiques de dévaluation internes. Comme la demande intérieure progresse plus vite que le revenu, ils  deviennent importateurs d’une épargne que les pays émergents avaient besoin d’exporter pour se développer au risque d’asphyxier la croissance. Pour que ces transferts soient possibles, il a fallu que les risques financiers associés soient portés par des preneurs de risques. La mondialisation financière a joué ici un rôle essentiel.

Les risques sont désormais être séparables de la détention. Les opérateurs occidentaux ont pu prendre en charge les risques qui n’étaient pas pris par les pays émergents sous des formes peu risquées (obligations et bons du trésor américains). Ils ont alors pris un risque de change, laissant au système financier les risques de crédit et de liquidité.

La montée des transferts d’épargne a conduit à une accumulation continue de risques dans le système financier occidental d’autant que la politique monétaire de la Réserve fédérale a soutenu l’endettement privé. Or cette accumulation s’est produite dans sa partie la moins régulée et la moins surveillée. L’ampleur prise par la crise financière qui commence à l’été 2007 est directement liée aux conditions dans lesquelles les transferts d’épargne (savings glut) des années 2000 se sont réalisés.

Le système bancaire devient de plus en plus hyper-connecté du fait des interdépendances, des exposions communes, des participations  croisées. Les banques d’affaires ne sont pas réglementées car la Réserve fédérale faisait confiance à la concurrence.

L’accumulation de déficits courants est souvent la contrepartie d’une forte hausse du levier d’endettement dans le secteur privé, associée à des bulles de prix d’actifs et à une fragilité financière accrue.

L’ajustement asymétrique de la demande entre les pays en déficit et ceux en excédent est responsable de la stagnation séculaire. Les flux de financement publics et les politiques publiques ont permis d’éviter à court terme une réduction désordonnée des déséquilibres mondiaux. À moyen terme, l’enjeu de politique économique est de faciliter le rééquilibrage structurel des secteurs privés, permettant une hausse de la demande intérieure dans les pays en excédent courant tout en consolidant la hausse de l’épargne dans les pays en déficit courant.

Enfin, peut-on considérer la stabilité financière comme bien public mondial ? Dans La crise de la finance globalisée (2009), Anton Brender et Florence Pisani écrivent : « aucune autorité n’est effectivement responsable de la stabilité du système financier globalisé ».

Cet article conclut la fameuse série retraçant l’histoire de la mondialisation financière ! Bonnes vacances !