mondialisation

Suzanne Berger (Notre première mondialisation : leçons d’un échec oublié, 2003) repère, au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle, une série de mutations dans l’économie internationale, tendant à créer un seul marché mondial pour les biens et les services, le travail et le capital. Ainsi, « notre première mondialisation » semble remonter au XIXe siècle.

Les traits caractéristiques des échanges au XIXe siècle

Au XIXe siècle, le commerce international a augmenté à un rythme très supérieur à celui de la production mondiale. Le Royaume-Uni domine largement les échanges. Ce caractère dominant est remis en cause à la fin du XIXe siècle avec l’apparition de nouveaux pays échangistes : le Japon, les États-Unis.

40 % du commerce mondial sont des échanges intraeuropéens, donc entre des pays à des niveaux de développement proches. L’Europe ne constitue pas cependant un ensemble homogène. Les possessions de colonies et leurs localisations différencient le commerce international des grandes puissances. Le Royaume-Uni a une originalité due au rôle que joue l’Asie comme zone d’origine des importations et comme lieu de destination des exportations britanniques.

Les exportations

Les exportations européennes sont composées de produits manufacturés pour 55 % à 65 % du total, selon les années, alors que les importations comportent 80 % à 90 % de produits primaires.

Même si, globalement, ces chiffres évoluent peu entre le début du XIXe siècle et 1914, la composition des échanges industriels se modifie. La part du textile dans les exportations diminue (et le coton remplace progressivement la laine), alors que celle des productions métallurgiques et chimiques augmente.

L’évolution est la conséquence du processus d’industrialisation des économies européenne, japonaise et nord-américaine. Elle illustre un des caractères du commerce international : la nature des biens importés et exportés dépend des besoins de la nation, de ceux des firmes comme de ceux des consommateurs.

L’Amérique latine et l’Asie forment des espaces périphériques indispensables pour l’écoulement de la production industrielle britannique. L’Amérique latine et l’Inde assurent plus de 55 % des débouchés extérieurs du principal produit d’exportation britannique, les cotonnades, en 1855.

Les innovations dans les transports (chemin de fer et bateau à vapeur) rapprochent les économies.

Un effet désindustrialisant de l’ouverture internationale pour certains pays

L’Inde, soumise à la pression coloniale britannique, possède au XVIIIe siècle une activité proto-industrielle très dynamique. Maîtres artisans urbains et nombreux ouvriers paysans, organisés dans le cadre de manufactures rurales dispersées, produisent notamment des tissus en coton coloré exportés, les « indiennes », que les consommateurs européens découvrent avec enthousiasme.

Phénomène de mode au XVIIIe siècle, les marchands manufacturiers européens importent des matières premières indiennes transformées en « indiennes » en Europe. Grâce à la mécanisation, aux baisses de prix des cotonnades anglaises et à la domination de la Compagnie des Indes, les cotonnades britanniques envahissent au XIXe siècle le marché indien. Ainsi, on peut parler d’une certaine désindustrialisation de l’Inde suite à l’ouverture internationale.

Les politiques commerciales et leur rôle dans la mondialisation

Le libre-échange se répand, à partir de 1846, date d’abrogation en Angleterre des corn laws, les lois sur le blé qui protègent les agriculteurs depuis 1815. Il faut se rappeler l’opposition des points de vue entre Malthus, défenseur des intérêts des propriétaires fonciers, et Ricardo, favorable aux industriels. Toute l’Europe est touchée progressivement, jusqu’à la fin des années 1870. Il est à remarquer que cette période a connu le plus fort taux de croissance du commerce international de tout le XIXe siècle.

Les idées de liberté des échanges ont ainsi été promues assez tardivement au Royaume-Uni et a fortiori à l’extérieur. En premier lieu, si Adam Smith (Richesse des nations, 1776) tourne en ridicule le dogme protectionniste de la période mercantiliste, il reste néanmoins que la théorie de l’avantage absolu tend à montrer que seuls les pays disposant de cet avantage avaient intérêt à l’échange international. Autrement dit, seul le pays dominant avait intérêt à l’échange.

Un peu plus tard, en 1817, dans son ouvrage Des principes d’économie politique et de l’impôt, David Ricardo démontre, en exposant la théorie des avantages comparatifs, que le libre-échange enrichit tous les partenaires commerciaux. Même si l’un d’entre eux est plus efficace que l’autre dans toutes les autres productions. Afin de mieux convaincre son lectorat, Ricardo utilisera même un exemple volontairement non conforme à la réalité en supposant que le Portugal était plus efficace que l’Angleterre dans les productions de textile et de vin. Cela donne le ton de la mondialisation.

La politique libre-échangiste en France

En France, la politique libre-échangiste ne reçoit pas de l’opinion publique un soutien aussi important qu’en Angleterre. Celle-ci est plutôt imposée de manière autoritaire, par des souverains, comme Napoléon III, qui en la matière était un doctrinaire libéral.

La signature du traité de libre-échange (traité Cobden-Chevalier) en 1860, entre la France et l’Angleterre, inaugure la signature d’autres accords de libre-échange en Europe. Ce qui aboutit à une réduction significative de la protection tarifaire en Europe. Il faut noter que cette réduction des barrières douanières fut particulièrement importante pour les produits agricoles. Les partisans d’un protectionnisme de l’industrie dans l’enfance excluaient aussi le recours à cette forme de protection dans le domaine de l’agriculture.

Ainsi, Friedrich List, considérant que la production agricole ne nécessitait pas de coûts d’apprentissage comme l’industrie, n’admettait pas l’idée qu’elle puisse bénéficier d’une protection particulière.

L’essor des mouvements de facteurs de production

Les migrations humaines, une partie de la mondialisation, prennent de l’ampleur dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’émigration est essentiellement britannique, mais provient aussi d’Allemagne et des pays scandinaves, puis des pays méditerranéens à la fin du siècle. Près de 50 millions de personnes quittent l’Europe au XIXe siècle. Si les deux tiers de cette émigration européenne se dirigent vers les États-Unis, suivent en tant que terres d’accueil l’Argentine, le Brésil, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud.

Ces flux d’émigration s’expliquent en partie par une fuite de la misère des couches populaires européennes. La forte croissance démographique du continent (liée à la première phase de la transition démographique) limite les progressions salariales pour les travailleurs peu qualifiés et les crises périodiques génèrent un sous-emploi récurrent. Les pays neufs apparaissent porteurs d’opportunités.

La poursuite des départs s’explique au fil des décennies de plus en plus par la présence de foyers d’immigrants dans les pays d’accueil qui facilitent le financement des voyages et l’intégration des nouveaux arrivants.

La mondialisation, c’est également les capitaux

Les mouvements de capitaux se développent, en provenance pour l’essentiel d’Europe. En 1913, 90 % du stock d’IDE est la propriété des Européens, détenu aux deux tiers par des agents économiques installés en Grande-Bretagne et en France. Ces placements à l’étranger sont réalisés surtout dans les autres pays développés, mais pas seulement. États-Unis, Canada, Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande, ou encore Russie, Scandinavie, mais aussi Amérique latine, Empire ottoman, Afrique du Sud et Asie accueillent les capitaux européens. Ceux-ci financent la construction des chemins de fer, de mines, de ports, ainsi que des activités de service.

Le développement des banques par actions dans les pays avancés, grandes banques et banques d’affaires, permet la mise en place de réseaux financiers à l’échelle internationale. L’apparition de lignes télégraphiques internationales à partir des années 1850 stimule les marchés financiers en facilitant les opérations d’arbitrage entre les places financières.