Avec des niveaux de dette qui explosent depuis quelques années, il peut paraître plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre des politiques visant à les réduire. Cet article te résume les moyens dont les États disposent pour se débarrasser de la dette !
La politique budgétaire de rigueur
Le premier outil utilisé par les États pour réduire – voire éliminer – le fardeau de la dette est la politique budgétaire de rigueur, définie comme étant une politique économique caractérisée par la hausse des impôts et/ou la baisse des dépenses publiques. Elle a cela d’avantageux qu’elle permet d’accumuler des excédents à la fois budgétaires et courants. Elle touche alors à la fois la dette publique (intérieure) et la dette privée (extérieure). L’exemple le plus significatif est celui de la Grèce : en 2009, son déficit budgétaire atteint 15,6 % du PIB et celui de la balance des transaction courantes est supérieur à 18 % du PIB. En 2012, elle met alors en marche une politique budgétaire de rigueur en agissant notamment sur les retraites (baisse de 45 % du niveau des pensions et coupe de 3,2 milliards d’euros dans les retraites de la fonction publique). Grâce à cela, elle atteint en 2018 un excédent budgétaire de 0,8 % et un excédent courant de 0,4 % du PIB.
En revanche, toute politique budgétaire de rigueur n’a pas pour effet de réduire la dette. Alors qu’Alberto Alesina et Silvia Ardagna théorisent l’austérité expansionniste dans leur article « Larges Change in Fiscal Policy : Taxes versus Spending » (2009), ils précisent bien qu’une politique budgétaire de rigueur est susceptible de nourrir la confiance du secteur privé en restaurant l’efficacité marginale du capital si et seulement si elle est fondée sur une coupure des dépenses plutôt qu’une d’augmentation des impôts.
La restructuration de dette
La restructuration peut prendre des formes variées : l’allongement des maturités des titres, la réduction des coupons obligataires, voire la réduction du principal, le paiement des intérêts conditionné par la santé économique et financière du débiteur.
1) Approche standard
Selon l’analyse standard, une restructuration a des effets négatifs pour l’emprunteur : la dette nouvellement émise est stigmatisée sur les marchés de capitaux de dette et n’est plus liquide. L’État ne peut plus rouler sa dette. Les investissements étrangers se contractent avec l’incertitude et la prime de risque s’élève, ce qui accroît le risque de défaut, le risque d’insolvabilité voire d’insoutenabilité.
Au dernier chapitre de A Monetary history of the United States, 1867-1960, (1963), Milton Friedman et Anna J. Schwartz considèrent que l’abrogation des clauses en or sur les dettes privées et publiques en juin 1933 ont découragé l’investissement productif, sans preuves empiriques.
2) Approche hétérodoxe
Dans « The U.S. debt restructuring of 1933 : Consequences and Lessons » (2015), Sebastian Edwards, Francis Longstaff et Alvaro Garcia Marin contestent cette approche. En effet, ils rappellent qu’en juin 1933, les États-Unis font un haircut (réduction du paiement des intérêts sur la dette) unilatéral de 41 % sur 120 milliards dollars de dettes dont 20 milliards dollars de dette publique et 100 milliards dollars de dette privée, avec une clause en or, soit 181,8 % du PIB, suite à l’abandon de la convertibilité or du dollar (avril 1933). Malgré un phénomène de fuite vers la qualité (to quality) vers la France, la Suisse et le Royaume-Uni, la dette publique des Etats-Unis nouvellement émise n’est pas stigmatisée sur les marchés de capitaux. En Octobre 1933, 1 728 milliard de dollars de Fourth Liberty bonds sont échangés contre des nouveaux bons du trésor. 82,25 % des obligations avec des clauses en or sont échangées contre des nouvelles obligations sans clause. La prime de risque n’explose pas, quoique très légèrement en hausse. Les états continuent de faire rouler la dette. Entre juin 1933 et la dévaluation du dollar de 59,06 % (janvier 1934) passant de 20,67 dollars (depuis 1834) à 35 dollars (jusqu’en août 1971) l’once, les primes de risque sont similaires entre les obligations avec une clause en or et celles sans.
