Voici la suite des constats de Jacques Mistral dans son livre Guerre et Paix entre les monnaies (2021). Cette fois, il évoque les potentielles conséquences des excès de liquidités dans l’économie, faisant suite aux nombreuses mesures non conventionnelles ainsi qu’aux dépenses gouvernementales sans précédent pour faire face aux crises. On parlera également de sa vision pour la monnaie internationale du XXIe siècle, qui conclut son ouvrage.
Il est important de noter que l’ouvrage est paru avant la guerre en Ukraine, cet événement n’étant donc pas pris en compte dans ses analyses. Son travail est tout de fois très précieux pour comprendre les grands enjeux liés à l’inflation et à la dette aujourd’hui.
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Une économie avec trop de liquidités
L’injection de liquidités était le moyen de surmonter la méfiance qui paralysait les transactions entre les banques lors de la crise de 2008. Cela a conduit les plus grandes banques d’Allemagne (Sparkasse) et de France à détenir près de 80 % de ces réserves excédentaires.
Cependant, même après la crise, la situation n’est pas revenue à la normale. En septembre 2019, la Federal Reserve (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) ont été contraintes de reprendre leur programme d’achats d’actifs, qu’elles avaient précédemment envisagé d’interrompre.
Cela montre que les mesures extraordinaires prises pendant la crise continuent d’être nécessaires pour maintenir la stabilité financière et assurer le fonctionnement des marchés.
Une des causes de l’inflation ?
L’abondance sans précédent de liquidités a suscité des craintes quant à un retour de l’inflation (hors crises non financières comme on l’a vu ces deux dernières années). Une préoccupation souvent associée à la vision monétariste de Milton Friedman. Cependant, il n’a jamais été prouvé que l’augmentation exogène de la base monétaire entraîne une hausse proportionnelle des prix. La fonction de demande de monnaie, qui est au cœur de la théorie monétariste, se révèle très instable. Un exemple illustratif est la politique débridée menée par Alan Greenspan à la Fed, qui n’a pas conduit à une inflation significative.
Cette analyse explique pourquoi l’évolution des prix au cours des dix dernières années (avec une croissance en moyenne de 1,8 % par an aux États-Unis) ne reflète pas l’accroissement de la liquidité (16 % par an). Bien que l’abondance de liquidités puisse influencer le marché immobilier et les taux d’intérêt attractifs offerts par les banques, ces liquidités sont principalement affectées aux réserves obligatoires plutôt qu’aux réserves excédentaires.
Un impact sur les marchés financiers ?
À défaut d’avoir un impact sur le prix des biens et des services, l’abondance de liquidités peut-elle engendrer une euphorie dangereuse sur les marchés financiers ?
Les taux d’intérêt très bas et les vastes programmes d’achats d’actifs ont réussi à éviter une répétition des désastres des années 1930, mais cette abondance de liquidités suscite des craintes quant à la formation de bulles spéculatives. Comme cela a été observé lors de la crise de 2008.
Il est peu probable que la monnaie excédentaire ait des effets sur l’économie non bancaire, même si elle influence les circuits financiers parallèles, tels que le shadow banking, ainsi que les marchés de produits dérivés et d’actifs titrisés. Constituant ainsi la finance complexe.
À la suite de la crise de 2009, des mesures microprudentielles (concernant le fonctionnement d’une institution financière) et de supervision macroprudentielle (analyse des interdépendances systémiques dans la sphère financière) ont été mises en place. Des réglementations telles que la loi Dodd-Frank (bien que révisée à la baisse sous l’administration Trump) et les accords de Bâle ont transformé le secteur bancaire en augmentant les fonds propres requis pour réduire le volume des activités financières complexes. En Europe, une surveillance plus stricte a été imposée à l’industrie financière.
L’abondance de liquidités, la baisse des taux d’intérêt et les perspectives économiques favorables ont :
- conduit à la recherche d’investissements offrant des rendements supérieurs ;
- encouragé la prise de risque ;
- favorisé certaines classes d’actifs, notamment les marchés d’actions ;
- stimulé un boom des transactions immobilières, caractérisé par une demande spéculative et une offre de crédit de plus en plus risquée.
Cependant, malgré cette situation, il est observé que le quadruplement des liquidités fournies par les banques centrales n’a pas entraîné une augmentation des prix des actifs.
Les États ont fait ce qu’il fallait pendant la crise de la Covid
Ils ont mis en place, pour la quasi-totalité d’entre eux, des mesures monétaires et budgétaires substantielles.
Pour la France :
- Le recours au chômage partiel, aux chèques aux ménages, aux prêts garantis, aux avances en capital, aux rachats d’actifs, etc., illustre la politique du « quoi qu’il en coûte ».
- Les finances publiques sont devenues le prêteur en dernier ressort de l’ensemble de l’économie, avec des coûts quasi nuls (taux nuls), mais engendrant des dettes immenses.
Cependant, avec la crise, le risque inflationniste est réapparu, en raison de l’équilibre financier reposant sur l’absence d’inflation et des taux d’intérêt nuls. Les liquidités créées en 2020 n’ont pas été transformées en réserves excédentaires, mais ont été mises entre les mains des agents économiques non bancaires, comme les familles précaires, les salariés en chômage partiel et les entrepreneurs individuels. Cette circulation d’argent post-crise ravivera probablement les comportements de consommation préexistants.
Les gouvernements ont adopté une relance abondante, mais l’utilisation de la planche à billets ne peut pas durer éternellement. Il faudra trouver des solutions lorsque les signes de marché rendront problématique le financement des États.
Trois méthodes pour reprendre le contrôle de la dette sont envisageables :
- La politique de réduction du déficit budgétaire, impliquant une hausse des impôts et une baisse de la demande, mais avec des effets douloureux dans une économie encore fragile.
- La répudiation d’une partie de la dette, qui empêche l’État d’avoir accès à de nouveaux fonds en s’interdisant de faire appel à l’épargne.
- Faire « rouler la dette », qui consiste à donner du temps au temps, mais peut entraîner une stagnation de l’activité économique, une stabilité ou une légère baisse des prix pour une longue période. Cependant, cette solution comporte des risques. En témoigne l’expérience du Japon dans les années 1990, qui a connu deux décennies de croissance perdue, illustrant la corrélation entre une dette dépassant 90 % du PIB et un ralentissement de la croissance (Reinhart et Rogoff).