Saint-simonisme

Ancien élève de l’École nationale supérieure d’arts et métiers, Stéphane Gorce a appelé en janvier 2024 à « inventer une forme de néo-saint-simonisme » afin de soutenir le retour d’une France industrielle et dynamique. Cet article traite de ce mouvement politique et économique qui place la réindustrialisation au premier plan des politiques structurelles dans l’Hexagone.

Rappel sur le saint-simonisme

Origines et contexte historique

Le saint-simonisme est un mouvement de pensée social et économique né au début du XIXe siècle, fondé par Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon. Né en 1760, Saint-Simon est un penseur visionnaire qui, influencé par les révolutions industrielles et politiques de son époque, cherche à réformer la société pour répondre aux défis de la modernité.

Après la Révolution française et l’Empire, Saint-Simon propose un modèle alternatif au système capitaliste et aux structures politiques traditionnelles, en mettant l’accent sur la nécessité d’une organisation scientifique et rationalisée de la société.

Principes fondamentaux et idées clés

Le saint-simonisme repose sur plusieurs idées centrales. Saint-Simon prône une société basée sur la coopération et l’harmonie plutôt que sur la compétition. Il propose la création d’une élite scientifique et industrielle, responsable de la gestion de la société, et considère que la production industrielle et la technocratie doivent guider les politiques publiques. Saint-Simon est également un fervent défenseur du progrès technologique comme levier pour améliorer les conditions de vie et réduire les inégalités sociales. Il envisage une société où la richesse est redistribuée équitablement, les ressources sont optimisées et les individus sont encouragés à contribuer au bien-être commun.

Il considère que l’industrie et le progrès technique sont nécessaires et suffisants à la constitution d’une société épanouie et dont les rapports entre les individus sont similaires à ceux entre les membres d’un atelier. L’industrie ne se résume pas à la transformation de la matière mais donne forme à la société, ce qui fait de l’entreprise une « communauté qui communie » (Pierre Musso, La Religion industrielle).

Influence et héritage

Bien que le saint-simonisme n’ait jamais été pleinement mis en œuvre en tant que système politique, son influence a été profonde et durable. Les idées saint-simoniennes ont inspiré divers mouvements et penseurs, comme les socialistes utopiques et les réformateurs sociaux du XIXe siècle.

En particulier, le saint-simonisme a joué un rôle dans le développement du socialisme et du corporatisme, en introduisant des concepts de gestion scientifique et de planification sociale. Ses idées ont également influencé la structuration des institutions modernes et l’évolution des politiques industrielles, marquant l’histoire de la pensée économique et sociale avec une vision innovante de la gestion sociale et économique.

Un des premiers accomplissements du mouvement saint-simonien est notamment le creusement du canal de Suez entre 1859 et 1869, initié par Prosper Enfantin, Arlès-Dufour et Ferdinand de Lesseps, ainsi que la construction en 1835 de la première ligne de chemin de fer reliant Paris à Saint-Germain, notamment due aux initiatives d’Émile Pereire par exemple.

Traces du saint-simonisme sur l’économie actuelle

Une grande importance donnée à l’industrie

Pierre Musso, auteur de La Renaissance de l’industrie, fit écho à la doctrine saint-simonienne et à la recrudescence de la revalorisation des formations professionnelles, manuelles et artisanales en annonçant : « L’industrie, c’est l’évolution d’une civilisation. L’industrie, c’est la société : tout est industrie. » Sur le terrain, Bernard Charlès, PDG de Dassault Systèmes, affirmait : « L’industrie, c’est toute l’économie. »

En effet, l’industrie est un moteur pour la numérisation, l’automatisation et la transition écologique, influençant ainsi tous les secteurs économiques. En transformant les processus de production et en intégrant des technologies de pointe, l’industrie façonne l’ensemble des activités économiques, de la conception à la distribution, et joue un rôle crucial dans la croissance et la compétitivité globales.

Un levier concret au projet de réindustrialisation

L’Académie des Technologies, une société savante (associations d’experts de disciplines transversales) française, travaille à la stimulation d’innovations concrètes et pragmatiques dans le but de donner suite à une révolution industrielle « plus puissante encore que ne l’ont été les arrivées de la machine à vapeur et du pétrole » (Patrick Pélata, ancien PDG de Renault).

Ainsi, plusieurs projets s’érigent au sein de l’Académie tels qu’un système de stockage intersaisonnier de chaleur, par exemple, qui résoudrait des problématiques en matière d’utilisation d’énergie et d’optimisation des capacités des ressources renouvelables.

Une industrie qui se réinvente

Une industrie plus féminine…

La révolution industrielle en projet cherche tout de même à s’émanciper de certains caractères retrouvés dans les précédentes révolutions industrielles. Il est question de féminisation du secteur scientifique et industriel à travers, par exemple, le lancement du collectif IndustriELLES par le ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure, en mai 2023.

Pour rappel, moins de 30 % des salariés de l’industrie sont des femmes, et parmi elles seulement 15 % occupent des postes de conception, de production et de direction.

… et plus verte

Les impératifs environnementaux seront renforcés. Il ne sera pas question d’une industrie qui ne sera pas verte. Olivier Lluansi et Anaïs Voy-Gillis transposent l’héritage saint-simonien dans cet objectif écoresponsable dans leur ouvrage Vers la renaissance industrielle, en affirmant qu’il est question de « réformer la société » au profit de modes de fonctionnement qui respectent les valeurs de respect à l’égard de l’environnement et des droits humains.

