« La monnaie est-elle neutre ? » Voici un sujet qui a été au centre de nombreux débats depuis des siècles de l’histoire économique. Je te propose deux manières très différentes de répondre, qui couvrent tout ce qu’il faut savoir sur le sujet. Dans cet article, nous allons voir la seconde manière. J’y traite un plan moins conventionnel et plus original qui repose sur une approche court/long terme (avec également des références différentes).
Tu trouveras la première manière ici.
Introduction
Parfois, les erreurs mènent à des découvertes importantes. C’est ainsi que la théorie du bullionisme, qui postulait que la richesse découle de l’accumulation d’or, a donné naissance aux premières théories monétaires. À cette époque, on croyait que limiter les importations étrangères permettrait d’accumuler davantage d’or. Mais cela a en réalité entraîné une hausse généralisée des prix en Europe à cause de l’afflux de métal précieux.
Bodin, en examinant ce phénomène, a réalisé que la monnaie était responsable de l’inflation et que la quantité de monnaie en circulation influençait le niveau général des prix. Cette observation a conduit les mercantilistes à comprendre qu’ils pouvaient stimuler l’économie en agissant sur les taux d’intérêt. Jetant ainsi les bases de la théorie monétaire. Contrairement à ce que pensaient les classiques, pour qui la monnaie n’était qu’un outil, il est donc apparu que la monnaie n’était pas neutre.
Aujourd’hui, deux écoles héritières de ces idées s’affrontent toujours : les keynésiens et les monétaristes. Bien que la compréhension de la monnaie ait progressé et que la théorie monétaire se soit développée, ces deux écoles demeurent en opposition. Alors que les keynésiens prônent l’interventionnisme, les monétaristes semblent favoriser le laisser-faire. Néanmoins, même ces derniers reconnaissent l’importance d’une politique monétaire. Ce qui remet en question l’hypothèse de la neutralité de la monnaie.
En réalité, les deux écoles s’accordent pour affirmer qu’à court terme, la monnaie influence l’économie réelle. Leurs divergences se situent principalement à long terme.
À court terme, les keynésiens et les monétaristes semblent adopter une approche similaire
Pour les keynésiens, la monnaie n’est pas neutre et a un impact sur l’économie réelle
Selon les keynésiens, les variations de la quantité de monnaie influent sur le niveau de la production. En effet, une augmentation de la masse monétaire entraîne une hausse de la demande. Ce qui incite les entreprises à augmenter leur production et à embaucher davantage. Cette augmentation de la production entraîne à son tour une augmentation de l’emploi. Ce qui stimule à nouveau la production, car les nouveaux employés disposent d’un revenu supplémentaire qu’ils dépensent. Malgré l’augmentation de l’inflation, l’augmentation de la masse monétaire a donc des effets positifs et concrets sur l’économie.
Cependant, les effets de la monnaie peuvent également générer de l’incertitude et avoir des effets négatifs sur l’économie. Par exemple, l’épargne, qui représente un pouvoir d’achat futur, pose problème. Les entreprises doivent prendre des décisions de production en fonction de leurs prévisions concernant les demandes futures des consommateurs. Or, le taux d’épargne est influencé par les taux d’intérêt, décidés par les autorités monétaires, ce qui a un impact indirect sur les entreprises.
De plus, les taux d’intérêt influent sur la décision des entreprises à emprunter pour investir, augmenter leur production ou réduire leurs coûts. Ces décisions de prêt sont prises par les banques, de manière subjective. Ce qui entraîne une grande instabilité et un risque de crise en cas de surendettement, pouvant entraîner une baisse soudaine de la demande et donc une augmentation du chômage. Ainsi, selon les keynésiens, la monnaie a des conséquences tangibles sur l’économie réelle.
Les monétaristes partagent à court terme l’analyse des keynésiens
Ils reconnaissent que les imperfections du fonctionnement des marchés et la lenteur des agents à percevoir correctement l’inflation entraînent des effets sur l’économie réelle à court terme.
Comme les keynésiens, les monétaristes reconnaissent aujourd’hui que le retour de la Grande-Bretagne à l’étalon or en 1925, qui a contraint la Banque d’Angleterre à mener une politique monétaire très stricte pour maintenir le taux de change de la livre sterling par rapport à l’or, a entraîné un chômage élevé, car les prix ne se sont pas ajustés suffisamment rapidement.
