monnaie

La force ou la faiblesse d’une monnaie se manifeste dans le niveau et l’évolution de son taux de change. Wim Duisenberg, le premier président de la BCE, estimait « qu’un euro fort est dans l’intérêt d’une Europe forte ». Une position partagée par ses successeurs Jean-Claude Trichet, Mario Draghi et Christine Lagarde, bien que l’évolution récente de la politique monétaire y apporte une certaine nuance.

Introduction

Une monnaie est considérée comme forte lorsque son taux de change dépasse les taux de parité de pouvoir d’achat (PPA), offrant ainsi un pouvoir d’achat supplémentaire aux agents nationaux. À l’inverse, une monnaie faible diminue le pouvoir d’achat des biens étrangers, mais rend les produits domestiques plus compétitifs.

Une monnaie forte tend à attirer des capitaux étrangers, tandis qu’une monnaie faible expose les capitaux étrangers à un risque de change, qui ne peut être compensé que par une augmentation du taux d’intérêt. Pour avoir des informations plus générales sur les régimes de change, cet article est disponible.

Avantages et inconvénients des monnaies faibles et fortes

A) Avantages des monnaies faibles et fortes

Avantages des monnaies faibles

  • Compétitivité accrue des produits nationaux. Un taux de change sous-évalué rend les exportations moins chères et donc plus attractives sur les marchés internationaux. Cela stimule l’activité économique en favorisant les exportations et en limitant les importations.
  • Effet-volume vs effet-prix. Selon le théorème des élasticités croisées de Marshall-Lerner, une monnaie faible est bénéfique si la somme des élasticités-prix des importations et des exportations est supérieure à 1. Dans ce cas, l’augmentation des volumes exportés compense la baisse des prix, améliorant ainsi la balance commerciale.

Avantages des monnaies fortes

  • Pouvoir d’achat accru. Un taux de change surévalué augmente le pouvoir d’achat des consommateurs nationaux, facilitant ainsi l’achat de biens et services étrangers à moindre coût.
  • Investissements internationaux. Une monnaie forte permet aux entreprises et aux investisseurs de financer plus facilement des investissements à l’étranger. Par exemple, au XIXe siècle, la Grande-Bretagne est devenue un « prêteur évolué » grâce à la solidité de sa monnaie. Et, dans les années 1960, les multinationales américaines ont pu investir massivement en Europe.
  • Confiance et afflux de capitaux. Une monnaie forte inspire confiance aux investisseurs étrangers, attirant ainsi des flux de capitaux. Cela peut conduire à un excédent des flux financiers, aidant à financer les déficits courants.

B) Inconvénients des monnaies faibles et fortes

Inconvénients des monnaies faibles

  • Conditions strictes d’efficacité. Pour qu’une monnaie faible soit avantageuse, plusieurs conditions doivent être remplies, comme la validité du théorème de Marshall-Lerner, la capacité de l’offre nationale à répondre à une demande accrue et l’absence de substitution des importations par des produits locaux
  • Inflation importée. Une monnaie faible peut provoquer une hausse des prix des biens importés, entraînant une inflation qui augmente les coûts de production nationaux et dégrade la compétitivité. Cela peut créer un cercle vicieux où la balance commerciale et des paiements se détériore, justifiant de nouvelles dépréciations de la monnaie.

Inconvénients des monnaies fortes

Paradoxe de Triffin : une monnaie forte doit faire face à ce paradoxe, où elle doit choisir entre :

  • soutenir la croissance mondiale, en créant des déficits commerciaux pour fournir la liquidité mondiale nécessaire, ce qui risque de diminuer la confiance en la monnaie ;
  • maintenir la confiance, en limitant les déficits pour préserver la valeur de la monnaie, au risque de provoquer une pénurie de liquidité mondiale.

La globalisation depuis les années 1980 a modifié la donne, en augmentant les contraintes qui pèsent sur les monnaies

A) La contrainte financière

La contrainte financière est devenue essentielle, comme le démontre l’échec des politiques économiques françaises au début des années 1980. La relance économique menée par le gouvernement de Mauroy en 1981, suivie de trois dévaluations successives du franc, a accentué l’effet négatif de la courbe en J (aggravation initiale de la balance commerciale) et a intensifié l’inflation, tout en renforçant la spéculation contre le franc. La hausse des taux d’intérêt destinée à contenir l’inflation a, en revanche, ralenti la croissance économique.

Pour alléger cette contrainte financière sur les monnaies faibles, de nombreux pays en développement (PED) ont adopté des régimes de taux de change fixes dans les années 1990. Cette stratégie visait à accroître la confiance des investisseurs et des prêteurs étrangers, réduisant ainsi les primes de risque sur les taux de change et attirant les capitaux nécessaires au financement des investissements.

Cependant, le taux de change est devenu une variable financière très sensible aux anticipations du marché, où tout renversement de tendance peut entraîner des comportements mimétiques de fuite des capitaux (concept d’autoréférentialité, selon André Orléan dans De l’euphorie à la panique, 2009). Ce phénomène a provoqué de nombreuses crises de change à la fin du XXe siècle, notamment la crise asiatique de 1997, où le baht thaïlandais, nominalement ancré au dollar, a été sévèrement touché.

