economie

Alors que l’inflation s’envole, un rapport de 2021 de la Banque de France a mis en cause les anticipations des agents. Plus qu’un terme utilisé par les autorités monétaires aujourd’hui, les anticipations constituent un concept central de la science économique. Anticipations parfaites, rationnelles, adaptatives… Tout au long de ces deux années, tu croiseras cette notion dans la majorité de tes cours. Bien saisir les mécanismes qui entrent en jeu pour chaque forme d’anticipation te sera essentiel pour restituer des phénomènes économiques majeurs. Ainsi, tu trouveras tout au long de l’article toutes les informations que tu dois savoir sur les anticipations, et dans quel contexte les utiliser au cours de ta prépa.

Définir et remettre en cause les anticipations

Des anticipations parfaites liées à l’information détenue

En science économique, les anticipations établissent un lien entre le passé, le présent et le futur. Elles déterminent les comportements individuels en fonction de différentes variables macroéconomiques. Comme nous allons le voir au fil de l’article, il existe diverses formes d’anticipations, utilisées par les écoles économiques, afin d’établir des théories économiques. Par ailleurs, les anticipations se retrouvent aussi dans l’économie réelle et elles jouent un rôle essentiel dans la prise de décision des autorités économiques.

La forme d’anticipation la plus répandue, car utilisée dans les modèles standard, est l’anticipation parfaite. Dans cette forme, les agents sont des homoeconomicus et n’ont aucun problème à anticiper le futur, ils prévoient avec exactitude ce qui se passera demain. Les économistes néoclassiques se basent ainsi sur de telles anticipations, qui découlent du modèle de concurrence pure et parfaite. En effet, parmi les cinq hypothèses centrales du modèle figure celle de la transparence de l’information. Chaque agent a accès et utilise toute l’information (disponible ou non) pour effectuer ses choix. 

Une remise en cause par la concurrence imparfaite

Cette forme d’anticipation est cependant largement critiquée par les différentes théories de la concurrence imparfaite. De l’imperfection de l’information découlent alors tous les problèmes d’anticipations que peuvent avoir les agents. Les problèmes d’information peuvent être soit symétriques (information incomplète pour tous), soit asymétriques (tout le monde n’a pas la même information). Le premier cas recouvre notamment l’incertitude radicale en situation de crise théorisée par Keynes. Le second cas renvoie aux situations de problèmes d’information ex ante (sélection adverse), ou ex post (aléa moral).

Ainsi, dans le dilemme du prisonnier, figure de proue des modèles de la théorie de la concurrence imparfaite, les deux agents sont confrontés à une incertitude qui rend leurs choix sous-optimaux. 

Anticipations et modèles économiques

Des anticipations parfaites au centre de la théorie microéconomique standard…

Comme nous l’avons vu, la micro-économie standard utilise des anticipations parfaites et c’est ce qui permet d’établir les différents modèles. Ainsi, dans la théorie du producteur, ce dernier n’a aucun problème d’anticipation et c’est ce qui lui permet de déterminer la quantité exacte à produire, ainsi que les prix qui se forment indépendamment de lui sur le marché. L’optimum est alors atteint immédiatement.

Ceci a été théorisé par Irving Fisher (Théorie de l’intérêt, 1930). Dans cette théorie, ce qui détermine la production est la profitabilité (profit anticipé), qui est directement corrélée au taux d’intérêt, connu en tout temps par le producteur du fait des anticipations parfaites. Ce sont alors ces anticipations parfaites qui permettent au producteur de maximiser son profit.

… mais remises en cause par la révolution keynésienne

Keynes, dans sa Théorie générale, emprunte la notion d’incertitude à Knight. En situation d’incertitude, l’agent est incapable d’anticiper ou de probabiliser le futur. La forme d’anticipation utilisée par Keynes s’intitule la « persistance de l’état des affaires ». Ainsi, pour produire, l’agent se base sur un maintien de la conjoncture économique actuelle, sans savoir ce qui se passera demain.

Contrairement au modèle néoclassique, l’incertitude implique que l’on n’est pas tout le temps dans une situation d’optimum au sens de Pareto. Étant donné que les producteurs ne connaissent pas exactement le rendement de l’investissement, cela conduit à des situations sous-optimales, du fait de l’incertitude radicale. Par exemple, quand l’économie entre en crise, les producteurs anticipent une faible demande en raison de leur croyance en une « persistance de l’état des affaires ». Cela entraîne alors une faible production, ce qui alimente la crise.

La suite de cet article te donnera les mesures keynésiennes à mettre en place afin de corriger les anticipations des producteurs et rétablir leur confiance.

