finance

Dans le contexte d’une série de quatre articles sur l’histoire de la mondialisation financière, voici la partie 2 sur la mondialisation financière entre 1945 et 1989 ! La première peut être lue ici.

 

I) La répression financière

1.1 Bretton Woods (juillet 1944-janvier 1976)

Pendant Bretton Woods, le système bancaire est le poumon de l’activité économique, de son financement, la courroie de transmission de la politique monétaire. Mais si l’on suit le triangle d’incompatibilité de R. Mundell (« The monetary international dynamics under fixed and flexible exchanges rates », 1960), Les restrictions à la mobilité des capitaux sont nécessaires pour conserver l’autonomie de la politique monétaire dans un régime de changes fixes ajustables. C’est ainsi que l’article 6 du Fonds Monétaire International (juillet 1944) autorise les pays à mettre en place des contrôles de changes.

Les échanges financiers sont alors fortement réduits. Entre 1945 et les années 1960, les flux de capitaux sont essentiellement des flux de financement publics officiels des déséquilibres courants conjoncturels internationaux. En effet, comme il y n’existait pas de marché international de capitaux suffisamment grand, il était difficile d’avoir recours au financement extérieur. Par conséquent, les déficits courants et donc les transferts d’épargne ne peuvent pas prendre des proportions importantes (on se rappelera de l’équation [X-M] = [S – I]) avec les bandes de fluctuations de +/-1 % du PIB. La priorité donnée à la restauration des échanges internationaux fait écrire Luigi Zingales et Raghuram G. Rajan que « la liberté des mouvements de capitaux a été sacrifiée sur l’autel du libre échange » dans leur article « The Great Reversals : the polices of financial development in the twentieth century ».

Le cas des États-Unis à cette période est particulièrement important, étant donné qu’ils sont en position d’hégémonie mondiale avec le système Bretton-Woods. Ils disposent de 2/3 du stock d’or mondial en 1945. Il n’y a pas de limites à la création de dollar par la Réserve fédérale, en tant que monnaie internationale. Les autres banques centrales constituent des balances dollar car elles accumulent les avoirs en dollar en finançant l’accumulation des déficits jumeaux (déficit courant + déficit budgétaire) américains en dollars.

1.2. Les économies nationales

À ce moment, le système financier est fragilisé et les guerres mondiales ont accru les besoins de financement des Etats. Le repli des marchés de capitaux et l’insuffisance de l’épargne empêchent l’accumulation de capital et complique le financement des grands travaux (commissariat au plan Janvier 1946) ainsi que celle de la reconstruction. C’est donc l’État qui prend le financement de l’économie domestique en main. En France, l’État nationalise la Banque de France et les grandes banques (décembre 1945). Il pratique des prêts à taux bonifiés. Il prend en charge une partie des intérêts des prêts accordés aux entreprises des secteurs stratégiques. C’est ce qu’on appelle la répression financière. Entre 1945 et 1984, l’économie française est fortement bancarisée. En 1965, le taux d’intermédiation (financement externe indirect / financement externe total) atteint 65 %. Dans Money, interest and liquidity (1974), John Hicks parle d’overdraft economy pour décrire cette période où le financement se fait principalement par endettement bancaire. Les taux bonifiés couplés à l’inflation ramènent les taux d’intérêt réels à un niveau très faible. Les entreprises sont alors incitées à s’endetter pour profiter de l’effet de levier, compte tenu de la forte efficacité marginale du capital. Cette économie a donc un biais inflationniste.

II) Le marché des euro dollars

À partir de 1961 se développe le marché des euro dollars. Plusieurs facteurs ont favorisé l’émergence de ce marché. Tout d’abord, compte tenu de leurs réserves en devises et des conditions peu avantageuses du marché monétaire intérieur, les banques allemandes ont replacé des devises à l’extérieur ce qui a favorisé une détente sur les taux sur les euros dollars. De plus, l’annonce d’une hausse du déficit courant britannique passant de 36 millions de livres sterling en mars 1967 à 115 millions de livres sterling en avril 1967, ainsi que la guerre du Vietnam (1955-1975) ont provoqué une hausse rapide des taux d’intérêt sur le marché des eurodollars. Enfin, l’ouverture du compte courant, le progrès de l’innovation financière ont rendu difficile une application effective des contrôles de change dont le contournement est devenu plus facile. Les pays développés ont mis en place l’ouverture de jure de leur compte financier lorsqu’ils ont adhéré à des traités multilatéraux dont l’OCDE à partir de 1961 (de facto en 1985 en France).