Par ailleurs, dans un contexte de globalisation, les variations des taux de change sont amplifiées à court terme par la spéculation et les anticipations, entraînant des phénomènes de « surréaction » (Rudiger Dornbusch).

B) Le triangle des incompatibilités de Mundell

Dans les années 1990, l’Allemagne a dû augmenter ses taux d’intérêt pour maîtriser les tensions inflationnistes causées par la réunification, forçant ses voisins européens à suivre le mouvement. En préparation à l’introduction de l’euro, les pays membres devaient respecter les critères de convergence nominale, obligeant la France à ajuster sa politique monétaire selon le triangle des incompatibilités de Robert Mundell.

Cela signifiait maintenir un taux d’intérêt supérieur à celui de l’Allemagne. Ce qui a freiné l’investissement, engendré un niveau élevé de chômage structurel (chômage wicksellien selon Jean-Paul Fitoussi) et conduit à une croissance économique faible (« croissance molle » selon Jean-Paul Fitoussi).

C) La guerre des monnaies

Après une tentative d’instaurer la théorie des zones cibles de Williamson lors des accords du Plaza en 1985, la coordination entre les banques centrales a cessé. Chaque Banque centrale a alors commencé à intervenir de manière isolée et ponctuelle sur les marchés des changes, donnant lieu à une véritable « guerre des monnaies » (terme popularisé par Guido Mantega).

Dans cette lutte, de nombreux grands pays, tant développés qu’émergents, utilisent leur monnaie nationale comme un outil de compétition commerciale. La Chine, par exemple, maintient délibérément un yuan renminbi faible pour obtenir un avantage commercial, une stratégie critiquée par les États-Unis. De même, les autorités monétaires suisses sont intervenues sur le marché des changes entre 2011 et 2014 pour limiter l’appréciation excessive du franc suisse, avant d’abandonner brusquement leur politique de parité avec l’euro début 2015. Cette décision a déstabilisé les marchés, habitués à un certain guidage des anticipations (forward guidance).

Le débat euro faible/euro fort en Europe

A) Avantages et inconvénients de l’euro fort

L’euro est actuellement fort, car la zone euro est perçue comme attractive et stable par les investisseurs internationaux. Mais il faut noter qu’il s’est affaibli depuis deux ans. Et de plus, depuis début 2015, la politique de quantitative easing (assouplissement quantitatif) menée par la BCE, combinée à une politique monétaire moins accommodante de la Fed, a conduit à l’affaiblissement de l’euro.

Cette situation d’un euro relativement fort entraîne des effets positifs et négatifs.

Avantages

  • Réduction des coûts d’importation. Un euro fort permet d’importer des matières premières à moindre coût, notamment le pétrole, qui est libellé en dollars. Cela induit une désinflation importée.
  • Pouvoir d’achat accru. Les consommateurs bénéficient de prix plus bas sur les produits importés, augmentant ainsi leur pouvoir d’achat.
  • Compétitivité interne. La pression sur les entreprises européennes pour réduire leurs coûts et maintenir leur compétitivité est accrue, stimulant l’innovation et l’efficacité.

Inconvénients

  • Réduction des exportations. Les produits européens deviennent plus chers à l’international, ce qui réduit les exportations.
  • Augmentation des importations. Les biens étrangers deviennent plus attractifs pour les consommateurs européens, augmentant les importations et aggravant le déficit commercial.
  • Délocalisation. Les entreprises peuvent être tentées de déplacer leur production vers des pays à coût de production plus bas pour maintenir leur compétitivité.

B) À qui cela profite ?

En 2013, la France enregistrait un déficit commercial de 61 milliards d’euros, tandis que l’Allemagne affichait un excédent de 199 milliards d’euros. Cette divergence s’explique par les différences structurelles entre les deux économies.

  • Spécialisation allemande dans le haut de gamme. L’Allemagne, avec son réseau de Mittelstand (PME) très développé, est spécialisée dans les produits haut de gamme. Ses entreprises, compétitives, bénéficient d’un euro fort pour importer des matières premières à moindre coût.
  • Spécialisation française dans le milieu de gamme. La France, moins compétitive, se spécialise dans le milieu de gamme et subit les effets négatifs d’un euro fort. La compétitivité moindre des entreprises françaises les pénalise davantage.

Pour remédier à cette situation, les économistes préconisent des réformes structurelles en France afin d’améliorer sa compétitivité. Notamment en développant une offre productive alignée avec la demande mondiale, en particulier dans les nouvelles technologies.

Conclusion

La vision traditionnelle qui considère une monnaie forte comme un atout et une monnaie faible comme un handicap est trop simpliste, surtout dans le contexte de la globalisation. L’expérience des années 1920-1930 a montré les effets dévastateurs de la guerre des monnaies, mais le monde actuel semble n’avoir pas retenu ces leçons. L’adoption d’une approche unilatérale est particulièrement risquée dans un monde où les économies sont fortement interdépendantes.

Il est donc urgent de définir de nouvelles règles pour le système monétaire international (SMI), comme le suggèrent Michel Aglietta et Virginie Coudert dans leur ouvrage Le Dollar et le système monétaire international (2014).