Un retour des anticipations parfaites pour modéliser les choix du producteur

Pour autant, le modèle keynésien qui se base sur l’importance de la demande anticipée n’est pas le seul à le faire. En 1917, Clark formalise l’intuition d’Aftalion sur le modèle accélérateur. Dans celui-ci, les producteurs essaient d’avoir suffisamment de capitaux pour répondre à la demande des consommateurs. Pour cela, il faut alors anticiper cette demande. Or, dans ce modèle, il n’y a aucun problème d’anticipation et dès que la demande augmente entre deux périodes, l’investissement augmente aussi.

Ce modèle est intéressant. D’une part, car il permet d’analyser les raisons qui font de l’investissement une composante si volatile. D’autre part, l’investissement d’une période à l’autre est toujours multiplié par le coefficient de capital (K/Y) et dans l’histoire, cette relation entre demande et investissement est généralement vérifiée à long terme. Cependant, les prévisions du modèle sont parfois erronées à court terme, ce qui vient notamment du choix d’y utiliser des anticipations parfaites.

Anticipations et crises

Des comportements moutonniers…

Comme nous l’avons vu avec la théorie keynésienne, les mauvaises anticipations des agents peuvent parfois conduire à des crises, ou les alimenter. Keynes parle alors de comportements moutonniers. Ne sachant rien de la conjoncture économique du lendemain, le producteur va imiter les autres agents économiques, même si cela éloigne de la rationalité.

Dans des cas de crise, on entend souvent le terme de « prophétie autoréalisatrice » et cela se retrouve chez Keynes, mais aussi chez de nombreux autres économistes.

… théorisés par les bank run

Les prix Nobel d’Économie 2022, Diamond et Dybvig (1983), ont ainsi théorisé les bank-run (panique bancaire), qui reposent selon eux principalement sur des problèmes d’anticipation. Ce modèle se situe ainsi dans le cadre de la concurrence imparfaite, car l’information n’est pas transparente. Dans une situation où des banques possèdent des actifs de long terme et des dettes de court terme, les agents peuvent anticiper une faillite bancaire, de par des problèmes d’anticipations.

En temps normal, la probabilité de voir tous les agents retirer leurs dépôts en même temps est faible, mais ceci diffère lors d’une crise. En prévoyant une faillite de la banque, les agents vont retirer leurs dépôts, et par le phénomène de prophétie autoréalisatrice, les liquidités bancaires vont effectivement diminuer. Ceci alimente ainsi la crise et les phénomènes de bank run sont donc dans un premier temps dus à une anticipation imparfaite des agents. Ce modèle est largement vérifié empiriquement et a notamment donné lieu à la crise de 2008, mais a aussi des antécédents plus lointains (Allemagne à la sortie de la Première Guerre mondiale).

Une situation semblable pour les crises de change

Cette situation de prophétie autoréalisatrice se remarque aussi dans les crises de change, et plus particulièrement celles de première génération théorisées par Krugman (1979). Ici, le déclenchement de la crise vient d’un problème du pays par rapport à ses fondamentaux (déficit par exemple), ce qui force la Banque centrale à puiser dans ses réserves pour poursuivre ses importations. Ceci limite alors les réserves de change, ce qui crée une anticipation de bank run.

En temps normal, la Banque centrale n’aurait pas épuisé ses réserves de change, mais du fait des anticipations des agents, une prophétie autoréalisatrice va se produire. Les agents vont demander une conversion de leur monnaie, ce qui va effectivement épuiser les réserves de la Banque centrale, qui ne pourra dès lors plus intervenir pour stabiliser son taux de change. On assiste à une crise de change.

Anticipations et inflation

Un impact des anticipations sur le niveau des prix…

Les anticipations jouent un rôle essentiel en situation d’inflation ou de déflation, et ce mot est beaucoup utilisé de nos jours par les autorités monétaires.

Dans le cas de l’inflation, il existe deux cas de figure. Si les entreprises anticipent une inflation, elles augmenteront leurs prix pour couvrir les coûts de production, ce qui va effectivement conduire à une hausse de l’inflation.  Les ménages peuvent aussi avoir la même anticipation, qui va donner lieu à des hausses de salaire, et donc à des hausses de prix.

Dans le cas de la déflation, le fait d’anticiper pousse les ménages à reporter leur consommation à plus tard pour payer moins. Cela réduit la demande et les entreprises sont alors obligées de baisser leurs prix. Les anticipations jouent alors un rôle clé sur des variables macroéconomiques de l’économie réelle.

… qui fait des anticipations une variable fondamentale pour les autorités monétaires

L’inflation constituant un objectif central des politiques monétaires contemporaines, cibler les anticipations est devenu un moyen incontournable de limiter son envolée. Pour contenir l’inflation, les banques centrales tentent alors d’ancrer les anticipations d’inflation à un faible niveau. Cela peut notamment passer par des interventions orales des gouverneurs de Banque centrale, qui, durant cette crise encore, ont assuré à maintes reprises que l’inflation devrait baisser dans les mois à venir.