Quelques chiffres récents sur l’industrie verte en France

Croissance du marché des énergies renouvelables

En 2023, la capacité installée des énergies renouvelables en France a atteint environ 70 GW, avec des investissements continus dans l’éolien, le solaire et l’hydroélectricité. Le solaire a particulièrement connu une forte croissance, avec une augmentation de 20 % de la capacité installée en 2023 par rapport à l’année précédente.

Réduction des émissions de CO2

L’industrie verte en France contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En 2023, les émissions de CO2 du secteur industriel ont diminué de 12 % par rapport aux niveaux de 1990, grâce à la transition vers des technologies plus propres et à l’augmentation de l’efficacité énergétique.

Investissements en R&D

En 2023, les investissements dans la recherche et le développement pour les technologies vertes ont atteint environ 1,2 milliard d’euros en France. Ces investissements soutiennent l’innovation dans des domaines tels que les batteries électriques, l’hydrogène vert et les processus industriels à faible émission de carbone.

Emplois dans l’industrie verte

Selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), environ 400 000 emplois en France sont directement liés à l’industrie verte et aux technologies environnementales, avec une croissance annuelle de 5 % dans ce secteur.

Objectifs de réduction de l’empreinte carbone

La France s’est fixé comme objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. L’industrie verte joue un rôle crucial dans l’atteinte de cet objectif, en soutenant la transition vers une économie bas-carbone.

La permaindustrie

Présentation de ce type d’industrie

Ce terme, permaindustrie, a été inventé en 2021 par l’entrepreneur Éric Boël et est le titre de son ouvrage copublié en janvier 2024, La permaindustrie : Comment le développement d’écosystèmes inspirés de la nature est en train de changer le monde.

Inspirée par les principes de la permaculture, cette approche propose une nouvelle manière de penser l’industrie, en intégrant des pratiques durables et éthiques tout au long des chaînes de production. Perma venant du terme permanent, transmettant cette idée de durabilité. La permaindustrie vise à concilier production industrielle et respect de l’environnement, en mettant l’accent sur l’efficience énergétique, la réduction des déchets et la valorisation des ressources locales.

À la différence de l’industrie classique, souvent marquée par une exploitation excessive des ressources naturelles et une déconnexion des territoires, la permaindustrie s’ancre dans une vision systémique. Elle considère les usines comme des écosystèmes à part entière, où chaque élément est interconnecté et participe à l’équilibre global. Par exemple, les déchets générés par une étape du processus de production peuvent être réutilisés comme ressources dans une autre, créant ainsi une boucle vertueuse. De plus, cette approche favorise l’autonomie énergétique des sites industriels, en intégrant des énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien, ou la biomasse.

Le mouvement de la permaindustrie se veut également socialement responsable. Cette dernière place l’humain au centre des préoccupations, avec une attention particulière portée aux conditions de travail, à l’inclusion sociale et au développement des compétences locales. Ainsi, la permaindustrie ne se contente pas de repenser la manière de produire, mais aussi la manière d’organiser le travail, dans une logique d’équité et de justice sociale.

Importance de la permaindustrie dans le projet de réindustrialisation française

Dans le contexte actuel de réindustrialisation en France, marqué par une volonté de relocaliser certaines activités stratégiques et de redonner un souffle nouveau à l’industrie nationale, la permaindustrie pourrait jouer un rôle central. En effet, face aux enjeux environnementaux croissants et à l’urgence climatique, il devient crucial de repenser les modèles industriels traditionnels. La permaindustrie offre une alternative crédible et innovante pour concilier relance économique et transition écologique.

La France, avec son riche héritage industriel et ses engagements pour la transition énergétique, apparaît comme un terrain fertile pour l’épanouissement de la permaindustrie. En intégrant des principes durables dans la réindustrialisation, le pays pourrait non seulement améliorer sa compétitivité à long terme, mais aussi répondre aux attentes croissantes des consommateurs et des citoyens, de plus en plus soucieux des impacts environnementaux et sociaux des produits qu’ils consomment.

De plus, la permaindustrie pourrait contribuer à renforcer la souveraineté industrielle de la France. En valorisant les ressources locales et en favorisant l’économie circulaire, elle réduit la dépendance aux importations de matières premières et diminue l’empreinte carbone des chaînes de production. Cette approche pourrait également stimuler l’innovation en France, en encourageant le développement de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux, adaptés aux impératifs écologiques.

Une solution qui s’oppose à celle de la décroissance

En revanche, l’option de la décroissance, soutenue par plusieurs acteurs tels que Timothé Parrique, n’est pas à envisager selon les adeptes de la permaindustrie. En effet, dès lors que la nature elle-même est une forme d’industrie productive, qu’elle a pour fonction de produire, alors la décroissance serait un concept qui irait à l’encontre de ce processus.

Elle croit en une croissance qualitative, où l’innovation technologique et l’efficience des ressources permettent de maintenir une économie dynamique, tout en respectant les limites planétaires, favorisant ainsi une industrialisation durable plutôt qu’une contraction économique.

Conclusion

Le néo-saint-simonisme, en tant que courant de pensée réinventé, offre une vision moderne et pragmatique pour la réindustrialisation en France. En s’inspirant des principes de Saint-Simon, cette approche réconcilie croissance économique et durabilité environnementale, en promouvant une industrie innovante et écologiquement responsable.

En intégrant les concepts de la permaindustrie tels que l’économie circulaire et les énergies renouvelables, le néo-saint-simonisme propose une voie pour revitaliser le secteur industriel français, tout en respectant les impératifs écologiques, favorisant ainsi une transition harmonieuse vers un avenir plus durable et résilient.

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