De même, la faiblesse actuelle de l’euro a des conséquences indéniables sur la balance commerciale européenne, avec une augmentation de l’excédent commercial. Cela favorise les entreprises exportatrices européennes, mais alourdit par exemple la facture énergétique. Il est difficile de nier l’impact de la monnaie sur l’économie dans ce contexte. Dans le cadre européen, le ralentissement de la croissance dans les années 1990 est sans conteste en partie dû au respect des critères de Maastricht par les États, qui ont limité leurs marges de manœuvre et quasiment rendu toute politique de relance budgétaire impossible.
Ainsi, la politique monétaire a un impact sur l’économie réelle, du moins à court terme. Elle revêt donc une importance considérable, et des variations brutales de la masse monétaire disponible ont des effets déstabilisants. Toutefois, à long terme, les keynésiens et les monétaristes ont des opinions divergentes.
À long terme, la monnaie semble neutre, contrairement aux arguments avancés par les keynésiens
L’inutilité à long terme de l’interventionnisme keynésien
Il est vrai qu’une expansion de la masse monétaire peut stimuler l’économie et réduire le chômage. Cependant, il existe un décalage entre le changement de politique monétaire et son impact sur l’économie réelle. L’effet sur les prix survient en moyenne un an après l’effet sur les salaires, et la production augmente presque un an après le changement de politique monétaire. Ce qui entraîne une inflation retardée d’environ deux ans. Avec l’augmentation générale des prix, les salariés constatent que seuls leurs salaires nominaux ont augmenté, tandis que leurs salaires réels restent inchangés.
Par conséquent, l’offre de travail et le chômage reviennent progressivement à leur niveau initial, et la production diminue également. En fin de compte, bien que les prix et les salaires aient augmenté, la situation reste la même à long terme. Ainsi, la monnaie semble neutre à long terme.
Un exemple pertinent est celui de Hong Kong lors de la crise asiatique. Au lieu de laisser sa monnaie flotter comme la plupart de ses voisins, la Hong Kong Monetary Authority a décidé de maintenir le taux de change fixe entre le dollar de Hong Kong et le dollar américain. Dans ce contexte de crise, les prix ont commencé à baisser. Et cette baisse, combinée à l’augmentation des prix des produits étrangers, a eu l’effet d’une dévaluation, démontrant ainsi la neutralité de la monnaie.
Certains soutiennent que la monnaie est neutre même à court terme. Selon la théorie des anticipations rationnelles, développée dans les années 1970, les individus anticipent correctement l’inflation dès l’annonce par le gouvernement d’une politique monétaire expansionniste. Par conséquent, les salariés ne sont plus trompés et refusent de croire que leurs salaires réels augmentent. Cependant, cette théorie suppose des individus parfaitement rationnels.
Ainsi, il est inutile d’intervenir, car à long terme, les résultats sont les mêmes. De plus, une intervention de l’État dans la politique monétaire risque de créer des déséquilibres qui mettront plus de temps à se résorber.
Le renouveau des thèses monétaristes
Il semble que la crise des années 1970 ait contribué au regain d’intérêt pour les économistes monétaristes. On estime généralement qu’une des causes de cette crise était la mauvaise politique monétaire menée au cours des années 1960, avec un financement partiel des dépenses de l’État par la création monétaire. Ce qui a entraîné une inflation importante et une instabilité économique. Cependant, si la monnaie est neutre, on peut remettre en question la nécessité de mener des politiques monétaires expansionnistes ou restrictives. La seule justification valable serait alors de chercher à réduire l’instabilité à court terme, une approche totalement opposée à celle des keynésiens.
Malgré cela, la plupart des gouvernements semblent aujourd’hui adhérer à ces idées, notamment en raison de l’échec des politiques keynésiennes ces dernières années plutôt que par conviction profonde. Ces politiques monétaristes semblent néanmoins porter leurs fruits. Bien qu’il soit difficile d’attribuer leur succès au retour de la croissance, il est possible que nos économies reprennent sur des bases plus saines après une période d’austérité.
Conclusion
Il est difficile de contester l’idée que la monnaie peut avoir des effets sur l’économie réelle à court terme. Cependant, à long terme, la monnaie semble neutre et n’affecte pas la croissance. Cette constatation justifie potentiellement une politique monétaire restrictive, mais également une approche de type keynésien.
En effet, si à long terme rien ne change fondamentalement, il peut être justifié d’adopter une politique budgétaire expansionniste pour atténuer les coûts sociaux d’une crise, par exemple. Dans ce contexte, la monnaie peut être utilisée comme un outil pour lisser la courbe de la croissance, évitant ainsi une croissance économique caractérisée par des périodes de ralentissement suivies de reprises, avec des conséquences sociales potentiellement lourdes.