Même si ça n’a pas tout le temps réellement était le cas, l’objectif de ces politiques de « communication » est seulement de stabiliser et d’ancrer les anticipations. Ainsi, selon Blanchard, le régime de low-flation dans lequel on se situait avant la crise actuelle est dû à la réussite des banques centrales de maintenir des anticipations d’inflation basses. 

Mais cela vaut aussi pour la déflation, comme l’attestent les discours de Draghi en 2014, lorsque la zone euro était menacée par une déflation. Ce dernier déclarait alors que la BCE ferait « ce qu’il fallait pour faire augmenter les anticipations d’inflation le plus rapidement possible ».

Anticipations et politiques économiques

Une intervention de l’État nécessaire pour corriger les anticipations ?

Comme l’a montré la théorie keynésienne, les anticipations des agents jouent un rôle majeur dans le déclenchement et l’alimentation de crises économiques. Dès lors, pour restaurer la confiance et changer les anticipations, Keynes préconise la politique budgétaire.

Le rôle de cette hausse des dépenses publiques sera d’augmenter la demande globale, et donc de créer un choc de confiance positif pour les producteurs. Ceci permettra ainsi, en changeant les anticipations des agents, d’augmenter la demande anticipée et de sortir de la crise. 

Une politique budgétaire remise en cause par les anticipations rationnelles

Cette partie donne lieu à l’introduction d’une nouvelle forme d’anticipation économique, largement utilisée par la science économique contemporaine. Introduites par Muth en 1961, les anticipations rationnelles renvoient à la capacité des agents à utiliser parfaitement toute l’information (passé et présent) disponible pour prendre des décisions rationnelles (au sens néoclassique).

Ces anticipations supposent alors que les agents connaissent parfaitement les effets de court terme et de long terme des politiques économiques. C’est dans ce cadre que Barro (Are Government Bonds Net Wealth?, 1974) remet en cause les politiques de relance budgétaire. En effet, grâce aux anticipations rationnelles, les agents savent qu’une hausse des dépenses publiques aujourd’hui conduira à une hausse des impôts dans le futur. Ils ne vont donc pas utiliser leur revenu supplémentaire pour consommer mais épargneront. La politique budgétaire s’avère être inefficace.

L’efficacité de la politique monétaire face aux anticipations adaptatives

Les anticipations adaptatives constituent une nouvelle forme d’anticipations, théorisées par Cagan en 1956. Ici, les agents s’adaptent à l’évolution d’une variable et ne voient alors pas directement l’effet d’une politique économique. À long terme, les agents sont en mesure de corriger leurs anticipations et de modifier leurs choix. En plus de leur utilisation dans sa théorie du revenu permanent, Friedman les a aussi appliquées dans son analyse des politiques monétaires (The Role of Monetary Policy, 1968).

Dans son article, Friedman critique les relances monétaires, qu’il trouve inefficaces. En effet, une hausse de la monnaie en circulation va au départ augmenter l’investissement, de même que les prix. Dans ce cadre, le chômage va d’abord baisser, mais cela n’est permis que par l’illusion monétaire des agents, qui ne voient pas leur salaire réel baisser. Au bout d’un certain temps et grâce aux anticipations adaptatives, les agents demandent une hausse de salaire, ce qui conduit à des licenciements, et donc à une inefficacité de la politique monétaire pour faire baisser le chômage.

Des anticipations rationnelles qui remettent même en cause la politique monétaire à court terme

En utilisant des anticipations rationnelles, la nouvelle école classique va plus loin que la critique de Friedman. En effet, Lucas, Sargent et Wallace montrent que suite à une relance monétaire, les agents ont conscience de l’effet de long terme.

Ils demandent alors directement une hausse de salaire, ce qui fait que les producteurs n’embauchent pas de nouveaux employés. La relance ne fonctionne même pas à court terme ici.

Différents sujets en rapport avec les anticipations

Jusqu’ici, il semblait utopique de voir un sujet portant presque uniquement sur les anticipations tomber à l’écrit. Cependant, avec la nouvelle réforme, les concepteurs ont précisé qu’ils veulent mettre les concepts et notions économiques au centre du programme, et que des sujets sur l’économie comme science, ou sur les anticipations, n’étaient pas à exclure.

Pour autant, comprendre ces différentes formes d’anticipations t’est nécessaire à la fois pour bien restituer les mécanismes sur ta copie (convoquer Muth ou Cagan est toujours préférable) et pour ne pas te faire piéger à l’oral. 

Des sujets sur les anticipations tombent assez souvent à l’oral à HEC et je t’en mets ici quelques-uns : 

  • Les formes d’anticipations
  • Les anticipations sont-elles toujours rationnelles ?
  • Les anticipations perturbent-elles les marchés financiers ?
  • Le rôle des anticipations dans les politiques économiques 
  • Le rôle des anticipations dans la théorie économique