Mais le marché eurodollars provient principalement de l’interdiction des banques anglaises de prêter des livres sterling qui nourrissent la spéculation contre la livre sterling à des non-résidents. Par conséquent, la Banque d’Angleterre va autoriser les banques de second rang anglaises à travailler avec des dollars. Entre 1973 et 1980, le poids du marché des eurodollars, sur lequel des banques sises à l’extérieur du territoire américain font de l’intermédiation bancaire en dollars, passe de 160 à 730 milliards de dollars américains.

On considère que le marché de l’euro dollars est un shadow banking system avant l’heure car il échappe à la réglementation bancaire du comité de Bâle (décembre 1974) et se place au-delà des marchés domestiques sous l’emprise de la répression financière. Il pallie l’absence de système financier international. Le marché des eurodollars devient le foyer de la finance internationale.

III) L’économie d’endettement Sud-Sud : la rencontre entre un besoin d’emprunter et un besoin de prêter

À partir de 1945, l’économie d’endettement prend de plus en plus d’ampleur, et ce dû à plusieurs facteurs.

3.1. Un transfert de revenu des pays importateurs aux pays producteurs de pétrole

Lors du premier choc pétrolier (octobre 1973), le prix de la tonne de pétrole brut augmente de 155 à 377 francs. Lors du second choc pétrolier (janvier 1979), il est multiplié par 2,7.

Comme le pétrole a une faible élasticité prix, les chocs pétroliers créent un prélèvement extérieur sur le revenu des pays importateurs de pétrole. En d’autres termes, ils doivent accroître leur volume d’exportations pour un même volume d’importations de pétrole, qui est plus cher. Le prélèvement extérieur de 1973 est estimé à 15 milliards de dollars pour l’Amérique Latine, à 50 milliards pour l’Europe, à 20.4 milliards pour l’Asie et à 24 milliards pour les États-Unis. Entre 1972 et 1974, les balances dollars (pétrodollars) des pays de l’OPEP (septembre 1960) passent de 15 à 89 milliards de dollars. En 1981, elles représentent 360 milliards de dollars.

3.2 L’économie d’endettement Sud-Sud

Les pays de l’OPEP placent leurs excédents courants auprès des banques installées à l’extérieur des États-Unis qui transforment des dépôts en crédits aux pays en développement (transformation des échéances) en dollars (marché eurodollars). Entre 1974 et 1981, 15 % (respectivement 40 %) des excédents courants des pays de l’OPEP sont recyclés dans les pays en développement (respectivement pays développés) au travers du marché eurodollars.

Comme les pays en développement peuvent financer leur déficit courant par l’endettement extérieur, ils n’ont pas été contraints de réduire la demande domestique (dévaluation interne) pour rétablir l’équilibre de leur balance courante. Entre 1981 et 1985, la dette extérieure agrégée des pays en développement passe de 322 milliards à 950 milliards de dollars américains. Le marché des eurodollars a donc permis d’écarter le risque déflationniste.

3.3 La crise des pays en développement : première crise de la finance globalisée

Arrivé à la tête de la Réserve fédérale en octobre 1979, Paul Volcker met en place une politique monétaire très restrictive. En effet, entre 1979 et 1981 les taux directeurs américains à court terme passent de 11 % à 21 %. Ce faisant, il parvient à éradiquer l’inflation puisqu’entre 1981 et 1983, le taux d’inflation aux Etats-Unis passe de 13.5 % à 3.2 %. Or les agents économiques des pays en développement se sont endettés en dollars et à taux variables. Par conséquent, l’appréciation du dollar réalise le risque de change pour les pays en développement, qui subissent alors une crise de balance des paiements courants. Entre 1980 et 1982, le Mexique affiche un déficit jumeau car il accuse un déficit budgétaire et un déficit courant. En moyenne, le premier atteint 12.8 % du PIB et le second, fruit d’un taux d’inflation de 55 %, est de 5.1 % du PIB. En août 1982, le Mexique fait un moratoire, c’est-à-dire qu’il suspend de manière provisoire ses obligations de paiements, pendant 6 mois sur sa dette extérieure de 86 milliards de dollars américains.

La crise de la dette se diffuse en Amérique Latine. En avril 1982, l’Argentine fait défaut sur sa dette extérieure de 44 milliards de dollars américains. En février 1987, le Brésil annonce un moratoire sur sa dette extérieure de 115 milliards de dollars américains. Elle se propage chez les pays exportateurs de pétrole dont l’Égypte suite au contrechoc pétrolier de 1986 où le prix du baril atteint un minimum de 10 dollars américains.

Le deuxième opus de cette série de quatre articles sur la mondialisation financière s’achève ainsi ! Tu retrouveras très bientôt la suite sur Major-Prépa.