Voici quelques exemples de restructuration faites dans l’histoire :
- Le plan Young (juin 1929) vise à rétablir la soutenabilité de la dette publique allemande en adoucissant les conditions des réparations de guerre initiales. Le paiement restant des annuités des réparations de guerre et ses remboursements liés à la dette publique, consécutive de nouveaux emprunts, sont ré-échelonnés.
- On peut également citer les différents termes qui visent à restructurer les dettes des pays émergents dans les années 1980 et 1990. Les termes de Toronto (octobre 1988) prévoient une annulation partielle de la dette extérieure (haircut) de 33,33 % pour 20 pays. Les termes de Londres (décembre 1991) font un haircut de 50 % pour 23 pays. Les termes de Naples (décembre 1994) augmentent le haircut à 67 % pour 33 pays. Pour la première fois, la réduction de la dette est très importante, non seulement en termes de traitement de flux, mais aussi de traitement de stock.
- Le Plan Baker (octobre 1985) met en place des prêts de 20 milliards de dollars américains sur 3 ans pour les 15 pays en développement les plus endettés. Le Plan Brady (mars 1989) vise à réduire la dette extérieure agrégée des pays en développement de 1,29 trillons de dollars américains et leur service de la dette rapporté à leurs exportations moyen de 27,5 %. Il lance l’émission d’obligations libellées en dollars américains à une échéance de 30 ans. Elles sont garanties par les États-Unis d’Amérique et peuvent remplacer les créances actuelles à conditionner d’accepter un hair cut de 50 % sur ces dernières.
- Grâce à au haircut de la dette allemande (février 1953) accordé par les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, la république fédérale d’Allemagne a vu sa dette passer de 16,2 milliards à 7 milliards de dollars, soit une réduction de 62,6 %, qu’elle doit rembourser en deutschmarks dévalués. En effet, jusqu’en 1957 la Bundesbank monétise la dette jusqu’à son indépendance. Le service de la dette rapporté aux recettes d’exportations ne doit pas dépasser 5 % pour que l’Allemagne soit solvable. Il est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays.
Monétiser la dette par l’inflation
La monétisation de la dette renvoie à la stérilisation de la dette par la création de monnaie supplémentaire (création monétaire). La banque centrale monétise le déficit public (financement monétaire) en achetant des obligations publiques sur le marché primaire et en laissant filer l’inflation pour diminuer le poids réel des dettes publiques. L’inflation permet de réduire le poids des dettes dans le PIB grâce à la baisse des taux d’intérêt réels (taux d’intérêt – taux d’inflation). C’est l’instrument de régulation privilégié des dettes lors de la « financial repression » de Ronald McKinnon dans Money and capital in economic development (1973).
Cependant, seule une inflation non anticipée allège le poids des dettes. Sinon les investisseurs incorporent l’inflation dans la prime de risque pour couvrir le risque de change (baisse du pouvoir d’achat de la monnaie) ou bien ils se reportent sur des obligations indexées sur les prix (breakeven de l’inflation positif). Dans « Using Inflation to Erode The U.S. Public Debt » (2009), Nancy Marion et Joshua Aizenman remarquent que la dette publique des États-Unis est passée de 121,7 % du PIB à 34,7 % du PIB entre 1946 et 1975 grâce un taux d’inflation annuel moyen de 4,2 %.
Une banque centrale peut alléger le poids de la dette publique en utilisant sa politique bilantielle dans le cadre des politiques monétaires non conventionnelles. L’assouplissement quantitatif garantit (implicitement) la soutenabilité des finances publiques sur les marchés de capitaux. En effet, il réduit le taux d’intérêt (coupon) des titres de créance publique. Les administrations publiques peuvent s’endetter très facilement sur les marchés de capitaux et ainsi financer leurs dépenses sans aucune difficulté. C’est la fiscal dominance : la banque centrale assure la solvabilité budgétaire.
