Le terme Mittelstand désigne un ensemble d’entreprises de taille moyenne constituant l’épine dorsale de l’économie allemande. Ces entreprises, souvent familiales, se caractérisent par leur indépendance, leur gestion prudente et leur ancrage dans les territoires où elles opèrent. Elles jouent un rôle crucial dans la stabilité économique et sociale de l’Allemagne, contribuant de manière significative à la prospérité nationale et au dynamisme de l’innovation technologique.
Présentation du Mittelstand allemand
Le Mittelstand est souvent perçu comme un modèle exemplaire, tant par sa résilience que par sa capacité à innover et à exporter. Environ 99 % des entreprises allemandes appartiennent à cette catégorie, représentant plus de 60 % des emplois et environ 55 % de la valeur ajoutée brute du pays.
Cette importance se traduit également dans leur contribution au PIB allemand, estimée entre 35 % et 50 %, selon les définitions exactes et les secteurs d’activité pris en compte. Les entreprises du Mittelstand opèrent principalement dans les secteurs de l’industrie manufacturière, de l’ingénierie, de la chimie, ainsi que dans les services spécialisés à haute valeur ajoutée.
Ce succès a suscité de nombreuses tentatives, notamment en France, d’adopter un modèle similaire pour soutenir la croissance des entreprises moyennes et encourager leur capacité d’innovation. Cependant, ces efforts ont révélé des limites structurelles, économiques et culturelles.
Histoire du Mittelstand
Le Mittelstand n’est pas simplement une catégorie d’entreprises fondée sur des critères de taille, mais un concept qui puise ses racines dans l’histoire économique et sociale de l’Allemagne. Le terme lui-même est issu du vieux terme allemand stand, signifiant « état » ou « classe ». Durant le XIXe siècle, alors que l’Allemagne se développait comme une puissance industrielle, le Mittelstand est devenu synonyme de la petite bourgeoisie d’entrepreneurs et d’artisans indépendants. Ces entreprises, souvent gérées de manière familiale, jouaient un rôle crucial dans l’économie locale et nationale.
C’est après la Seconde Guerre mondiale que le Mittelstand a pris son essor actuel. Dans le contexte de la reconstruction, l’Allemagne a cherché à éviter la concentration excessive de grandes entreprises, préférant promouvoir une économie décentralisée où les entreprises de taille moyenne pouvaient prospérer. Cela correspondait également à la tradition fédéraliste allemande, avec un tissu économique distribué à travers les différents Länder (régions). Les entreprises du Mittelstand sont devenues non seulement des moteurs de l’économie locale, mais aussi des pionnières sur le marché mondial grâce à une spécialisation poussée et à une expertise de niche.
Un autre facteur historique qui a contribué à la force du Mittelstand est l’accent mis sur l’éducation professionnelle et la formation en apprentissage (duale Ausbildung). Ce système, qui combine l’enseignement théorique en école et la pratique en entreprise, a permis à ces entreprises de disposer d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, capable de répondre aux besoins techniques spécifiques du marché.
Quelques chiffres sur le Mittelstand
Le Mittelstand se distingue non seulement par son poids historique, mais aussi par ses performances économiques remarquables dans l’économie allemande. Selon les chiffres récents fournis par l’Institut für Mittelstandsforschung (Institut de recherche sur les entreprises de taille moyenne, IfM), environ 99 % des entreprises allemandes sont des PME (petites et moyennes entreprises), et plus de 60 % de la main-d’œuvre active est employée par des entreprises appartenant au Mittelstand. Ces entreprises représentent environ 55 % du chiffre d’affaires total du pays et environ 50 % des exportations allemandes.
En matière d’innovation, le Mittelstand joue un rôle central. Les entreprises de taille moyenne investissent de manière significative dans la recherche et le développement (R&D), représentant environ 17 % des dépenses totales de R&D en Allemagne, selon les données de l’OCDE. De plus, 93 % des entreprises du Mittelstand affirment introduire régulièrement des innovations sur le marché, ce qui témoigne de leur rôle pionnier dans l’amélioration continue des processus et des produits.
Certaines entreprises du Mittelstand sont également devenues des leaders mondiaux dans leurs segments de marché respectifs, souvent appelées les hidden champions (champions cachés). Parmi les exemples les plus notables, on trouve des entreprises comme Viessmann, un leader dans la production de systèmes de chauffage, ou encore Herrenknecht, spécialiste de la construction de tunnels.
L’espoir du Mittelstand français
Tentatives de reproduction du modèle allemand en France
Le succès du Mittelstand allemand a attiré l’attention des responsables économiques et politiques en France, où le tissu entrepreneurial est traditionnellement plus polarisé entre les grandes entreprises et les très petites structures. La France, en comparaison avec l’Allemagne, souffre d’un manque d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), ce qui crée un fossé entre les petites entreprises et les grands groupes. Dans ce contexte, l’idée d’importer le modèle du Mittelstand a émergé dans le discours public et les réformes économiques.
