L’indépendance des banques est un sujet qui divise ! Si un large consensus semblait s’imposer en faveur de l’indépendance, il a été toutefois ébranlé après la crise de 2007-2008. D’une part, l’indépendance des banques centrales n’a pas empêché la crise et d’autre part, la stabilité des prix n’est plus (et ne peut plus être) le seul objectif des politiques monétaires.
Le financement de la transition énergétique est devenu une préoccupation croissante qui vient justement nuancer le débat : faut-il repenser/remettre en cause l’indépendance de la Banque centrale ?
Voici quelques axes de réflexion pour mieux saisir cette problématique et briller sur ce sujet qui tombe souvent en colle.
L’indépendance croissante des banques centrales s’est traduite par une amélioration de la gestion macroéconomique
Une politique monétaire dépendante du pouvoir politique peut être détournée à des fins électorales
Dès les années 1960 (contexte de forte inflation) s’impose l’idée selon laquelle l’indépendance de la Banque centrale du pouvoir politique est l’unique voie vers la stabilité macroéconomique. M. Friedman, notamment, dénonce l’usage de la politique monétaire à des fins uniquement électorales. Selon ce dernier, à l’approche des élections et en situation d’un contrôle de la Banque centrale par le pouvoir politique, les autorités publiques optent pour une politique monétaire inflationniste.
Le but étant de réduire le taux de chômage et ainsi séduire les électeurs. Or, cet effet n’est que passager, et sur le long terme, l’effet sur la variable chômage disparaît. Il ne reste donc plus qu’une inflation forte (théorie des anticipations rationnelles). Ainsi, ici, la politique monétaire devient un simple instrument politique et n’est plus au service de l’économie.
L’indépendance de la Banque centrale renforce sa crédibilité
Elle assure dès lors l’efficacité de la politique monétaire menée. L’indépendance de la Banque centrale permettrait, en théorie, de réhabiliter l’instrument monétaire afin qu’il coïncide de nouveau avec les objectifs de stabilité macroéconomique.
Certains économistes tels que R. Barro et D. Gordon (“Rules, Discretion and Reputation in a Model of Monetary Policy”, 1983) assurent que l’efficacité de la politique monétaire est étroitement liée à la crédibilité des institutions qui la mettent en place. Cette crédibilité se construit au fil du temps. Elle est la conséquence de la cohérence intertemporelle de la politique monétaire et est cruciale pour ancrer les anticipations des agents.
Comment la cohérence intertemporelle est-elle assurée ?
Pour assurer le respect des règles et la cohérence intertemporelle, la proposition consiste à rendre la Banque centrale indépendante du pouvoir politique. Pour ce faire, les dirigeants de la Banque centrale sont nommés pour des mandats de longue durée, sans possibilité de renouvellement. D’autre part, les interventions gouvernementales dans les décisions de la banque sont totalement prohibées.
Toujours dans cette optique, la Banque centrale doit également être libre de définir ses objectifs et d’utiliser les instruments nécessaires pour les atteindre. Il est donc essentiel d’interdire les situations de domination budgétaire (Fiscal Dominance), où la banque serait contrainte de financer le déficit budgétaire.
En pratique, les banques centrales indépendantes adoptent différentes approches de fonctionnement. Par exemple, dans la zone euro, les membres du directoire de la BCE sont nommés pour huit ans, sans possibilité de renouvellement. Aux États-Unis, les membres du Conseil des gouverneurs de la Fed sont nommés pour quatorze ans. Le président est, lui, nommé pour quatre ans avec possibilité de renouvellement.
La transition écologique ou le besoin de repenser l’indépendance des banques centrales
L’indépendance des banques centrales au seul service de la stabilité des prix ?
Jusqu’à la crise de 2007-2008, les politiques monétaires mises en place par les banques centrales des pays de l’OCDE ont majoritairement été pensées autour du seul prisme de la stabilité des prix. Les autres objectifs sous-jacents de la politique monétaire, notamment celui de la soutenabilité de la dette, ont eux été relégués au second plan.
Or, dans le contexte actuel marqué par l’urgence climatique et du nécessaire amorçage de la transition écologique, les États doivent recourir à des investissements coûteux, et donc à un endettement croissant. On peut par ailleurs noter l’exemple du plan stratégique européen : NextGenerationEU.
Point clé : le lien entre indépendance des banques centrales et soutenabilité de la dette publique
On estime que la dette d’un État est soutenable si le taux d’intérêt des emprunts est inférieur au taux de croissance structurel. Ainsi, une politique monétaire accommodante assure des taux d’intérêt bas et, par conséquent, la soutenabilité de la dette publique. Inversement, une politique monétaire trop restrictive peut mettre en difficulté les États fortement endettés.
La politique monétaire doit donc coïncider avec la volonté des autorités publiques à tendre vers une économie plus verte. En ce sens, la Banque centrale, au nom du bien commun, ne peut être totalement indépendante du pouvoir politique. La politique monétaire doit dès lors être pensée de manière à faciliter les investissements indispensables dans le cadre de la transition écologique.
Le courant de pensée de la finance fonctionnelle, dont on peut citer Le mythe du déficit de Stéphanie Kelton, suggère que la monétisation de la dette publique est le meilleur outil pour permettre à l’État d’assurer un pilotage macroéconomique et une politique budgétaire utile.
Quelles évolutions possibles de la politique monétaire pour financer la transition énergétique ?
L’intégration de la protection du climat dans le mandat de la Banque centrale est une idée très nouvelle. Pour ce faire, les économistes envisagent plusieurs outils.
Michel Aglietta propose, par exemple, de mettre en place un système de labélisation des investissements en faveur de la transition écologique. Ces investissements seraient financés à crédit et les titres de créance émis en contrepartie seraient éligibles au refinancement des banques par la Banque centrale. Cela permettrait d’orienter la création monétaire vers des projets écologiques tels que les infrastructures liées à l’énergie.
Il s’agit ici d’une approche de coopération étroite entre les banques centrales et les gouvernements dans le domaine de l’action publique. Cette voie est synonyme d’un financement direct de la transition énergétique par la Banque centrale via la création monétaire. Elle nécessite un changement institutionnel qui peine encore à être entendu.
D’autres voies peuvent également être considérées
En ce qui concerne les opérations de refinancement telles que les MRO ou PELTRO pour l’Eurosystème, la Banque centrale pourrait fixer des taux de refinancement différenciés selon l’impact écologique des différentes banques.
Cette dernière peut également agir sur les garanties, c’est-à-dire les titres que présentent les banques à la Banque centrale afin d’être refinancées. La Banque centrale pourrait en effet opérer un « qualitative tightening » en réduisant la liste des actifs acceptés et en mettant l’accent sur des actifs « plus verts ». Cette idée a par ailleurs été évoquée par Oustry et al. dans l’article « Risques climatiques et politique de collatéral des banques centrales : une expérience méthodologique » (Revue économique).
Que peut-on donc conclure de ce débat ?
On pourra noter que si l’indépendance des banques centrales du pouvoir politique a pu permettre d’assurer par le passé une certaine stabilité du système économique, cette relation est aujourd’hui à nuancer. L’indépendance de la Banque centrale ne doit pas être synonyme d’une politique monétaire en contradiction avec les impératifs d’une transition écologique.