« La monnaie est-elle neutre ? » Voici un sujet qui a été au centre de nombreux débats depuis des siècles de l’histoire économique. Je te propose deux manières très différentes de répondre, qui couvrent tout ce qu’il faut savoir sur le sujet. Voici la première façon : un plan plutôt conventionnel qui donnera au correcteur tout ce qu’il souhaite entendre sur le thème, avec des références indispensables.
La monnaie est neutre, selon l’analyse classique et monétariste
L’analyse standard postule que la monnaie n’est qu’un « voile » sur l’économie
Une approche dichotomique de la monnaie est adoptée par les classiques et de nombreux néoclassiques pour qui la monnaie n’est qu’un moyen d’échange. Elle est considérée comme un voile sur l’économie réelle, ne faisant que faciliter les échanges. Selon cette vision, il n’y a pas de différence fondamentale entre une économie de troc et une économie monétaire. La monnaie sert simplement à attribuer des prix aux biens et services, sans influencer les décisions économiques des agents.
Elle est neutre dans le sens où les variations de sa quantité n’affectent que les variables nominales (les prix), sans modifier les variables réelles (les prix relatifs). Ainsi, si le prix des chaussures double et que celui des maisons fait de même, cela n’affectera pas les choix des individus. Les classiques rejettent ainsi l’idée d’illusion monétaire, affirmant que si les salaires et les prix doublent simultanément, rien n’a réellement changé.
La théorie quantitative de la monnaie découle de cette vision. Elle remonte à des précurseurs tels que Jean Bodin, John Locke et Cantillon, mais c’est Irving Fisher qui en a formulé la version la plus aboutie dans son ouvrage Le Pouvoir d’achat de la monnaie en 1911. Selon cette théorie, exprimée par l’équation de Fisher (MV = P × T), où M représente la masse monétaire, V la vitesse de circulation de la monnaie, P le niveau moyen des prix et T le volume global des transactions, la masse monétaire est exogène (fixée par la Banque centrale), et la vitesse de circulation ainsi que le volume des transactions sont supposés stables à court et à moyen terme.
Ainsi, si la masse monétaire augmente, cela se traduit proportionnellement par une hausse du niveau général des prix, sans aucun impact sur l’économie réelle. Une augmentation de l’offre de monnaie ne conduit donc qu’à l’inflation, selon cette perspective.
Les prolongements monétaristes
Milton Friedman a réhabilité l’approche quantitativiste de la monnaie avec une nuance. Il a observé une relation statistique entre la masse monétaire et le niveau général des prix. Montrant ainsi une superposition entre l’évolution de la quantité de monnaie et l’inflation. Selon lui, la politique monétaire peut avoir des effets à court terme, mais est neutre à long terme. Ce qui signifie qu’elle ne peut pas influencer les grandeurs réelles telles que le PIB. Dès 1968, il a rejeté l’idée qu’il existe un arbitrage possible entre l’inflation et le chômage, basant ses conclusions sur la courbe de Phillips.
Phillips a mis en lumière une corrélation négative entre le taux de chômage et le taux de variation des salaires nominaux, en étudiant l’économie du Royaume-Uni. Cette relation a été réinterprétée dès les années 1960, suggérant une corrélation négative entre le chômage et l’inflation. Friedman a lui aussi révisé la courbe de Phillips, montrant qu’à court terme, une politique monétaire plus accommodante peut fonctionner.
En effet, une politique plus accommodante permet à court terme de passer du point A au point B, réduisant le chômage au prix d’une inflation plus forte. En effet, les agents économiques, lorsqu’ils constatent une augmentation des salaires, ont tendance à consommer davantage. Cependant, arrivés à un certain point, ils réalisent que leurs salaires ont augmenté, mais que les prix ont également augmenté. Ce qui les pousse à réduire leur consommation. À long terme, les effets de la relance ne persistent pas, revenant au même taux de chômage avec une inflation plus élevée.
Friedman a qualifié cette situation de dichotomie atténuée, où les agents sont victimes d’illusion monétaire à court terme, mais développent une anticipation adaptative à moyen terme. La nouvelle économie classique (NEC), émergeant dans les années 1970, a adopté l’hypothèse d’anticipation rationnelle et a réinstauré une séparation stricte entre la sphère réelle et monétaire. Éliminant ainsi les illusions monétaires à court terme.
Mais d’autres mouvements vont rejeter l’hypothèse d’une monnaie neutre
Keynes et l’influence de la monnaie sur l’économie
L’influence de la monnaie sur l’économie est au cœur des préoccupations de Keynes, qui rejette fermement l’idée que la monnaie est neutre. Contrairement à la vision néoclassique qui sépare la sphère réelle de la sphère monétaire, Keynes insiste sur l’activité de la monnaie dans l’économie. Alors que les néoclassiques considèrent que les agents détiennent la monnaie nécessaire à leurs transactions sans la demander activement, Keynes avance que dans un contexte d’incertitude, les agents ont une préférence pour la liquidité, percevant la monnaie comme une forme d’épargne liquide.
Cette divergence fondamentale conduit à des interprétations différentes de la formation du taux d’intérêt. Là où les néoclassiques estiment que le taux d’intérêt résulte de l’équilibre entre l’offre et la demande d’épargne sur les marchés financiers, Keynes affirme que le taux d’intérêt est formé par l’interaction entre l’offre et la demande de monnaie sur le marché monétaire. Un concept absent chez les néoclassiques.
Keynes identifie trois motifs pour la demande de monnaie par les agents économiques : pour effectuer des transactions courantes, pour des raisons de précaution et pour des motifs de spéculation. Les deux premiers motifs impliquent une demande active de monnaie dépensée, tandis que le dernier motif concerne la détention de monnaie en attente d’opportunités d’investissement sur les marchés financiers. Ces motifs sont influencés par le niveau de revenu et le coût d’opportunité, qui déterminent le montant d’épargne liquide que les agents préfèrent détenir.
D’autres courants voient aussi la monnaie comme neutre
Beaucoup d’autres économistes partagent l’idée que la monnaie exerce une influence significative sur l’économie réelle et peut même être un facteur de déséquilibre. Friedrich Hayek, par exemple, bien qu’il considère la monnaie comme exogène, reconnaît son caractère actif. Contrairement à l’idée de neutralité monétaire, Hayek soutient que la monnaie peut jouer un rôle dans l’émergence des cycles économiques en interagissant avec la sphère réelle et souligne les effets potentiellement nocifs d’une augmentation de la masse monétaire.
De même, Joseph Schumpeter partage cette perspective en soulignant le rôle crucial des banques dans la création monétaire. Il soutient que les banques prennent des risques et jouent un rôle décisif dans l’économie, notamment en favorisant l’innovation. Selon lui, la fonction de création monétaire des banques est essentielle et peut avoir des effets significatifs sur le processus d’innovation économique.