En 2008, la loi de modernisation de l’économie (LME) a introduit pour la première fois en France une classification des ETI, définies comme des entreprises comptant entre 250 et 4 999 salariés, avec un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros. Cette initiative visait à créer un cadre de soutien spécifique aux entreprises de taille intermédiaire, leur permettant de se développer et de se projeter à l’international.
Des mesures ont été mises en place pour encourager l’innovation, le financement des ETI et la recherche et le développement. Les dispositifs fiscaux, comme le crédit d’impôt recherche (CIR), ont été renforcés pour stimuler l’investissement dans les secteurs stratégiques. Par ailleurs, des programmes comme Bpifrance, la banque publique d’investissement, ont vu le jour pour fournir des financements aux entreprises ayant un fort potentiel de croissance.
Cependant, ces tentatives de créer un Mittelstand français se sont heurtées à plusieurs obstacles, comme l’explique l’économiste Philippe Aghion : une fiscalité trop complexe, un droit du travail rigide et une culture de l’entrepreneuriat moins développée qu’en Allemagne, notamment en matière de transmission d’entreprise familiale.
Chiffres et comparaison avec l’Allemagne
Malgré ces réformes, la France accuse toujours un retard par rapport à l’Allemagne en matière de densité d’entreprises de taille intermédiaire. Selon une étude de l’Insee de 2022, la France compte environ 5 400 ETI, contre 12 500 en Allemagne. Ces ETI françaises emploient 25 % de la main-d’œuvre dans le secteur privé, contre plus de 38 % en Allemagne. Ces chiffres montrent une faible structuration du tissu industriel français autour d’entreprises de taille intermédiaire.
En matière de R&D, les entreprises françaises investissent également moins que leurs homologues allemandes. D’après l’OCDE, la part des ETI françaises dans les dépenses de R&D nationales est d’environ 10 %, contre 17 % en Allemagne, ce qui explique en partie leur moindre compétitivité sur les marchés internationaux.
Possibilités et limites de la reproduction du modèle Mittelstand en France
Les possibilités d’adaptation du modèle allemand
Malgré les défis, il existe des opportunités pour la France de s’inspirer du modèle allemand. Tout d’abord, l’accent mis par l’Allemagne sur la formation professionnelle et l’apprentissage pourrait être davantage adopté par la France. Le système dual allemand, qui permet aux jeunes d’acquérir des compétences pratiques en entreprise tout en suivant une formation théorique, constitue un levier puissant pour créer un Mittelstand dynamique.
Ensuite, le soutien à l’innovation pourrait être intensifié. Bien que des dispositifs comme le crédit d’impôt recherche existent, ils pourraient être simplifiés et rendus plus accessibles aux petites et moyennes entreprises, afin d’encourager la R&D et l’internationalisation.
Les limites structurelles à l’émergence d’un Mittelstand français
Néanmoins, la France fait face à des limites structurelles qui rendent difficile la reproduction exacte du modèle Mittelstand. Tout d’abord, le cadre juridique et fiscal est perçu comme plus contraignant que celui de l’Allemagne. La complexité administrative et les charges sociales élevées pèsent sur la capacité des entreprises françaises à croître de manière organique.
De plus, la culture entrepreneuriale en France est différente. Alors que le Mittelstand repose largement sur des entreprises familiales et sur une gestion à long terme, la France voit plus fréquemment des entreprises se développer avec pour objectif à court ou moyen terme d’être revendues à de grands groupes. Ce manque de continuité familiale dans les entreprises rend plus difficile l’émergence d’un tissu entrepreneurial stable et de longue durée.
Conclusion
Le Mittelstand allemand représente un modèle de réussite économique fondé sur des entreprises de taille moyenne, souvent familiales, résilientes et innovantes. Leur contribution au PIB allemand, à l’emploi et à l’exportation est significative. Ce modèle, envié à travers le monde, a inspiré la France dans ses tentatives de développer un tissu similaire d’entreprises de taille intermédiaire. Cependant, malgré certaines réformes et initiatives, la France rencontre encore des obstacles pour établir un Mittelstand aussi performant que celui de son voisin.
La structure économique et culturelle de la France diffère profondément de celle de l’Allemagne, ce qui rend la transposition de ce modèle difficile. Pour y parvenir, la France devra non seulement adapter son cadre juridique et fiscal, mais aussi favoriser une culture entrepreneuriale tournée vers le long terme, en renforçant notamment l’apprentissage et la transmission d’entreprise. La création d’un Mittelstand français, bien qu’ambitieuse, nécessitera une adaptation des modèles existants aux spécificités nationales pour être viable sur le long terme.