Seulement, il est difficile d’imaginer un financement monétaire (monétisation pure). La loi d’août 1993 introduit l’interdiction de la monétisation des déficits publics (article 3), l’indépendance de la Banque de France et elle définit puis met en œuvre la politique monétaire pour assurer la stabilité des prix (article 1). La banque centrale européenne (juin 1998) et les banques centrales nationales sont indépendantes du pouvoir politique (article 130 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Elles ont pour objectif final principal la stabilité des prix (article 127, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Elles ont l’interdiction de monétiser le déficit public (article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
Mutualiser la dette
L’article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne introduit la no bail out clause, qui interdit toute mutualisation des dettes par les instances de l’Union européenne. « L’Europe connaît son moment Hamiltonien mais sans Alexander Hamilton en vue » disait Paul Volcker en 2011. La gestion des dettes de la guerre d’indépendance des États-Unis oppose Alexander Hamilton à Thomas Jefferson. Le premier souhaitait les mutualiser, le second considérait que l’on ne doit pas s’endetter au-delà de ce que l’on est capable de rembourser au risque de mettre en péril la soutenabilité des dettes. Les États du Sud des États-Unis, moins endettés que les États du Nord, ne souhaitaient alors pas payer pour le Nord. Dans Le nouvel égoïsme territorial : le grand malaise des nations (2015), Laurent Davezies montre que la situation en Europe est similaire : les pays du centre de l’Union européenne ne veulent pas payer les dettes des pays périphériques. Hamilton remporte donc la victoire idéologique. En février 1791, la première banque des États-Unis mutualise et gère les dettes.
Mutualiser les dettes publiques consiste à transférer une partie des dettes des États membres vers une entité européenne. Les prêts accordés par le Fonds européen de stabilité financière (mai 2010), puis par le Mécanisme européen de stabilité (septembre 2012) s’inscrivent dans cette logique. Par exemple, doté de 800 milliards d’euros, le Mécanisme européen de stabilité a prêté 255 milliards d’euros aux Etats de la zone euro dont la Grèce (avril 2010, mars 2012, août 2015), l’Irlande (février 2010), le Portugal (juin 2011) et l’Espagne (juin, décembre 2012). Il se finance en émettant des titres sur les marchés obligataire et titres de créances négociables (décembre 1985), mais à un coupon plus faible puisqu’il bénéficie de la garantie de tous.
Dans « Dettes bleues et dettes rouges pour sauver l’euro » (Les Echos, 2010), Jacques Delpla propose de mutualiser la “bonne” dette (celle inférieure à 60 % du PIB) et de laisser les États de la zone euro se débrouiller avec le reste au niveau national, en conformité avec l’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La dette bleue (seniors) serait constituée de la bonne dette (inférieure à 60 % de PIB), moins pour les pays les moins crédibles de la zone euro. Ces propositions restent pour le moment lettre morte. Elles permettraient certes de réduire la charge de la dette pour les États les plus endettés. Mais elles l’augmenteraient pour ceux qui acquittent les taux les plus faibles, ce à quoi les pays du centre de l’Union européenne s’opposent. Elles impliqueraient un contrôle encore plus strict des politiques intérieures des Etats.
En finir avec la peur de la dette
Dans « Who’s Afraid of Budget Deficits? How Washington Should End Its Debt Obsession » (2019), Larry Summers et Jason Furman considèrent que les États-Unis peuvent ignorer les contraintes budgétaires et devraient s’endetter grâce aux faibles taux d’intérêts réels avec la politique bilantielle, à la signature appréciée des titres de dette américains et à l’attrait des marchés de capitaux américains pour le reste du monde.
Le système monétaire international et l’architecture financière internationale sont de facto organisés sous la forme d’un centre et d’une périphérie. Cette structure attribue aux États-Unis un double privilège. Ils émettent la principale monnaie de réserve internationale : le dollar. Grâce au statut du dollar, les États-Unis empruntent dans leur propre monnaie (90 % de leur passif est libellé en dollars), mais 70 % de leurs actifs sont libellés en devises. Le risque de change sur leur passif est pris en charge par le reste du monde. Ils offrent les marchés de capitaux les plus profonds et les plus liquides. En 2003, les États-Unis ont absorbé 74 % des flux de capitaux internationaux. En 2010, 40 %. En 2007, la Chine est le plus grand pourvoyeur de capitaux à hauteur de 21 % puis 24 % en 2010. Cette position unique leur permet d’attirer les capitaux du reste du monde et de s’endetter facilement et d’avoir un “déficit sans pleurs” (reprenant ici l’expression de Jacques Rueff dans Le Lancinant problème des balances de paiement, 1953). En contrepartie de ce privilège exorbitant, les États-Unis transfèrent d’importants montants de richesse vers le reste du monde lors des crises, via leurs avoirs et engagements extérieurs.
Dans « From World Banker to World Venture Capitalist : US External Adjustment and the Exorbitant Privilege » (2005), Hélène Rey et Pierre Olivier Tourinchas montrent que les États-Unis jouent le rôle d’un fonds de capital-risque (venture capital) mondial. Ils se financent à court terme et investissent à long terme dans des actifs risqués. Les flux de capitaux sont profondément asymétriques au profit des États-Unis. En effet, ils prêtent au reste du monde sous forme d’IDE et de prise de participation à des taux d’intérêt plus élevés qu’ils n’empruntent au reste du monde, surtout sous la forme de bons du trésor achetés par les Chinois. Entre 1952 et 2009, les États-Unis empochent un différentiel de rendement annuel sur leur bilan externe de 2,11 % en termes réels et de 3,3 % entre 1973 et 2004. Ce différentiel de rendement s’explique par une prime de risque faible voir nulle, l’actif étant plus risqué que le passif et à une prime de liquidité sur la dette. Les États-Unis versent 3,5 % de leur PIB au reste du monde (en intérêts et en dividendes) et en reçoivent 5 %. Entre 2000 et 2018, le coupon des bons du trésor américain passe de 4,3 % à 0,8 %. En 2018, l’État français s’endette à -0,6 % à 1 an et à 1 % à 10 ans. En mai 2021, l’Agence France Trésor annonce l’émission d’une obligation assimilable au trésor d’une obligation à long terme de 50 ans à 0,593 % (record historiquement bas). À titre de comparaison, en février 2005 la même obligation avait 4 % comme coupon. La charge de la dette s’élève à 27,2 milliards d’euros en 2021 contre 31,7 milliards d’euros en 2020 et 35,2 milliards d’euros en 2019.
L’approche budgétaire doit être revue : les déficits ne sont pas une priorité et il faut arrêter les coupes budgétaires sur le Medicaid et le Social Security. Cependant, ils ne doivent pas ignorer complètement la contrainte budgétaire. La dette ne peut augmenter sans fin. En période d’expansion les tax cuts et les nouvelles dépenses ne doivent pas alimenter la dette souveraine (procycliques). Les déficits budgétaires sont moins néfastes pour l’économie que par le passé. Il n’y a pas d’effet d’éviction (effet volume et effet prix négatif) de la dette privée sur les marchés de capitaux par l’émission de titres de dettes publiques. Les risques d’une grosse dette sont faibles comparés à des réductions de déficits. Le déficit budgétaire, pour reprendre les mots d’Abba Lerner (« Functional finance and the federal debt », 1943) n’est « ni bon, ni mauvais », il est simplement utilisé à bon escient ou pas.
Te voilà maintenant prêt à affronter n’importe quel sujet sur la réduction de la dette !